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André Yché : “Notre relation avec les collectivités territoriales s’est de plus en plus densifiée”

Le président de CDC Habitat analyse les effets de la crise, notamment le besoin d’espace des habitants de la couronne parisienne. Il faut, par ailleurs, souligne-t-il, proposer des offres spécifiques pour les policiers, personnels de santé, pompiers et agents dont les revenus ne leur permettent pas d’acquérir un bien immobilier. André Yché demande une clarification de la politique publique du logement : l’État doit, selon lui, transférer compétences et moyens et faire émerger des filières capables de prendre en compte les enjeux de logement dans leur complexité.

Comment faites-vous face à la situation depuis le mois de mars ?
Notre première préoccupation a été tant de préserver la continuité de l’activité de nos 9 500 salariés, dont près de 2 000 personnels de proximité qui interviennent auprès de nos locataires, que de leur assurer une protection sanitaire. Nous avons garanti la continuité de notre activité grâce au recours au travail à distance pour 90 % de nos personnels et en repensant notre organisation pour assurer le service aux locataires – certes pas dans son intégralité. Par exemple, les états des lieux contradictoires ont été suspendus. De plus, nous avons renforcé la vigilance et l’accompagnement de nos locataires, notamment pour ceux qui ont pu rencontrer des difficultés pour payer leur loyer, mais également pour les personnes âgées. Pour ces dernières, nous avons mené une campagne d’appels bienveillants. Nous avons également mis en place des mesures pour les 3 000 locataires commerçants ; ils ont fait l’objet, lorsque cela était nécessaire, de protocoles leur permettant d’être exonérés de trois mois de loyer.

Comment participez-vous au plan de relance de l’économie ?
Nous avons contribué très rapidement au plan de relance de l’économie en lançant, dès le 27 mars, un appel à projets pour mettre en chantier 40 000 nouveaux logements, ce qui représente un investissement de 8,3 milliards d’euros. L’objectif était d’assurer aux entreprises du BTP leurs plans de charge en sortie de confinement et au-delà. Car la tentation pouvait être forte de finir les chantiers en cours et, compte tenu des incertitudes, de ne pas se projeter dans de nouveaux projets. Cette intervention massive est plus importante que lors de la crise financière de 2008. Des opérations avaient alors certes été lancées, mais de manière très progressive. Il avait fallu dix-huit mois pour contractualiser 25 000 logements. Dans la situation présente, on parle d’un appel à projets pour 40 000 logements qui, en moins de deux mois, a reçu plus de 60 000 propositions en France métropolitaine, mais également en outre-mer. Les résultats ont dépassé nos attentes.

Les gros comme les petits opérateurs répondent-ils ?
Nous négocions par paquets d’opérations. Une centaine d’opérateurs a répondu : les poids lourds, mais aussi les petits, les promoteurs nationaux – Nexity, Altarea Cogedim… – comme les promoteurs territoriaux. À fin mai, nous avons acté l’acquisition de 21 000 logements, soit à près de 4 milliards d’euros. Et devant l’ampleur de la crise sanitaire, accentuant celle de l’hébergement d’urgence, nous avons par ailleurs lancé un appel à projets pour la création de 2 000 chambres d’hébergement sur l’ensemble du territoire métropolitain. Nous attendons encore quelques propositions pour accroître nos capacités d’offre.

Ceux qui habitent dans de petits appartements en deuxième ou troisième couronne parisienne vont ressentir le besoin d’espace.

Le paysage réglementaire évolue, notamment avec la récente loi Élan [loi de novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, destinée à réformer le droit immobilier, ndlr]. Comment en tenez-vous compte ?
Tout en participant à l’effort de relance, nous prenons en compte l’évolution de l’environnement de l’habitat collectif dit d’intérêt public, qui a été secoué par une série de mesures et de réformes ces derniers mois, telles que la réduction des loyers de solidarité (RLS) [dispositif destiné aux foyers à faibles revenus permettant de diminuer le coût du loyer initial, ndlr] ou les dispositifs de la loi Élan, qui imposait notamment le regroupement de bailleurs. Nous avons accéléré les actions, pour contribuer à la réorganisation et à la structuration du tissu des logements sociaux. Nous sommes ainsi en discussion avec une centaine d’organismes de logement social, ce qui représente environ 600 000 logements, pour constituer le réseau CDC Habitat Partenaires. Nous avons déjà contractualisé avec près de la moitié et visons 90 partenariats d’ici 2021…

Quels sont les enjeux de ces rapprochements ?
Nous voulons les entraîner dans l’effort de redressement national et qu’ils se joignent à notre programme de relance et d’acquisition de nouveaux logements. Nous pouvons également jouer le rôle d’une centrale d’achats. Il s’agit aussi de faire en sorte que les chantiers arrêtés reprennent le plus rapidement possible. Nous avons signé une charte avec la Fédération française du bâtiment pour définir les règles de répartition des surcoûts liés au gel ou aux conditions nouvelles de travail dans certains projets immobiliers du fait de la crise sanitaire entre les promoteurs, les entreprises et nous-mêmes. Sur un chantier, les différents corps de métiers interviennent simultanément : électriciens, soudeurs, couvreurs, etc. Leurs interventions doivent actuellement être séparées pour tenir compte de la nécessaire distanciation physique. Cela a un coût. L’objectif, là encore, est que la relance soit la plus rapide possible en limitant les pertes des différents acteurs et professionnels.

Qu’est-ce que la crise va changer ?
De notre point de vue, beaucoup de choses vont changer. D’abord du fait de l’impact psychologique du confinement. Par exemple, ceux qui habitent dans de petits appartements en deuxième ou troisième couronne parisienne vont ressentir le besoin d’espace. Notre analyse, c’est que nombre d’entre eux, avec enfants, particulièrement les jeunes cadres qui ont beaucoup télétravaillé depuis le mois de mars, vont se poser la question d’aller vivre ailleurs qu’en Île-de-France. Par exemple, faire du télétravail les lundis et vendredis et prendre un studio en location pour y passer 2 ou 3 nuits par semaine. Avec la grande rapidité des transports, il est aujourd’hui possible de s’installer un peu partout en France. Le programme Action Cœur de ville, qui concerne 222 villes de taille moyenne, pourra être mis à contribution pour répondre aux demandes que nous anticipons. Pour donner une idée, le plan de relance de CDC Habitat concerne plus de 6 500 logements dans ces villes et nous pensons en acheter plus de 4 500, soit le double de ce qui était prévu. Au-delà, nous allons améliorer l’offre de logements intermédiaires et abordables à destination des catégories moyennes, celles qui n’ont pas accès au logement social et qui n’ont pas les moyens d’acheter aux conditions du marché.

Il est important de proposer [aux policiers, personnels de santé, pompiers, agents des collectivités] une offre spécifique alors qu’ils sont des acteurs majeurs du fonctionnement de la cité.

Des agents publics ont joué un rôle clé pendant la crise : les soignants, les agents territoriaux… Ceux-là ne disposent souvent pas de revenus leur permettant d’acquérir un logement. Quelles offres peuvent-elles leur être proposées ?
Les policiers, personnels de santé, pompiers, agents des collectivités, etc., sont des personnels indispensables au fonctionnement des services publics. Leurs revenus ne leur permettent souvent pas, en effet, d’acquérir un bien immobilier. Il est important de leur proposer une offre spécifique alors qu’ils sont des acteurs majeurs du fonctionnement de la cité. Nous avons une longue tradition d’accueil vis-à-vis de ces personnels. Au départ, nous logions beaucoup de militaires, les salariés d’EDF autour des centrales, etc. Nous réfléchissons donc à de nouveaux dispositifs en développant des programmes de petites résidences sur des fonciers disponibles. Nous travaillons par exemple en lien avec le centre hospitalier universitaire de Bordeaux en direction de 65 personnels médicaux, essentiellement des soignants, des infirmières et de jeunes médecins débutants. Nous échangeons également avec l’AP-HP [Assistance publique-Hôpitaux de Paris, ndlr] et d’autres établissements de santé.

Comment repensez-vous vos interventions dans les territoires, auprès des collectivités ?
Nous avons élargi notre palette d’intervention dans les territoires. Nous étions auparavant présents dans les territoires tendus, les territoires métropolitains. Aujourd’hui, nous agissons également dans les territoires en difficultés, les bassins miniers en cours de reconversion, les villes moyennes… Notre capacité à commander des projets d’envergure contribue à l’aménagement des territoires. Et nous associons aujourd’hui tous les acteurs locaux à nos opérations. L’idée est de s’appuyer sur des têtes de pont locales via notre réseau CDC Habitat Partenaires. Nous voulons doubler notre potentiel via un réseau franchisé de filiales liées à nous dans une dimension financière. Notre relation avec les collectivités territoriales s’est, en parallèle, de plus en plus densifiée. Ainsi, concrètement, un programme de 100 millions d’euros d’achat de quelque 6 000 lots dans des copropriétés dégradées s’adresse aux collectivités dans tous les territoires, comme Grigny et la Grande Borne [dans l’Essonne, ndlr]. Les collectivités doivent savoir qu’elles peuvent s’appuyer sur nous, sur notre expertise et notre capacité opérationnelle. Nous sommes pour elles des interlocuteurs de premier rang. Nous accompagnons également les petites sociétés mixtes, les entreprises publiques locales, les acteurs locaux, etc.

L’État doit définir des règles mais ne sait pas faire de la dentelle et du point de croix.

Le numérique qui, avec le télétravail, a permis le maintien de l’activité de nombreuses structures, va-t-il favoriser et fluidifier vos interventions ?
En matière de numérique, il y a ce qui se voit et dont nous tenons compte dans notre action, notamment la domotique ou la fabrique et la maintenance du logement en s’appuyant sur les nouvelles technologies. Et puis il y a ce qui se voit moins, particulièrement en matière de gestion. L’habitat social et intermédiaire fait depuis des décennies l’objet d’une gestion de masse. Il y a des zones et zonages, des plans locaux d’urbanisme… et à chaque secteur correspond un loyer prédéfini, dans une logique et une approche très jacobine. Et cela quelle que soit l’évolution des locataires, de leur pouvoir d’achat en parallèle, de la diminution de leur taux d’effort – c’est-à-dire la part du loyer dans le revenu global. Ainsi, un jeune couple qui débute et un couple travaillant depuis vingt ans avec des revenus plus élevés payent le même loyer pour un bien d’une surface comparable dans le même secteur. Cela crée des situations inégalitaires. Le numérique donne la possibilité d’individualiser la gestion de chaque locataire en déterminant finement son taux d’effort, en regardant s’il touche ou non des aides au logement, des aides publiques… Il faut instaurer cette gestion individualisée avec des loyers différenciés selon les situations et en finir avec la gestion dite de masse. Le numérique nous le permettra.

Le champ des aides publiques relatives au logement est complexe, difficilement lisible… Comment réformer efficacement cette politique publique ?
La baisse de l’APL voilà deux ans [après celle de 5 euros qui avait fait débat, ndlr] avait été indolore parce que ce sont les organismes de logement social qui l’ont absorbée avec la réduction de loyer de solidarité (RSL). Et ils en ont souffert. La Caisse des dépôts et consignations avait alors débloqué 10 milliards d’euros pour les soutenir, mais pour cinq ans. Le vrai sujet, aujourd’hui, est le suivant : comment mettre à profit la situation pour restructurer le secteur ? Ne nous trompons pas de débat : il ne s’agit pas de rapprocher 3 organismes en mauvaise situation et de les fusionner pour tout régler. La réduction des coûts de fonctionnement prend du temps. Quels sont les nouveaux besoins ? Quels sont les nouveaux métiers ? Voilà les questions essentielles. Il faut aujourd’hui s’adapter à la complexité. Un couple peut d’abord louer un bien puis, en fonction de l’évolution de sa situation, en devenir propriétaire. Ce n’est pas simple à gérer et la plupart des organismes ne sont pas en situation de le faire. L’État doit définir des règles, mais ne sait pas faire de la dentelle et du point de croix. Il doit transférer des compétences et des moyens à des organismes et il doit faire émerger des filières régionales capables de prendre en compte les enjeux de logement dans leur complexité, particulièrement en matière d’aménagement, de démographie, d’économie, etc. Celui qui ne connaît que le logement ne connaît rien au logement… Il faut appréhender la société dans son ensemble. Par ailleurs, il faut structurer le tissu des acteurs et non se contenter de simplement regrouper pour regrouper. Le secteur doit aussi pouvoir penser de nouvelles sources de financement en allant chercher des fonds propres sur les marchés. Tout ne peut pas reposer sur les finances publiques.

Propos recueillis par Sylvain Henry 

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Club des acteurs publics

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