Partager

5 min
5 min

“Dans le domaine de la santé, la métropole n’apparaît pas en première ligne”

Dans cet extrait de l’ouvrage La Métropole par la santé ? s’appuyant sur les coopérations dans les territoires de l’Orléanais, les auteurs relèvent les enjeux, les problématiques, les difficultés et les opportunités à l’œuvre en matière d’offre de santé territorial. La Métropole par la santé ?, Pierre Ollorant, Sylvain Dournel, Fouad Eddzi, Franck Gérit, ouvrage édité dans le cadre du programme Popsu, édition Autrement.

D’emblée, le lien entre santé et métropolisation interroge. Dans une perspective historique, le lien entre la santé et l’urbanisation est ancien et a suscité des travaux en droit administratif, tel le Traité d’hygiène générale des villes et agglomérations communales d’Albert Bluzet en 1910. Hôpitaux et médecine avancée, spécialisée, sont l’apanage des “bonnes villes” sous l’Ancien Régime, des principales agglomérations urbaines côtières et fluviales, sièges des chefs-lieux de province et d’intendance (une trentaine), avec une carte qui préfigure nos actuelles 22 métropoles au sens administratif, alors que les campagnes doivent se contenter, à partir de 1803, d’“officiers de santé”, praticiens dépourvus du titre de docteur en médecine. Depuis la grande réforme hospitalière des ordonnances de Michel Debré du 30 décembre 1958, contemporaine de la refonte de la carte judiciaire et de la déconcentration au profit des préfets de région, le fait d’être “grande ville de province” est confirmé par la présence d’un centre hospitalier universitaire (CHU). La carte de ces établissements recouvre à nouveau 30 agglomérations, complétées par deux “anomalies” : les hôpitaux régionaux, mais non universitaires, de Metz et d’Orléans. 

L’emploi généralisé en France, pour ces capitales régionales ou grandes villes, du terme de “métropole” a été facilité par la politique d’aménagement du territoire vigoureusement impulsée par la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar) à partir de 1963, et sa volonté de faire contrepoids à la croissance francilienne en s’appuyant sur le dynamisme retrouvé des “métropoles d’équilibre”, cités provinciales longtemps endormies et dévitalisées par l’excès de centralisation, ce “Paris et le désert français” dénoncé par Jean-François Gravier. L’absence de très grandes villes en région Centre a conduit à développer la “métropole-jardin”, sillon ligérien d’Orléans à Tours composé d’un chapelet de villes aux fonctions complémentaires, d’espaces naturels et de lieux patrimoniaux remarquables. Abandonnée par l’État au moment des chocs pétroliers, cette ambition d’aménagement du territoire régional a refait surface depuis l’accession au statut métropolitain d’Orléans et de Tours, tant ces métropoles incomplètes et concurrentes auraient à gagner d’une coopération renforcée, en particulier dans le domaine de la santé. Cependant, le lien entre métropolisation et santé – cet état de complet bien-être d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – ne va pas de soi.

La métropolisation planétaire est mise en accusation pour sa responsabilité dans la diffusion foudroyante de la pandémie de la Covid-19.

Et pourtant, depuis mars 2020, la métropolisation planétaire, celle de l’“économie d’archipel” composée par le réseau des grandes régions urbaines analysée par Pierre Veltz, est mise en accusation pour sa responsabilité dans la diffusion foudroyante de la pandémie de la Covid-19. Le “système mondialisé urbain” est mis sur la sellette sanitaire ; cette “hyperspatialité” met en connexion et “offre au coronavirus un marché de contamination de 7 milliards d’habitants : aujourd’hui, quand une ville chinoise se grippe, la planète entière garde la chambre4”. Si la cause semble entendue, parle-t-on bien de la même chose ? La métropolisation désigne à la fois la diffusion du modèle des très grandes agglomérations urbaines mondiales multimillionnaires5 et, en France, la banalisation d’un statut juridique auparavant réservé à une dizaine de grandes villes de province, étendu récemment à la “classe moyenne” d’une première division des 22 plus importants chefs-lieux (cf. Carte 2, p. 15). En somme, la métropolisation doit être ici comprise comme le phénomène de diffusion de la forme institutionnelle métropolitaine et de développement de l’influence de celle-ci. Dans ce contexte, l’articulation entre la métropolisation et la santé recouvre à la fois des problématiques juridiques en termes d’exercice de compétences partagées, d’enjeux de santé publique (démographie médicale, crise hospitalière, inégalités d’accès aux soins) et de modes de vie et d’urbanisme – de l’alimentation aux pratiques sportives, du logement aux plans de déplacements urbains. 

Or, dans le domaine de la santé, la métropole n’apparaît pas en première ligne, à l’inverse de l’État et de la commune, traditionnellement en charge de la formation médicale, des hôpitaux et de la salubrité et de l’hygiène publiques. La métropolisation apporte-t-elle des leviers supplémentaires pour surmonter le défi de la désertification médicale ? L’enjeu est fondamental pour Orléans Métropole, capitale d’une région classée au dernier rang au regard de la densité des professionnels de santé, et métropole récente, incomplète du fait de son absence de faculté de médecine qui prive son centre hospitalier régional (CHR) de l’attractivité liée au label universitaire et, en conséquence, aggrave la pénurie et l’absence de renouvellement des praticiens dont beaucoup partiront à la retraite d’ici à 2030. Si la santé ne saurait se résumer à l’accès aux soins, la qualité de vie des habitants d’une métropole, et des territoires périurbains et ruraux qui l’entourent et vivent en connexion avec elle, ne peut se passer de la protection de la santé qu’assure une densité de professionnels publics et libéraux accessibles aux patients d’une large sphère d’influence qui dépasse le département du Loiret vers l’Eureet-Loir (Châteaudun), le Cher (Vierzon) et le Loir-et-Cher (Romorantin), en complément du rayonnement de Tours sur l’ouest, de Vendôme à Loches.

Des entraves à l’émergence métropolitaine en matière de santé existent, qui tiennent à une base juridique peu favorable reflétée par un cadre de coopération encore embryonnaire.

C’est à ce prix que les deux “métropoles régionales intermédiaires” pourront pleinement jouer leur rôle de “villesmères” au sein de l’armature urbaine, et même envisager de passer de la “troisième division” que leur assignent Gérard-François Dumont et Laurent Chalard à la deuxième, avec principalement pour objectif un accès social et territorial démocratisé au bien-être et au bien-vivre. Orléans, métropole jeune confrontée à l’urgence de la santé, s’inscrit dans un récent processus de métropolisation, sans résoudre à ce stade le défi de l’insuffisance de l’offre de soins pour ses habitants. En effet, des entraves à l’émergence métropolitaine en matière de santé existent, qui tiennent à une base juridique peu favorable reflétée par un cadre de coopération encore embryonnaire. Cependant, la santé peut devenir un instrument de la métropolisation. Orléans Métropole s’est dotée récemment de leviers pour développer une politique en faveur de la santé et favorise l’émergence de scènes de dialogue entre acteurs, elles-mêmes à l’origine de nouveaux leviers interterritoriaux. Un désir de métropole semble émerger, dans une perspective géographique renouvelée au service de l’Orléanais et de son espace régional. La métropole pourrait, paradoxalement, se construire par la santé, aujourd’hui faiblesse et défi pour l’attractivité et la qualité de vie dans l’Orléanais, demain outil de solidarité des territoires.

La Métropole par la santé ?, Pierre Ollorant, Sylvain Dournel, Fouad Eddzi, Franck Gérit, ouvrage édité dans le cadre du programme Popsu, édition Autrement.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×