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Anne Hidalgo : “Je mettrai fin au mouvement d’agencification de l’État”

Dans une interview écrite, réalisée en partenariat avec le Cercle de la réforme de l’État, la candidate du Parti socialiste à l’élection présidentielle, Anne Hidalgo, détaille ses propositions et ses analyses en matière de réforme de l’État et de l’action publique.

Quelle devrait être pour vous la place de la puissance publique par rapport aux autres acteurs dans la société ?

À mon sens, l’État est un ensemble d’institutions et d’agents dont la vocation est de prendre en charge et porter des solutions à nos problèmes collectifs en garantissant les principes de la République, en protégeant les droits des citoyens et en agissant pour le bien commun. L’État doit œuvrer à la satisfaction de l’intérêt général, qui a trop été mis de côté dans la conduite des politiques publiques durant ce quinquennat. En effet, le marché ne peut avoir réponse à tout. Ce même marché a tendance, dans cette forme particulière de capitalisme financier dans laquelle nous sommes, à offrir des solutions à une minorité au détriment de la majorité. Le XXIe siècle oblige à redonner de la force à l’État – et singulièrement à l’État-providence – pour protéger la société des débordements de la puissance privée.
Toutefois, l’État retranscrit nos préférences collectives dans une orientation et un cadre, mais il ne fait pas tout : ce sont ensuite les collectivités locales, les entreprises, les citoyens, individuellement ou réunis en collectifs, qui construisent et mettent en œuvre les solutions.

La crise sanitaire a renforcé l’État comme acteur central de la puissance publique. Pour vous, est-ce une parenthèse ou en ferez-vous un axe durable ?

Face à l’urgence écologique, mais aussi à l’urgence de prendre en charge des problématiques sociales majeures, comme la pauvreté croissante, ou encore la perte d’autonomie de nos personnes âgées, seule la puissance publique est en mesure de réorienter de manière suffisamment forte, rapide et organisée la transformation de notre modèle de développement. Je suis convaincue que notre État doit donner des perspectives et une stabilité dans cette période de transition, en anticipant les conséquences sociales et économiques inévitables.

Je mettrai fin au mouvement d’“agencification” de l’État. Cette sectorisation abusive de son activité amène des dysfonctionnements majeurs.

Pour vous, que devrait être la réforme de l’État ? Parmi les réformes souhaitables dans l’État, lesquelles mèneriez-vous en priorité au cours des cinq prochaines années ?

L’idée d’une réforme de l’État a été détournée ces dernières décennies pour désigner des exercices purement budgétaires et comptables, qui ont en réalité conduit à affaiblir sa capacité d’action. L’organisation de l’État a uniquement été appréhendée à travers des logiques comptables. La Révision générale des politiques publiques (RGPP) est l’archétype de ce qu’il ne faut plus faire en la matière. Il faut repartir des besoins et des enjeux des politiques publiques, comme c’est le cas dans l’hôpital, qui a souffert d’une gestion purement financière qui s’est faite au détriment de tous ses usagers et des personnels de santé.

Ma priorité sera de redonner à l’État et à ses agents la capacité de faire. Cela passera par des moyens financiers et humains, mais aussi par la confiance qu’il faut de nouveau accorder aux agents publics. Ils ont la compétence, l’envie. Je mettrai un terme à ce mouvement d’externalisation des compétences techniques. Quelle part du recours aux cabinets de conseil privés est-elle vraiment légitime ? L’État dispose de la grande majorité des compétences nécessaires en interne, il faut désormais les reconnaître et les valoriser correctement. De la même façon, je mettrai fin au mouvement d’“agencification” de l’État. Cette sectorisation abusive de son activité amène des dysfonctionnements majeurs. J’estime par ailleurs indispensable de clarifier davantage les compétences entre l’État et les collectivités territoriales. On constate une déperdition d’énergie et d’efficacité dans les doublons qui peuvent exister entre les services déconcentrés ou les ministères d’un côté et les collectivités de l’autre.

Comment feriez-vous pour concevoir les réformes à réaliser dans l’État (recours à des experts, “comitologie”, consultation citoyenne, consultation des agents publics…) ? 

Je suis convaincue qu’il faut changer de méthode. Toute réforme doit correspondre à des choix politiques communs et doit par ailleurs provenir des besoins réels et non d’analyses uniquement comptables. Il faut mettre en place une méthode transversale pour démocratiser l’État en généralisant des instances associant usagers, agents, élus dans les différentes administrations et établissements. C’est à eux que je souhaite faire confiance pour nous aider à définir la méthode. Pour reprendre l’exemple de l’hôpital, soyez assurés que les personnels qui sont sur le terrain savent mieux que quiconque comment améliorer la qualité de la prise en charge.
Dans ce domaine, je crois par ailleurs davantage en un processus d’amélioration continue et de transformation qu’en l’idée de grandes réformes. L’évaluation de nos réformes et de nos politiques publiques, insuffisamment développée en France, doit nous conduire à réformer moins souvent, mais beaucoup mieux.

L’atteinte de l’égalité pour tous n’exclut pas que certaines des politiques publiques soient confiées à des collectivités.

À quelles attentes actuelles des citoyens l’État doit-il répondre prioritairement ? 

La qualité et l’accessibilité des services publics, l’égalité devant le service public, la transparence des décisions individuelles ou collectives qui les concernent, la capacité à participer à l’élaboration des politiques publiques. Ces attentes sont claires. Il est possible d’y répondre, en retrouvant de la proximité et en intégrant davantage les citoyens volontaires à la conduite de certains services publics.

Que feriez-vous pour que l’État soit à même de conduire les grandes transitions ?

Il ne faut pas se le cacher : la transition écologique et la transformation numérique créent des bouleversements économiques et sociaux immenses. Plus nous agissons rapidement, plus nous aurons de chances de relever ces défis en protégeant les citoyens et notre démocratie. Je donnerai donc à l’État les moyens financiers, notamment par l’investissement, de réorienter notre économie. Cela passe également par un investissement fort dans la recherche, l’enseignement supérieur et la formation continue. J’assumerai pleinement son rôle de défense de l’intérêt général, notamment dans les rapports de force qui pourront émerger avec des intérêts privés concurrents. J’ai montré à Paris ma détermination dans la conduite de politiques de transformation, et j’ai tenu face à des lobbys puissants dont les intérêts ont été bousculés !

Comment ferez-vous pour concilier l’aspiration à la différenciation territoriale et l’impératif d’égalité et d’équité ?

D’une certaine façon, c’est l’égalité qui est le sujet de la différenciation. La construction d’un droit de la différenciation est un débat sur la détermination des politiques qui concourent à l’égalité des chances, c’est-à-dire celles pour lesquelles une égalité doit systématiquement prévaloir. L’atteinte de l’égalité pour tous n’exclut pas que certaines des politiques soient confiées à des collectivités. De fait, des situations différentes doivent pouvoir être traitées différemment : quand certains territoires connaissent des situations particulières, il est légitime que les collectivités soient dotées d’outils spécifiques pour faire face à ces enjeux. Je ne crois pas que cela remette en cause l’unité de la nation. Cela ne signifie pas pour autant, et j’y suis fortement défavorable, qu’il faille mettre en place une concurrence exacerbée entre territoires car cela ne répond jamais à l’intérêt général. C’est dans ce cadre-là qu’il faut appréhender la problématique de la différenciation territoriale : l’État est le garant de l’égalité entre les territoires et leurs habitants et doit plus que jamais le demeurer. Il doit ainsi assurer au titre des politiques de péréquation, fondées non sur les structures mais sur les personnes, la correction des inégalités afin que la différenciation n’entre pas en contradiction avec l’égalité.

Comment faut-il, selon vous, réarticuler les politiques territoriales ? Y a-t-il lieu de modifier les compétences ? Si oui, dans quels domaines, selon quels principes de décentralisation ?

Oui, c’est fondamental. On voit bien aujourd’hui les limites de la répartition des compétences entre les collectivités, mais aussi, comme je l’indiquais, entre l’État et les collectivités. Je crois en premier lieu que les compétences décentralisées doivent véritablement et totalement l’être, et ne plus donner lieu à une intervention de l’État, qui doit se recentrer sur ses fonctions régaliennes : nos collectivités territoriales savent faire, il faut leur faire désormais pleinement confiance ! Dans une récente enquête menée par la délégation sénatoriale aux collectivités locales, 66 % des élus locaux jugent les doublons entre les collectivités locales et l’État trop nombreux et 54 % des membres du corps préfectoral partagent cette opinion. De plus, nous devons sans doute repenser l’articulation des compétences entre les collectivités elles-mêmes, tout en garantissant un financement juste de ces dernières. D’une logique de concurrence entre territoires, nous devons évoluer vers une logique de coopération, en développant des pactes interterritoriaux. Cela doit se faire dans le dialogue, sans brutalité et de manière efficace : la première difficulté rencontrée par les collectivités aujourd’hui, c’est l’instabilité des normes. Cette évolution est indispensable : si les collectivités ne pensent leur action que dans leur périmètre, les interconnexions entre territoires ne se font pas. Ce fonctionnement est contre-productif dans un monde avant tout caractérisé par les flux et qui implique une coopération accrue de tous les échelons de collectivités autour d’objectifs communs (comme, par exemple, en matière de mobilité).

Pour ce qui concerne les services de l’État lui-même, apporteriez-vous des changements aux caractéristiques actuelles de la déconcentration ? Aux relations entre autorités déconcentrées et collectivités territoriales ? À la liaison avec les territoires, aux modes de relations et de fonctionnement entre État et territoires ? 

Je constate aujourd’hui une grande déperdition d’énergie entre les autorités déconcentrées et les collectivités territoriales, qui interviennent trop souvent sur les mêmes dossiers, parfois même dans des perspectives non similaires, voire contradictoires. Les choses doivent être plus claires : soit l’État fait, soit les collectivités territoriales font. La coopération est nécessaire et est porteuse de dynamiques, mais elle doit intervenir dans un cadre clair et compréhensible où chacun sait ce qu’il a à faire et où sa compétence est reconnue et respectée. 

Plus fondamentalement, il faut redonner une boussole à l’État local. Dans les faits, notre État n’a plus de doctrine territoriale. Depuis au moins le début du siècle, les réformes de l’organisation locale de l‘État se sont multipliées, cachant mal, sous des prétexte managériaux, la seule vraie perspective : celle d’une baisse de l’emploi public. En dix ans, les effectifs des directions départementales interministérielles sont ainsi passés de près de 40 000 agents en 2010 à 25 000 en 2020. Cet exemple n’en est qu’un parmi d’autres. La compétence de l’État local s’est asséchée avec ces pertes d’effectifs qui ont parfois constitué de véritables saignées. La perspective, en centrant l’État sur ses missions principales, est de retisser son organisation locale autour de pôles de compétence forts, articulés autour des préfets et des sous-préfets.

Il faut valoriser davantage les moyens et le poids de France Stratégie, mais aussi et surtout donner plus de moyens à la recherche, notamment pour s’inscrire dans des logiques prospectives.

Que feriez-vous pour améliorer la capacité d’anticipation et de prospective de l’État pour prévenir les crises sociales, sanitaires et écologiques notamment, et y faire face ?

On connaît les risques auxquels nous faisons face, par exemple les risques épidémiques croissants, l’urgence climatique, la montée des inégalités. Les diagnostics sont posés. L’État doit s’en emparer et en tirer les conséquences sur ses politiques publiques. Il faut par exemple valoriser davantage les moyens et le poids de France Stratégie, mais aussi et surtout, donner plus de moyens à la recherche, notamment pour s’inscrire dans des logiques prospectives. Et ensuite, il faut que le politique ait le courage d’agir à long terme. En tant que cheffe de l’exécutif parisien, malgré les vents contraires, j’ai agi avec détermination lorsqu’il a fallu initier une grande transformation pour rendre la ville plus vivable, plus adaptée au quotidien.

Prévenir les crises passe également par une meilleure association des usagers à la décision publique dans des structures organisées. Par exemple, la gestion de la crise sanitaire par l’exécutif a mis de côté les instances de démocratie sanitaire existantes, alors que leur implication, telle que prévue par les textes en vigueur, aurait produit des décisions collectives appropriées et à même de nous préparer face à la survenance de crises similaires.

Que ferez-vous pour assurer la proximité des services publics pour leurs usagers, et dans leur diversité ?

D’un point de vue territorial, la question de l’accessibilité réelle aux services publics est majeure. Tout d’abord, je garantirai un accès effectif et équitable aux services publics, en fonction des besoins et contraintes des citoyens. Il faut de la souplesse dans les modes d’interaction : on ne peut pas proposer exactement le même mode à un usager de 80 ans résidant en zone rurale, à une mère célibataire citadine travaillant de nuit et à un jeune de 18 ans souhaitant s’inscrire sur les listes électorales. Dans cette perspective les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services publics seront repensés afin de devenir plus prescriptifs et plus efficaces. Je résorberai également la fracture numérique béante entre trop de Français et leurs services publics. La dématérialisation, c’est bien, mais les usagers ont besoin de parler à l’administration. Tout ne se règle pas avec un formulaire en ligne. La défenseure des droits a démontré dans son dernier rapport à quel point la dématérialisation était susceptible de produire une inégalité d’accès aux droits.

La question de la réinternalisation de certaines autorités administratives indépendantes au sein du Parlement se pose.

Peut-on produire la norme différemment : le triptyque gouvernement-Conseil d’État-Parlement fonctionne-t-il correctement ? 

Le quinquennat qui s’achève a très grandement abîmé le processus de fabrication de la norme à deux égards. En premier lieu, le gouvernement – et la crise sanitaire a été à cet égard un révélateur significatif – s’est assis à de trop nombreuses reprises sur les travaux du Conseil d’État, ce qui s’est d’ailleurs retourné contre lui de manière parfois spectaculaire. Que de pertes de temps et d’énergie ! De la même manière, ce quinquennat fut celui de l’affaiblissement du Parlement : mépris des initiatives parlementaires, rejet massif des amendements, rythmes de travail intenables, utilisation systématique de la procédure accélérée. La dérive actuelle n’est ni tenable, ni saine et elle remet foncièrement en cause le bon fonctionnement de notre système démocratique.

C’est pour cela que je suis convaincue qu’il faut légiférer moins, mais légiférer mieux, en s’appuyant sur les ressources dont dispose l’État et en laissant au Parlement toute la place qui devrait être la sienne ! Le Parlement doit également voir ses moyens de contrôle et d’évaluation renforcés : c’est une garantie de l’amélioration de la décision publique. La question de la réinternalisation de certaines autorités administratives indépendantes (AAI) au sein du Parlement se pose également. Et les parlementaires devraient pouvoir saisir plus facilement le Conseil d’État, en particulier ceux issus des rangs de l’opposition.

Face à une société et des entreprises qui réclament autant de la norme qu’elles la rejettent, que feriez-vous pour la simplification et pour qu’elle ne demeure pas ponctuelle ? 

Des progrès ont été faits en la matière depuis désormais une quinzaine ou une vingtaine d’années, il faut en convenir, mais nous sommes encore loin du compte ! Nous avons besoin de normes nouvelles, en particulier pour faire face à des enjeux nouveaux : c’est le rôle de la puissance publique. Toutefois, cela doit également s’accompagner d’un objectif de lisibilité et d’intelligibilité de la norme. À ce sujet, je regrette que la loi dite 3DS – S pour “simplification” – n’ait pas été plus ambitieuse, qu’il s’agisse de la lutte contre le non-recours aux aides sociales ou, sur un tout autre sujet, de la place du Conseil national d’évaluation des normes. Les parlementaires socialistes ont porté un amendement pour renforcer ses pouvoirs, mais il a été écarté. Je suis convaincue qu’une norme coconstruite n’en est que plus lisible. Nous devons également, j’en suis convaincue, travailler à une plus grande stabilité juridique : il est parfaitement contre-productif de faire des lois, puis de les modifier avant même qu’elles puissent produire leur effet ! Cela passe par une meilleure évaluation de notre action. L’évaluation des politiques publiques demeure un impensé de l’action publique en France.

Doit-on aller plus loin dans la numérisation des services publics ? Faut-il donner la priorité à l’humanisation et comment ? 

L’un n’exclut pas l’autre ! La numérisation ouvre des possibilités de simplification pour nos concitoyens dans un grand nombre de cas de figure. C’est un fait et nous devons accompagner cette évolution. Cependant, cela ne doit pas, à mon sens, se traduire par un recul de la présence territoriale physique de nos services publics. Un bureau des impôts qui ferme, ce sont des difficultés administratives accrues pour nos concitoyens. Tout ne peut pas se régler par Internet et le contact humain, la pédagogie sont aussi des composantes fondamentales du service public. Les recommandations du dernier rapport de la défenseure aux droits doivent être prises en considération. Par ailleurs, les collectivités locales sont en mesure d’apporter une réponse à la fracture numérique, qu’il s’agisse d’un problème lié aux infrastructures ou à l’illectronisme. 

La décision publique est de plus en plus contestée et incomprise. Que ferez-vous pour inverser la tendance ?

Nous vivons dans une société aujourd’hui sans doute plus exigeante qu’hier. Il est vrai que cela ne facilite pas l’action des pouvoirs publics, qu’il s’agisse des élus ou des agents ! Toutefois, je crois que cette évolution est aussi une chance car elle démontre l’attention qui est apportée par nos concitoyens à l’action publique. Je constate que les décisions contestées et incomprises découlent très souvent des mêmes logiques : une prise de décision non transparente et non concertée, dans la précipitation. La puissance publique dispose pourtant de l’expertise et des compétences pour pouvoir agir rapidement quand la situation l’exige, tout en atteignant un niveau d’information et de concertation des acteurs concernés suffisant ! Nous ne devons pas avoir peur du contact avec nos concitoyens. Je le vois quotidiennement en tant qu’élue locale : un dialogue serein et sérieux permet de réhabiliter la décision publique de manière incontestable. C’est pourquoi, il nous faut développer des dispositifs de décision qui associent, au long cours, les citoyens et usagers, pour s’inscrire dans un processus de démocratie continue et non pas de démocratie à éclipses. Cet “empouvoirement” des citoyens n’est pas un vain mot : c’est dans le dialogue que ceux-ci comprennent également qu’il n’est pas possible de tout faire en matière de politiques publiques.

Renforcer l’attractivité, notamment salariale, de la fonction publique me semble plus important que l’ouverture d’un débat sur le temps de travail.


 
Faut-il revoir le temps de travail des agents publics ? 

Comme pour le secteur privé, le temps de travail des agents publics doit être négocié par les partenaires sociaux. Un autre sujet majeur sont les conditions d’exercice des agents publics dans leur ensemble, qu’il faut mettre sur la table. Le temps de travail peut faire partie des sujets de discussion, mais cela doit s’accompagner d’une réflexion sur leurs missions, leurs carrières et également leur rémunération. Comme je l’ai indiqué en parlant notamment de l’éducation nationale, renforcer l’attractivité, notamment salariale, de la fonction publique me semble à cet égard plus important que l’ouverture d’un débat sur le temps de travail.  

Les syndicats ont perdu beaucoup de leur influence. Le dialogue social doit-il entrer dans une relation essentiellement directe entre employeurs et agents publics ? 

Le dialogue direct entre les employeurs et les agents publics est sans doute une nécessité et a son utilité, néanmoins, je ne crois pas que l’effacement des corps intermédiaires, et en l’occurrence des syndicats, permette une amélioration du dialogue social. Par leur expertise, par leur rôle de terrain, les syndicats jouent un rôle fondamental et les occulter comme le fait l’actuel gouvernement est une erreur. 

Voulez-vous modifier l’équilibre actuel entre fonctionnaires et contractuels ? Quantitativement ? Quant aux responsabilités ? Quant aux expertises ? Dans quels domaines ? La dualisation de la fonction publique (statut-contrat) constitue-t-elle un modèle probant sur le long terme ou induit-elle un modèle à plusieurs vitesses ? 

Le gouvernement actuel a engagé une démarche de contractualisation, pour ne pas dire de précarisation, des fonctions publiques. Je peux entendre qu’un dialogue soit ouvert avec les syndicats pour faire évoluer le statut des fonctionnaires. Cependant, la fin du statut n’est pas un objectif en soi et se traduirait sans conteste par une perte de la qualité du service public proposé à nos concitoyens. 

Quels seront vos axes majeurs pour améliorer la confiance entre l’État employeur et ses agents et que ferez-vous concrètement ? 

L’État employeur doit réaffirmer sa confiance dans les agents de la fonction publique et leur redonner le sens de leurs actions pour l’intérêt général. Il doit reconnaître les compétences de ces agents en les responsabilisant et en leur faisant confiance pour mettre en œuvre de la manière la plus optimale les orientations et décisions politiques.

Sur le sujet de la réforme de la haute fonction publique qui a été engagée, quelles seront vos orientations et les étapes que vous voudrez franchir rapidement ? Plus globalement, que ferez-vous en matière de gestion des ressources humaines pour la haute fonction publique ?

Il faut, en la matière, partir d’un constat clair : la France peut s’enorgueillir de disposer d’une haute fonction publique d’une grande qualité, composée d’agents qui œuvrent, dans des domaines parfois très différents, pour l’intérêt général. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si le modèle de l’ENA inspire de nombreux pays étrangers. Cela ne veut pas pour autant dire que la situation doit être figée : parce que la manière de conduire l’action publique a évolué, il est opportun de s’interroger sur l’évolution de la fonction publique qu’il convient de mettre en œuvre. 

Je regrette tout d’abord la méthode retenue par le gouvernement : le Parlement aurait pu, et aurait dû se saisir de ce sujet. L’ordonnance n’était pas une méthode opportune et cela témoigne par ailleurs, comme je l’ai indiqué, d’une forme de mépris du Parlement qui n’est pas acceptable. Je partage un objectif : il est utile, tant d’ailleurs dans l’intérêt de la puissance publique que dans l’intérêt des hauts fonctionnaires, de veiller à favoriser les mobilités et l’accumulation, au cours d’une carrière, de savoirs et de compétences diversifiés et complémentaires. Je note toutefois que, comme souvent durant le quinquennat qui s’achève, le cosmétique l’emporte sur le fond et que nous arrivions en fin de mandat à une réforme inachevée dont on ne sait pas véritablement quelle est la finalité. Changer le nom de l’ENA n’est pas une politique. 
Sur le fond, je crois qu’il est fondamental de conjuguer deux objectifs : le premier, c’est de garantir à la haute fonction publique un fonctionnement apaisé. Je ne crois pas au spoils system et je suis convaincue que si le peuple doit, par le biais des élections, définir une orientation politique souveraine, les fonctionnaires, et notamment les hauts fonctionnaires sont à bien des égards les garants de la continuité de l’État. Le deuxième objectif, c’est de définir des modes de fonctionnement, des évolutions de carrière qui permettent à la fois aux agents de s’épanouir et d’acquérir une variété d’expérience qui soit une plus-value pour l’État employeur. Cela passe sans doute par une évolution des mobilités internes, mais aussi par le recrutement de profils sans doute plus variés et complémentaires. En définitive, notre haute fonction publique est un atout que nous devons préserver et enrichir. C’est dans l’intérêt des agents et de la puissance publique.

Quelles mesures prendrez-vous pour redresser l’attractivité des trois fonctions publiques ?

J’ai indiqué que je comptais ouvrir dès le début de mon mandat une conférence sociale sur les salaires. Cette logique doit s’appliquer au secteur privé mais aussi bien évidemment à la fonction publique. Je considère également qu’au lieu de fragiliser le statut de la fonction publique, renforcer les mobilités, les passerelles et les partages d’expérience serait sans conteste de nature à renforcer cette attractivité, au bénéfice, d’ailleurs, du service public proposé à nos concitoyens. 

Compte tenu des contraintes budgétaires des prochaines années, dans quel cadrage budgétaire inscririez-vous le rôle de l’État et sa réforme ? 

La priorité actuelle est celle de l’investissement dans l’éducation et la recherche, la santé publique et les défis de demain (énergies renouvelables, mobilités durables, numérique). Ces investissements doivent être mis en œuvre sans plus attendre, les impacts sociaux et climatiques étant trop immédiats pour qu’on puisse se permettre de repousser ces dépenses budgétaires à plus tard. Les économistes s’accordent d’ailleurs pour considérer que le retour de l’austérité budgétaire risquerait de casser toute reprise économique et d’empêcher les États d’investir. Notre niveau d’endettement est important mais soutenable : nous sommes et resterons en capacité de rembourser notre dette. Le programme que je présente est équilibré, entre les dépenses et les recettes. Par ailleurs, je défendrai avec nos partenaires européens un nouveau cadre budgétaire qui puisse donner des marges de manœuvre à chaque État pour réaliser ces investissements nécessaires.

Le débat sur le niveau de la dépense publique est un faux débat : ce qui n’est pas pris en charge par la puissance publique est pris en charge par nos concitoyens, dans des conditions souvent défavorables.

Comment jugez-vous le niveau actuel de la dépense publique par rapport au PIB ? 

Je ne crois pas que cet indicateur puisse être notre unique boussole. Si on regarde sa décomposition, on se rend compte que les dépenses de protection sociale sont plus élevées qu’ailleurs, ce qui fait dire aux libéraux qu’il faut les réduire au minimum. Observez maintenant le niveau des dépenses de santé aux États-Unis, qui ont fait le choix d’un système privatisé : il est faramineux. Qu’on ne m’explique pas que la privatisation de ce type de service libère les citoyens et redonne du pouvoir d’achat. C’est tout l’inverse ! Des économistes ont démontré que rapporter la dépense publique à la richesse nationale ne constitue pas une démarche rigoureuse. En adoptant d’autres méthodes de calcul, on parvient à un niveau de dépenses publiques où la France ne fait pas exception en Europe. 

Par ailleurs, l’action publique doit être regardée et évaluée à l’aide d’autres indicateurs que l’unique PIB. L’État dispose d’outils pour ce faire, notamment les nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi Eva Sas, mais l’exécutif ne souhaite pas s’en servir. Alors que le rapport annuel de l’exécutif au Parlement relatif à ces nouveaux indicateurs est un outil important d’évaluation des politiques publiques, celui de 2017 a été publié avec quatre mois de retard et celui de 2018, avec huit mois de retard. Les rapports 2019, 2020 et 2021 n’ont pas été adressés au Parlement.  

La bonne question à se poser est celle de notre capacité collective à atteindre des objectifs d’amélioration des conditions de vie, de réduction des inégalités, d’accès aux services publics, de qualité de l’éducation. Et ensuite, déterminer si la dépense publique est plus efficace ou non pour y parvenir. Je considère qu’elle l’est à de nombreux égards, car la puissance publique est en mesure de se projeter à long terme et n’est pas tenue de dégager chaque année plus de marges pour ses actionnaires. Qu’on pense au scandale d’Orpéa. Encore une fois, le débat sur le niveau de la dépense publique est un faux débat : ce qui n’est pas pris en charge par la puissance publique est pris en charge par nos concitoyens, dans des conditions souvent défavorables, notamment pour les plus modestes d’entre eux. La dépense publique, lorsqu’elle est bien orientée, crée de la croissance économique et de la prospérité commune.

Nous devons mesurer la performance à l’égard de la qualité du service rendu à l’usager.

Que prévoyez-vous pour la gestion de l’endettement de l’État ?

Premièrement, nous sommes dans une situation d’endettement fort, mais soutenable sur le long terme. Deuxièmement, l’État dispose du savoir-faire et de la capacité opérationnelle de bien gérer son endettement, pour en minimiser les contraintes et les coûts. Je suis consciente des enjeux mais je n’ai pas d’inquiétude. Je note par ailleurs qu’il existe un consensus solide chez les experts en la matière : la véritable problématique n’est pas tant le niveau d’endettement que la préservation de la capacité d’action de la puissance publique. À ce jour, cette dernière n’est pas remise en cause. 

Qu’est pour vous la performance publique ? Modifieriez-vous la manière dont elle est appréhendée et mesurée dans la procédure budgétaire et dont les administrations doivent en rendre compte (programmes et rapports annuels de performance) ? La mesure de la performance doit-elle être budgétaire ou centrée sur l’usager ?

Depuis la Révision générale des politiques publiques (RGPP), la France a développé une approche de la performance essentiellement basée sur une approche comptable. Même si la modernisation de l’action publique engagée durant le quinquennat de François Hollande a permis de redresser la barre, nous devons encore largement progresser en la matière : l’objectif de l’action publique, c’est de répondre à des problématiques économiques, sociales ou encore environnementales dans le sens de l’intérêt général. Pour prendre un exemple concret, je modifierai totalement la manière de financer l’hôpital public : je mettrai fin à l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour fonder les modalités d’évolution et de maîtrise de nos dépenses de santé sur des Objectifs nationaux de santé publique (ONSP), qui seront débattus par le Parlement. L’État doit être en capacité de répondre aux attentes des citoyens. La performance publique est aujourd’hui davantage une collection d’indicateurs sur la manière dont l’État fonctionne et s’organise que sur l’atteinte des objectifs de ses missions. Nous devons mesurer la performance à l’égard de la qualité du service rendu à l’usager. Bien sûr, il ne faut pas s’en priver si on peut le faire à moindre coût, mais c’est une conséquence et non l’objectif premier !

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