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Christophe Kerrero : “L’enjeu n’est pas de s’attaquer à l’élite, mais de l’élargir”

Recteur de la région académique d’Île-de-France, recteur de l’académie de Paris, chancelier des universités de Paris et d’Île-de-France, Christophe Kerrero détaille pour Acteurs publics les enjeux de la récente réforme de l’affectation des élèves de troisième. Le mérite reste central mais les problématiques de mixité sociale sont davantage prises en compte.

Quel bilan faites-vous de la réforme de la procédure d’affectation des élèves de troisième ?
À mon arrivée à Paris, en juillet 2020, j’ai immédiatement été interpellé par le sujet de l’affectation des élèves en seconde : elle faisait l’unanimité contre elle. Chez les parents, bien sûr, avec 2 000 recours pour 12 000 affectés, les élus, les chefs d’établissement… Le système était vécu comme un véritable concours, générait une anxiété généralisée et entérinait une logique de lycées de niveau poussée à l’extrême. J’ai donc demandé à Claire Mazeron, directrice académique en charge des lycées, de revoir les choses en profondeur. 
La réforme de la procédure d’affectation en seconde générale et technologique à Paris vise 3 objectifs : renforcer la mixité sociale dans tous les lycées parisiens, lutter contre la ségrégation scolaire (c’est-à-dire la situation actuelle, dans laquelle les meilleurs élèves se concentrent dans quelques établissements, alors que d’autres n’en accueillent aucun) et sécuriser une affectation de proximité, tout en élargissant le champ géographique des vœux possibles sur des lycées situés dans l’ensemble de l’académie (fin des 4 districts cloisonnés, dans lesquels les élèves étaient systématiquement affectés). 
Il s’agissait en même temps de renforcer la satisfaction des familles, en augmentant le taux de satisfaction sur les trois premiers choix de lycées (alors que ce dernier avait baissé de 11 points depuis 2016) et en affectant plus d’élèves dès le premier tour de la procédure. En 2020, 668 élèves n’avaient pu être affectés au premier tour Affelnet [une procédure informatisée d’affectation déployée sur les académies depuis 2008, ndlr], un chiffre paroxystique, pour une situation particulièrement angoissante pour les familles, même si tous les élèves avaient pu être affectés, au final, à la rentrée. 
L’ensemble de ces objectifs a été atteint, même si des ajustements pourront être localement justifiés. 

  • En matière d’efficacité de la procédure, 95,7 % des élèves ont été affectés dès le premier tour (contre 94,7 % en 2020) ; des places sont restées vacantes en nombre suffisant pour assurer une place à chaque élève avant la rentrée scolaire. L’entrée dans la procédure Affelnet d’une majorité d’établissements privés a notamment permis de limiter, dès le premier tour le phénomène, récurrent à Paris, des doubles inscriptions public-privé, qui bloquait plus de 1 000 places chaque année jusqu’à la rentrée scolaire. 
  • En ce qui concerne la satisfaction des familles, leur taux de satisfaction sur les 3 premiers vœux formulés est en augmentation de 4 points, avec plus de 60 % des élèves affectés sur leur premier vœu.  Le taux de satisfaction augmente très fortement dans 70 % des collèges parisiens et atteint plus de 90 % dans 55 collèges, contre 15 en 2020. Le nombre de recours exercés par les familles est par ailleurs à ce jour plus de deux fois moindre qu’en 2020. 
  • Sur la réponse à la demande de proximité des familles, tout en élargissant le champ des vœux possibles à l’ensemble des lycées parisiens, plus de 9 élèves sur 10 ont été affectés dans un rayon de 25 minutes par rapport à leur collège de sectorisation. Et ce sans que cette proximité ne porte atteinte à la mixité sociale des établissements (dans l’ancien district Est, le plus vaste, ce temps de transport pouvait dépasser 50 minutes). En même temps, plus de 700 places dans 31 lycées ont été offertes à des élèves ayant fait le choix de postuler dans un lycée plus éloigné, par exemple pour suivre une option ou une spécialité rare en classe de première, ou pour des raisons familiales. 
  • En matière de renforcement de la mixité sociale dans les lycées, il est important que les boursiers, qui constituent la population scolaire la plus fragile, soient affectés dès le premier tour ; or, à l’exception de 4 élèves, tous les boursiers l’ont été cette année, alors même que 162 ne l’avaient pas été en 2020. Qualitativement, il était également nécessaire que le taux de boursiers augmente dans les lycées les plus favorisés, dont l’IPS est très supérieur aux moyennes nationale et académique : les taux cibles de boursiers, renforcés dans tous les lycées socialement très favorisés ont ainsi été atteints, à l’exception de quelques lycées des anciens districts Ouest et Sud, où les vœux des boursiers n’étaient pas encore assez nombreux pour occuper les places offertes. Le taux de boursiers affectés se renforce notamment dans les lycées Carnot, Buffon, Chaptal, Charlemagne, Monet, Condorcet, Boucher, Janson de Sailly, Montaigne, Racine, S. Germain, V. Hugo et particulièrement au lycée Duruy, où il est multiplié par deux. Il diminue très fortement dans les lycées Bergson, Rabelais ou Quinet, établissements socialement très défavorisés. Par ailleurs, le taux de satisfaction des élèves boursiers sur leurs 3 premiers vœux se renforce et atteint cette année près de 95 %, contre 87 % en 2020.  
  • Quant au renforcement de la mixité scolaire et à la lutte contre les lycées de niveau, le barème scolaire du dernier admis diminue fortement dans tous les lycées, notamment dans les lycées les plus attractifs, preuve d’une moindre pression à l’entrée de chacun d’entre eux – et ce sans que l’affectation fondée sur les notes soit remise en cause. Des lycées comme Chaptal, Charlemagne, Sophie Germain, Racine, Monet, Fénelon, Boucher, La Fontaine, Lavoisier, ou Montaigne accueilleront davantage d’élèves de niveau intermédiaire ; à l’inverse, des lycées comme Voltaire, Weil, Claude Bernard, Camille See, Colbert, Diderot, Quinet, Dorian, Lamartine, Paul Bert rééquilibrent leur structure scolaire “par le haut”, en accueillant de meilleurs élèves. C’est un élément fondamental pour favoriser la réussite scolaire de l’ensemble des élèves. 

Aucun lycée ne doit être scolairement perçu comme un établissement « d’élite » ou à l’inverse de « relégation ». De telles représentations sont en effet délétères pour la réussite de l’ensemble des élèves.

Le mérite reste un élément central, mais il était donc important d’appréhender cette problématique de mixité sociale ?  
Il faut tout d’abord bien distinguer mixité sociale et mixité scolaire. La première vise à la cohabitation de populations scolaires issues de CSP différentes. La deuxième suppose que des élèves de niveaux scolaires différents soient présents dans le même établissement, sinon dans chaque classe de cet établissement : il est depuis longtemps prouvé que des classes ou des établissements trop homogènes ne permettent pas aux élèves, quel que soit leur niveau, de progresser et/ou de s’épanouir pleinement dans le cadre scolaire. 
À Paris, depuis la mise en place du bonus boursier, puis des “quotas ”de boursiers, la mixité sociale avait déjà progressé, mais avec deux écueils. D’une part, les boursiers recrutés sur les “quotas” dans les lycées les plus attractifs étaient les “meilleurs” boursiers : il n’y avait donc pas réellement de différence de niveau entre ces élèves et les non boursiers, et la mixité scolaire n’était pas assurée, même si la mixité sociale était présente. D’autre part, les 4 anciens districts (qui coupaient Paris en 4 quartiers : Nord, Est, Sud et Ouest) étant socialement très différents, alors même que le quota de boursiers dans chaque lycée était fixé selon le taux académique, il existait une très forte concurrence pour l’accès aux places “boursiers” dans le district Est (socialement le plus défavorisé et comptant la majorité des boursiers parisiens), alors que ces places n’étaient jamais pleinement attribuées dans les districts Sud et Ouest (faute de boursiers en nombre suffisant). Le cloisonnement des 4 districts empêchait, de fait, la possibilité pour un boursier de l’Est ou du Nord de postuler sur les places destinées aux boursiers au Sud ou à l’Ouest. Avec la fin des districts et l’ouverture des vœux possibles sur l’ensemble de l’académie, les places “boursiers” des lycées du Sud et de l’Ouest ont été mieux pourvues. 
Le nouveau système vise donc à la fois à renforcer la mixité sociale (avec la mise en place de taux cibles de boursiers relevés, par lycées plutôt qu’un taux académique, avec l’ouverture des districts, avec l’introduction d’un bonus “IPS* du collège d’origine”), mais aussi à réintroduire une mixité scolaire, qui existe dans tous les lycées de France sauf à Paris. 
En effet, parler de “mérite” concernant une demande d’affectation en seconde générale et technologique est un biais de l’ancien système Affelnet, qui avait transformé la procédure d’affectation en concours : dans la mesure où les élèves pouvaient postuler dans 10 à 15 lycées de leur district, et où ces établissements étaient extrêmement (et subjectivement) hiérarchisés par les familles, c’étaient en effet les points obtenus par les résultats scolaires qui permettaient de distinguer les élèves, ce système contribuant à renforcer encore la ségrégation scolaire : les “bons élèves” n’étaient ainsi pas incités à postuler sur un lycée “de cœur”, plus proche ou proposant une option souhaitée, car ils prenaient le “risque” de n’être affectés qu’avec des élèves “fragiles”. 
Une orientation en seconde générale et technologique est le résultat du travail de l’année de troisième, et doit en effet reposer sur le mérite de l’élève. Mais une affectation, c’est-à-dire l’accès à un établissement dispensant la formation pour laquelle l’orientation a été prononcée, est un droit, et le “mérite”, dans l’absolu, ne devrait pas être pris en compte, puisque l’élève a déjà “gagné” ce droit en obtenant son orientation en seconde générale et technologique. En cela, et même s’ils sont souvent comparés, Affelnet et Parcoursup [le système d’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur, ndlr] sont de nature fondamentalement différente : dans le premier cas, tous les élèves “candidatent” sur une formation identique, une seconde générale et technologique, pour laquelle le nombre de places dans les lycées est ajusté au regard du nombre d’orientations prononcées : à cet égard, les programmes étant identiques dans chaque lycée et les professeurs recrutés nationalement, rien ne justifie qu’une affectation en seconde soit plus méritée ou mieux considérée qu’une autre. Dans le second cas (Parcoursup), les formations dans lesquelles les bacheliers candidatent ne sont pas de même nature (elles requièrent donc des compétences différentes de la part les élèves) et sont par ailleurs contingentées : il est donc légitime que le mérite, entendu comme la capacité démontrée par un élève à réussir dans la formation choisie, soit pris en compte. 
Partout ailleurs qu’à Paris, Affelnet est un algorithme d’affectation des élèves dans lequel le mérite n’a aucune place : même si des points de résultats scolaires sont générés (c’est une disposition nationale de l’algorithme), le fait qu’un unique établissement de secteur soit proposé aux élèves évite toute concurrence et conduit à y affecter des élèves de niveaux hétérogènes. La seule question qui peut alors se poser est celle de la constitution du secteur scolaire, afin qu’une mixité sociale puisse également être présente. 

Le modèle émulatif français, qui a permis à la France de relever des défis technologiques considérables comme le TGV, n’est plus suffisamment adapté aux défis du temps.

Peut-on parler de discrimination positive ? 
Chaque lycée parisien a vocation à être un lycée d’excellence. On pourrait parler de discrimination positive si l’objectif du bonus boursier, des quotas de boursiers ou encore du bonus IPS était de “corriger” une inégalité, en facilitant l’entrée des élèves de CSP défavorisées dans des lycées jugés meilleurs que d’autres : cela supposerait donc que l’institution elle-même considère que certains établissements, et en particulier ceux qui sont plébiscités par les familles, sur des critères parfois très subjectifs, font mieux réussir leurs élèves. Or ce n’est pas l’esprit de la réforme, qui ne vise pas à accorder un avantage à certaines populations scolaires, mais à rééquilibrer la structure sociale et scolaire des lycées parisiens, en considérant qu’aucun d’entre eux ne doit être scolairement perçu comme un établissement “d’élite” ou à l’inverse de “relégation”. De telles représentations sont en effet délétères pour la réussite de l’ensemble des élèves, qui ne parviennent plus à se situer correctement dans leurs apprentissages au regard des attentes d’un élève “lambda” de seconde générale et technologique. Elles peuvent également être déstabilisantes pour les professeurs qui, là encore, auront d’un côté des exigences trop élevées et de l’autre des attentes moindres, faute de classes a minima hétérogènes. Chaque lycée parisien a ainsi vocation à être un lycée d’excellence, ainsi que le montre le nombre de vœux considérables émis par des élèves domiciliés hors de Paris, pour qui certains des établissements boudés des Parisiens sont au contraire attractifs.
Paris étant par ailleurs l’académie socialement la plus ségréguée de France (les extrêmes sociaux cohabitant sur un territoire réduit, parfois à une échelle très fine), l’attention à la mixité sociale des lycées doit être également plus forte qu’ailleurs, faute de quoi l’on génère des établissements ghettos où se concentrent d’un côté l’extrême richesse et de l’autre l’extrême pauvreté. En 2020, le différentiel d’IPS entre le lycée général et technologique le plus favorisé et le moins favorisé de l’académie de Paris était de l’ordre de 60 points. Cette situation n’est pas acceptable. 
Les 2 principales mesures “sociales” de la réforme (adaptation des quotas de boursiers en fonction du profil du lycée, introduction du bonus IPS) ne sont donc pas centrées sur la volonté de donner un avantage comparatif individuel à certains élèves, mais visent à créer les conditions d’une mixité sociale et scolaire au sein de chaque lycée, par l’apport d’élèves de profils sociaux et scolaires diversifiés. En amont de l’entrée au lycée, le bonus IPS vise également à inciter les familles à jouer le jeu de la mixité sociale et scolaire dès l’entrée au collège : ainsi la famille CSP+ qui choisit de placer son enfant dans son collège de secteur, même lorsque celui-ci est moins “coté”, plutôt que de demander une dérogation pour un collège plus favorisé ou de prendre une inscription dans l’enseignement privé, bénéficiera-t-elle, quatre ans plus tard, du même bonus IPS que l’élève CSP- du même collège.  

Si Polytechnique ou l’ENA ont si peu d’élèves issus des classes populaires dans leurs rangs, c’est que le processus sélectif à l’œuvre, qui démarre très tôt, ne remplit pas son rôle.

La haute fonction publique ne serait pas assez représentative de la société : cela se joue-t-il avant le baccalauréat ?  
Les défis considérables qui sont devant nous, non seulement à l’échelle de notre pays, mais à celle de la planète, nous obligent à modifier notre modèle. On le voit dans la crise sanitaire que nous traversons. Trouver un vaccin en un minimum de temps a nécessité des moyens considérables, bien sûr, mais surtout un travail d’équipe réunissant toutes les forces. Or le modèle émulatif français, qui a permis à la France de relever des défis technologiques considérables comme le TGV, n’est plus suffisamment adapté aux défis du temps. Il a poussé le tri et la sélection jusqu’au point où nous ne pouvons compter que sur une toute petite élite, alors même que nous devons nous appuyer sur tous les talents. Car la méritocratie, ce n’est ni le darwinisme ni la reproduction sociale. Entendons-nous bien, l’enjeu n’est pas de s’attaquer à l’élite, mais de l’élargir. 
Si Polytechnique ou l’ENA ont si peu d’élèves issus des classes populaires dans leurs rangs, c’est que le processus sélectif à l’œuvre, qui démarre très tôt, ne remplit pas son rôle. Et c’est tout particulièrement le cas à Paris, où la logique de concurrence individuelle poussée à l’extrême, depuis la maternelle parfois, prime trop souvent sur le sens de l’intérêt général, qui permet de vraies réussites individuelles et collectives. De ce point de vue, la réforme de l’affectation en seconde, en souhaitant faire de chaque lycée un lycée d’excellence, avec des élèves qui progressent les uns avec les autres dans un nouveau modèle émulatif collégial et non individuel, va dans ce sens. Car n’oublions pas une chose : même dans le lycée le plus réputé et, en son sein, dans la classe la plus réputée, il y aura un premier et un dernier. À l’inverse, dans des lycées de moindre réputation, les élèves ne sont pas toujours assez stimulés et risquent de développer moins d’ambition. De combien de talents se prive-t-on chaque année du fait de ces phénomènes ? Nous ne pouvions laisser les choses en l’état. 

Comment cette mesure volontariste a-t-elle ou va-t-elle contribuer à rehausser le niveau des lycées les moins considérés ? 
Nous allons accompagner les lycées qui vont accueillir un public différent en pariant sur la formation des professeurs mais aussi en leur donnant des moyens supplémentaires quand c’est nécessaire.
La modification de la sectorisation (fin des districts et mise en place de 3 secteurs autour de chaque collège) a permis de faire baisser fortement le taux de pression s’exerçant sur les lycées les plus attractifs, le nombre de collèges rattachés à chacun d’entre eux étant beaucoup plus réduit. Cela a permis d’y faire entrer des élèves de niveau plus intermédiaire, sans pour autant déstabiliser la structure scolaire de ces établissements : ainsi le lycée Charlemagne, auquel postulaient jusqu’en 2020 les élèves de 50 collèges du district Est, compte-t-il désormais dans son secteur de recrutement privilégié une vingtaine de collèges seulement. C’est ce qui lui permet d’accueillir, à la rentrée 2021, six fois plus d’élèves avec une moyenne inférieure à 15/20 qu’en 2020, tout en maintenant toutefois un recrutement majoritairement constitué de très bons élèves. 
De surcroît, le bonus IPS permet à des élèves plus moyens de compenser en partie les points de résultats scolaires : cette disposition permet, là encore et sans toucher au barème national des résultats scolaires, de donner un petit coup de pouce à l’entrée dans les lycées plus attractifs aux élèves de niveau intermédiaire.
À l’inverse, de meilleurs élèves entrent massivement dans des établissements auparavant moins estimés des familles : ainsi le lycée Voltaire va-t-il accueillir, à la rentrée 2021, trois fois plus d’élèves ayant, en classe de 3ᵉ, une moyenne supérieure à 14/20 qu’en 2020 ; cela représente une dizaine d’élèves de très bon niveau par classe de seconde, soit le tiers de l’effectif d’une classe dans ce lycée, qui bénéficie par ailleurs d’un environnement de travail optimal et d’une offre d’enseignements de spécialité et d’options parmi les plus riches de la capitale, mais qui souffrait, sans raisons objectives, d’une assez mauvaise image chez de nombreuses familles.
Cette situation se retrouve dans tous les lycées dits “intermédiaires” de la capitale, qui bénéficient désormais du seuil critique de “têtes de classe” permettant une progression pédagogique optimum. Il s’agit d’une évolution, non d’une révolution. Pour autant, nous allons accompagner les lycées qui vont accueillir un public différent en pariant sur la formation des professeurs mais aussi en leur donnant des moyens supplémentaires quand c’est nécessaire. 

Comment avez-vous travaillé sur cette réforme : avec quelle méthode, quelle association des parties prenantes (communauté éducative, mais aussi élus) ?  
Cette réforme ambitieuse est d’abord une réforme d’équipe, menée sur la base d’une très large concertation pendant toute l’année. Le projet de réforme, travaillé depuis septembre 2020 par une large équipe académique (constituée des Dasen et Daasen** collèges et lycées, des services de l’orientation et de l’affectation, des services informatiques ainsi que des inspecteurs de l’orientation), s’est fondé sur un examen attentif des recours gracieux et contentieux effectués au cours des dernières années, ainsi que sur une très large concertation tout au long de l’année, en groupes de travail, et sur des rencontres régulières avec : 
- les fédérations de parents d’élèves FCPE et PEEP ; 
- les organisations syndicales des personnels de direction ; 
- les organisations syndicales des personnels d’enseignement et d’éducation ; 
- les correspondants parisiens de l’inspection générale ; 
- les médiateurs académiques ; 
- les élus parisiens (maires et adjoints d’arrondissement, mairie centrale, députés, sénateurs, conseilleurs régionaux). 
La mise en œuvre des propositions a par ailleurs été régulée selon trois principes : 
- le “faisable” : l’algorithme Affelnet est un outil national, dont les fonctionnalités sont déjà poussées à l’extrême à Paris. Il n’était donc pas possible de multiplier les bonus au-delà d’un nombre fixé à l’échelle nationale, ni d’affiner davantage les situations individuelles d’élèves : la demande de certaines fédérations de parents de prendre en compte le quotient familial de chaque famille (plutôt que le statut de boursier) ne pouvait par exemple pas être satisfaite. Il n’était pas non plus possible d’aller au-delà de 3 tranches d’IPS pour ce bonus. Ou de prendre en compte l’adresse individuelle de l’élève plutôt que son collège de sectorisation pour la fixation de son adresse de référence. À noter que chaque simulation conduisait à faire tourner l’algorithme pendant près de douze heures et que les risques d’erreur étaient multipliés par la complexité des paramètres pris en compte. 
- le “souhaitable” : nos objectifs ont été partagés dès le début du travail d’évolution et ont fait l’objet d’un accord avec nos interlocuteurs (favoriser la proximité géographique, tout en élargissant le champ des vœux possibles et sans créer d’effet de “ghetto” ; renforcer la mixité sociale fine des lycées, tout en valorisant davantage les familles qui jouent le jeu de la mixité sociale et scolaire au collège ; renforcer la mixité scolaire) ; 
- l’“acceptable” : les évolutions à conduire étaient extrêmement sensibles et ne devaient pas déstabiliser brusquement les familles comme les établissements ; elles devaient être envisagées dans une perspective progressive de moyen et long termes. À cet égard, nous avons écarté par principe certaines propositions des fédérations de parents d’élèves, même si leur principe n’était pas inintéressant : par exemple, la mise en place immédiate de proportions égales de bons élèves, élèves moyens et élèves faibles dans chaque lycée parisien.  
La directrice académique en charge des lycées, Claire Mazeron, son adjoint, Jean-François Barle, comme celui en charge des collèges, Grégory Prémon, et les services académiques se sont par ailleurs fortement mobilisés dans l’explicitation des principes de la réforme auprès des familles et des élus (une dizaine de webex de présentation par bassins, de très nombreuses audiences de collèges ou d’élus d’arrondissement), dans un contexte de fortes inquiétudes exprimées face au changement. Les personnels de direction, très conscients des enjeux, ont également mis toute leur force de conviction auprès des familles. Les professeurs principaux de 3ᵉ et les PsyEN ont su expliquer aux élèves les nouvelles modalités d’affectation dans les lycées parisiens. Enfin, à cette occasion, j’en profite pour souligner que cette réforme ambitieuse est d’abord une réforme d’équipe et c’est seulement à cette condition que nous avons pu la mener.
Un comité de suivi, présidé par Julien Grenet, directeur de recherches au CNRS (et spécialiste des questions relatives à la mixité sociale et scolaire), et composé des représentants de toutes les parties prenantes précédemment citées, a été mis en place. Lors de sa première réunion, le 12 avril 2021, les ultimes ajustements (sectorisation, taux de boursiers) ont été actés pour la session d’affectation 2021. 

Quelle est la place de l’évaluation ? Au-delà, comment les travaux de recherche de Julien Grenet s’organiseront-ils ? Comment va-t-il travailler, selon quel calendrier ?
L’évaluation complète des résultats sera effectuée par l’équipe de recherche constituée autour de Julien Grenet, au cours du premier trimestre 2021-2022. Les premiers résultats de la session d’affectation 2021 ont été analysés sur la base des mêmes critères que ceux qui avaient été utilisés lors des 16 simulations. L’évaluation complète des résultats devra toutefois être effectuée par l’équipe de recherche constituée autour de Julien Grenet, au cours du premier trimestre 2021-2022. Ces travaux feront l’objet d’une présentation lors du comité de suivi qui se réunira avant décembre 2021, et pourra proposer des ajustements pour la session d’affectation 2022. L’implication de Julien Grenet est essentielle à mes yeux, car elle constitue une garantie d’objectivité dans l’évaluation des effets de la réforme. 

Votre réforme est-elle duplicable ailleurs, dans d’autres territoires ?  
Dans l’académie de Paris, le système d’affectation en classe de seconde générale et technologique repose sur un système dit régulé, fruit d’une carte scolaire souple (pas d’unique “lycée de secteur”) et de la très grande proximité des établissements sur un périmètre réduit. Cette configuration est relativement unique en France, même si quelques grandes métropoles régionales comptent plusieurs lycées proches les uns des autres au sein de leur agglomération : en province, les élèves se rendent donc majoritairement dans un lycée de secteur, qui est aussi l’établissement le plus proche géographiquement, et les effets de concurrence constatés à Paris n’existent pas (ou peu).
Le modèle parisien, avec son système de “bonus” qui se compensent afin de parvenir à un équilibre socio-scolaire dans chaque lycée, n’aurait donc de sens, ailleurs, que dans le cadre d’un assouplissement de la carte scolaire, avec des vœux possibles sur plusieurs établissements.
Toutefois, les principes sur lesquels repose la réforme (prise en compte de l’IPS du collège d’origine, quotas de boursiers par établissement, sectorisation à plusieurs “cercles”) constituent des bases intéressantes dans le cadre d’une meilleure mixité scolaire et sociale des établissements, quel que soit le territoire considéré. 

* Créé en 2016 par la direction de l’évaluation de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale, l’indice de position sociale (IPS) permet d’estimer la situation sociale des élèves d’un établissement. 
** Les directeurs académiques et directeurs académiques adjoints des services de l’éducation nationale (Dasen et Daasen) sont chargés d’animer et de mettre en œuvre la politique éducative dans les départements.

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