Partager

3 min
3 min

Alain Lambert : “Le nouveau pacte territorial, c’est en 2021 ou jamais”

L’ancien ministre du Budget expose dans cette tribune ce qui est selon lui le principal enjeu de 2021 en matière de relations entre l’État et les collectivités territoriales. “La crise a mis à nu les effets destructeurs d’un centralisme bureaucratique”, souligne celui qui préside le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). 

L’année 2021 est la dernière année praticable par le président de la République pour nouer le nouveau pacte territorial annoncé à la nation le 25 avril 2019. Il pourrait réconcilier les Français et leur territoire avec l’État central. Un an suffit pour répondre à cette ambition. C’est une affaire de volonté, de concertation et de consensus.

Les circonstances s’y prêtent. Un projet de loi 3D nous est annoncé. Un véhicule législatif est donc disponible. Il pourrait servir de support au changement promis de notre fonctionnement public. Pour se hisser à la hauteur de l’enjeu, les aménagements à la marge de la décentralisation et de la déconcentration n’y suffiront pas. C’est en dépassant le simple ajustement qu’une vraie et réelle transformation de l’ensemble de l’action publique permettra de la repenser dans sa globalité. Il s’agit d’opérer dans notre droit public la révolution copernicienne que la Lolf [la loi organique relative aux lois de finances, dont Alain Lambert a été l’artisan avec Didier Migaud, ndlr] a voulu initier dans le domaine budgétaire et comptable, il y a juste vingt ans. Se situant avant les révisions constitutionnelles de 2003 et 2008, celle-ci n’avait pu couvrir le champ de toutes les administrations publiques, cependant, c’est aujourd’hui possible. Le moment est donc venu de considérer enfin le fonctionnement public comme un tout placé au service des Français, et non comme un labyrinthe de guichets auxquels ils sont priés de s’adresser successivement.

Les collectivités territoriales le demandent. Elles sont prêtes à participer à une transformation globale dans une approche bottom-up et plus seulement top-down afin que la décentralisation et la déconcentration soient considérées comme un instrument et non comme une fin, et qu’une nouvelle manière de mener les politiques publiques s’exprime. Elles attendent que de nouveaux principes généraux soient posés, engageant la pyramide des pouvoirs de l’échelon le plus élevé à celui au plus près de nos compatriotes, car elles sont confrontées au quotidien à une complexité sans nom du droit qui les régit.

Fini la tutelle, place à la coopération

Le principe de libre administration doit affirmer la liberté institutionnelle, la liberté fonctionnelle et la liberté financière. Les seules limites doivent rester la protection des libertés publiques et le respect du principe d’égalité. Hors compétences régaliennes, aucun pouvoir hiérarchique ne doit plus pouvoir être invoqué. La liberté contractuelle doit être reconnue comme un droit essentiel à l’exercice des missions des collectivités afin qu’elles puissent répartir librement leurs actions et ainsi éviter les ralentissements et renchérissements inutiles. Les dispositions contraignantes ne doivent s’appliquer que dans le seul cas de désaccord entre elles. Le droit de dérogation des préfets doit être renforcé pour pallier l’excès de détail introduit dans les textes, qui rendent parfois les normes inapplicables ou excessivement coûteuses à raison de circonstances locales particulières.

Le discernement de tout agent public qui vise à permettre une meilleure application des lois doit être encouragé par l’introduction d’une notion d’imputabilité non génératrice de responsabilité, lorsqu’il s’agit de résoudre un cas d’espèce, selon un mode rapide de validation du pouvoir hiérarchique.

L’importance de l’enjeu de ce changement profond justifie l’introduction d’une présomption de bonne foi pour donner corps à un principe de confiance mutuelle entre les administrations. Les relations entre l’État et les collectivités territoriales doivent être désormais déterminées et conduites selon un mode de coopération ou de coproduction, et plus seulement selon un mode hiérarchique et tutélaire. La loi doit être proportionnée à la capacité juridique, technique et financière des entités qui en supportent la mise en œuvre et les coûts. Le principe de bonne foi doit faire contrepoids à la toute-puissance du formalisme juridique.

Enfin la plasticité de notre droit constitutionnel mérite d’être testée pour donner enfin au corps à la notion d’organisation décentralisée de la République. L’ambition d’un nouveau pacte territorial doit oser considérer la diversité comme un élément constitutif de l’unité et la proximité comme constitutive du principe d’égalité.

La crise sanitaire a mis à nu les effets destructeurs d’un centralisme bureaucratique sur lequel les collectivités territoriales alertent l’État central depuis plus de dix ans. Preuve a été faite que si l’on peut gouverner de loin, on n’administre bien que de près. Cette situation inédite et historique appelle une réponse du même type. C’est l’enjeu de l’année 2021. 

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×