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Christelle Brun : “La qualité du travail est le ciment d’un collectif de travail efficace”

Pour Christelle Brun, psychologue du travail et des organisations, plus que le lien au travail, c’est la dimension même de l’activité qui est la composante essentielle de la qualité de vie au travail. “C’est le pouvoir d’agir sur son travail qui étaye l’individu et, par voie de conséquence, l’équipe et donc toute l’organisation. Qualité de vie au travail, oui, par la détermination des conditions de la qualité du travail”, écrit-elle.

Christelle Brun, psychologue du travail et des organisations.

L’acronyme “QVT” a succédé à celui de “RPS” et l’on peut s’en réjouir. Plutôt que d’axer l’étude du travail sur son aspect délétère, nous sommes invités à regarder ce même travail par le prisme du bien-être. Cependant, pas d’angélisme. Même si l’installation d’un baby-foot dans un espace commun peut inciter des collègues de services différents à (enfin) se parler, c’est une dimension trop restreinte et la démarche de construction de la qualité de vie au travail se déploie sur un terrain bien plus vaste.

De quoi parle-t-on quand on évoque la QVT et à quoi cela sert-il ? Il s’agit, en premier lieu, de se sentir bien au travail, bien dans son travail et bien avec les autres qui travaillent. Emmanuel Abord de Chatillon, à l’issue d’enquêtes effectuées dans les fonctions publiques, nous propose 4 dimensions pour atteindre ce bien-être : le sens, le lien, l’activité et le confort. On remarque donc que les conditions de travail arrivent en dernière place. En effet, lorsque l’on interroge un agent sur son travail et qu’il vous répond qu’il exerce dans un bureau confortable, la vigilance est de mise. Il ne se dévoile pas sur son travail, il décrit le lieu où il travaille : bel évitement !

Expérience vécue : dans un service déconcentré, alors que j’intervenais sur des questions liées à l’évolution des métiers, tous me vantaient les qualités de leur lieu de travail : clair, bien équipé, jolie cafétéria, plantes vertes, ambiance feutrée, terrasse… Parallèlement, on m’indiquait que l’ambiance y était délétère, que les encadrants au mieux ne s’adressaient pas la parole, au pire se livraient une compétition larvée. Il est bien plus facile de se mettre d’accord sur la couleur des papiers peints (et encore) que sur la façon de travailler ensemble.

Remettre le travail au centre

Si le lien au travail est la deuxième composante de la QVT selon Emmanuel Abord de Chatillon, c’est la dimension de l’activité qui me semble essentielle et que je placerais en première position pour ma part. À l’aune des travaux d’Yves Clot, je crois foncièrement que c’est la capacité de pouvoir bien faire son travail qui détermine, individuellement et collectivement, la qualité de vie au travail et qui préserve la santé au travail. C’est le pouvoir d’agir sur son travail qui étaye l’individu et, par voie de conséquence, l’équipe et donc toute l’organisation. Qualité de vie au travail, oui, par la détermination des conditions de la qualité du travail.

Plus que travailler dans un espace agréable, c’est être en capacité d’effectuer un travail de qualité qui garantit la santé.

Quoi de plus subjectif que la détermination des critères de qualité d’un travail bien fait ? C’est là la belle aventure, la réflexion individuelle sur ses pratiques, le questionnement, l’innovation, la création collective. L’empêchement de bien faire son travail est hautement pathogène, créateur de mal-être, de tensions et de conflits. Plus que travailler dans un espace agréable, c’est être en capacité d’effectuer un travail de qualité qui garantit la santé. Chacun a besoin de se reconnaître dans son travail, d’éprouver de la fierté dans l’exécution de ses missions. En 2014, 37 % des agents publics déclaraient ne pas ressentir (toujours ou souvent) la fierté du travail bien fait, dans une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).

Définir collectivement les critères d’un travail bien fait

En dehors de l’expression “ni fait ni à faire”, que j’entends souvent dans les équipes des services publics, c’est aussi une nostalgie d’un service de qualité rendu au public qui s’exprime. La succession des réformes, des réorganisations, des modifications de périmètres de territoire de compétences, le turn-over des encadrants, l’arrivée de collègues issus de cultures différentes, le complexe dialogue intergénérationnel et, depuis deux ans, les séismes organisationnels dus à la pandémie de la Covid-19 (…) créent un environnement instable, insécurisant, où les agents peuvent se ressentir dans l’obligation d’interpréter seuls les attendus de leur travail, de choisir comment interpréter la réglementation. Cette prise en charge isolée de la détermination des critères d’un travail bien fait est anxiogène. Il fait porter sur l’agent la responsabilité de ses choix. C’est aussi un risque psychologique par la charge mentale que ces décisions isolées entraînent. Le télétravail a pu encore augmenter ce ressenti de solitude.

Sur le plan collectif aussi, l’absence de construction d’un accord sur ce qu’est un travail bien fait crée des situations pathogènes. Le débat non organisé amène à des affrontements parfois plus que vifs entre collègues, comme j’ai pu le constater dans une direction départementale. Pour y remédier, sans le savoir, l’organisation concernée a engagé une démarche de qualité de vie au travail en lançant une dynamique collective de construction d’un “travailler-ensemble”. Cycle d’élaboration que j’ai eu la fierté d’accompagner. L’équipe a alors réfléchi sur les critères de qualité d’un travail bien fait sur le plan individuel et sur le plan de l’équipe. Et plus encore, la réflexion a porté sur la qualité d’un travail bien fait du point de vue de l’encadrement, de la direction, de l’usager et des partenaires.

La QVT a pu sortir des murs de l’institution publique pour s’enrichir et dialoguer avec ses interlocuteurs naturels. Bonus, ce travail sur les critères de qualité, en ouvrant le champ d’investigation sur les bénéficiaires et partenaires, a rendu son sens à l’action individuelle et collective. Le débat sur les critères du travail bien fait a consolidé l’équipe, clarifié les points de vue, mis en exergue les compétences. La coopération en a été renforcée. La QVT abordée sous l’angle de la définition de la qualité du travail cimente le collectif.

QVT et efficacité, un couple vertueux

Il ne s’agit pas de rentabilité, mais de la contribution de chacun et de l’équipe à ce qui est attendu d’une organisation publique. En psychodynamique du travail, il s’agit du sentiment d’utilité. Personne n’aime rendre un travail qu’il pense mal fait, en dehors des délais, à un coût supérieur à la commande. L’approche QVT par la qualité du travail propose une démarche concrète, pragmatique, réalisable et mesurable. La santé au travail est intrinsèquement liée à l’efficacité de l’acte professionnel. Marcel Mauss, sociologue, parlait d’acte traditionnel efficace. Traditionnel, pas au sens “immobile” du terme, mais au sens d’une technique qui se partage, qui s’évalue, qui fait l’objet d’un mode opératoire. Un travail vivant.

Pour construire ce référentiel au service de la performance, l’élaboration des règles du travail doit se construire collectivement. Ainsi, au détour d’une réflexion sur les changements qu’allaient induire de nouveaux logiciels métiers, j’ai vu un collectif de travail (une équipe de travail) d’un établissement public orienter progressivement ses débats sur la façon de travailler pour garantir la sécurité de ses opérations et convenir des règles à observer unanimement.

Il ne s’agit pas de rentabilité, mais de la contribution de chacun et de l’équipe à ce qui est attendu d’une organisation publique.

Et c’est là que la QVT, gouvernée par le désir de bien faire son travail, vient rencontrer l’objectif d’efficacité de toute une organisation. Oui, en fait ! dès lors que le débat est ouvert collectivement sur la façon de rendre un service, de délivrer un produit, nous sommes dans une démarche de qualité de vie au travail. Et en effet, ce n’est pas de tout repos. Décider de la couleur des fauteuils est bien plus simple ! Oui, d’un côté, il faut instaurer le dialogue, écouter les opinions des autres, oser dévoiler ses méthodes ; de l’autre côté, donner aux agents le pouvoir de penser leur travail et, surtout, s’engager à ce que ces élaborations collectives soient suivies de changements.

La QVT implique toute l’organisation publique. Non seulement ces échanges entre professionnels, qu’on appelle controverses en raison de la nécessaire vitalité qui doit y régner, sont complexes à faire vivre mais, en plus, elles exigent des orientations organisationnelles nouvelles sous peine d’entendre dans les couloirs : “On a encore parlé pour rien”.

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Club des acteurs publics

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