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Éric Freysselinard : “Nous serons l’intermédiaire entre les mondes de la recherche et de l’opérationnel”

Continuum de sécurité, formation à la gestion de crise, évolution du rôle des managers : le directeur du nouvel Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur (Ihemi) détaille la mise en route de cette instance née de la fusion de l’INHESJ et du Chemi.

L’Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur a été créé en septembre 2020 de la fusion du CHEMI et de l’INHESJ. Ce rapprochement est-il aujourd’hui “digéré” ? 
J’ai été chargé de réunir deux établissements ayant chacune une histoire très riche. L’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) existait depuis trente ans, le Centre des hautes études du ministère de l’Intérieur (CHEMI) depuis dix ans. Chacun avait une culture qui lui était propre, des équipes engagées qui avaient nombre de points communs puisqu’elles oeuvraient en matière de formation, de réflexion ou de recherche. Après quelques mois d’interrogations naturelles liées à cette période de transformation, les choses se sont mises en place et les équipes ont maintenant à cœur de développer ce projet enthousiasmant. 

Vos effectifs rassemblent une cinquante de personnes venues du CHEMI et de l’INHESJ. Des postes ont été supprimés…
Les effectifs ont en effet été réduits de moitié du côté de l’INHESJ et au total nous passons d’une centaine à une cinquantaine de personnes réparties sur les sites de l’École militaire et de Maisons-Alfort (siège de l’ancien CHEMI), mais nous aurons un fonctionnement plus simple, ce qui sera source d’économies de moyens. L’INHESJ était un établissement public, avec un conseil d’administration. Étant désormais un service à compétence nationale relevant du secrétariat général du ministère de l’Intérieur, l’IHEMI n’a plus à gérer certaines missions administratives, telles que les salaires des collaborateurs, qui sont portés par le ministère. Mais sur le fond, nous gardons et développons les thématiques qui étaient portées par l’INHESJ et le CHEMI avec trois mots-clefs : rayonnement, formation et recherche. Nous gardons bien sûr les sessions nationales attirant des dizaines de personnes de tous horizons, fonctionnaires et société civile ; elles sont extrêmement riches en matière de dialogue des cultures et d’échanges. Nous vivons dans un monde de défiance à l’endroit de la chose publique, des comptes sont demandés à l’administration : il faut donc une transparence accrue et ces sessions y contribuent. Nous développons aussi les formations pour le corps préfectoral sur le plan de relance, la pauvreté, le management, la sécurité… En matière de recherche, nous œuvrons en lien avec le CNRS et l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour financer certains travaux. Les problématiques de la radicalisation dans le sport, la question des enfants rentrant de Syrie ou l’étude des fichiers des radicalisés sont des champs qui feront l’objet de recherches. Nous aiderons les doctorants qui se lancent dans des thèses sur des sujets de sécurité et de justice et nous leur ouvrirons les portes des administrations.

Nous continuerons nos échanges et rencontres avec l’École nationale de la magistrature pour porter ce continuum sécurité-justice en restant ouverts aux magistrats, aux services de la protection judiciaire de la jeunesse et de la direction de l’administration pénitentiaire.

Vous incarnerez donc le continuum sécurité et justice ? 
C’est en effet notre mission. Nous continuerons nos échanges et rencontres avec l’École nationale de la magistrature pour porter ce continuum sécurité-justice en restant ouverts aux magistrats, aux services de la protection judiciaire de la jeunesse et de la direction de l’administration pénitentiaire. Et nous entendons aller au-delà de ces problématiques de justice et sécurité en nous adressant par exemple au monde de l’enseignement. Nous voudrions lancer un cycle sur la citoyenneté qui aborderait ce qu’est l’État et la République, la manière dont la décision est prise au niveau gouvernemental, la fabrique d’un décret, d’une loi, le sens de la laïcité. C’est évidemment un sujet qui intéresse Mme Marlène Schiappa, qui est ministre déléguée à la Citoyenneté, auprès de Gérald Darmanin.

Un mot vous concernant : vous n’étiez ni dans la direction de l’INHESJ, ni dans la direction du CHEMI. Fallait-il une personnalité extérieure aux deux entités pour prendre la tête de l’IHEMI, vous qui êtes préfet et ancien directeur des stages de l’ENA ? 
Je ne vais évidemment pas commenter ma nomination, mais mon « ADN » et mon parcours que vous évoquez sont très propices pour cette mission à la tête de l’établissement. J’ai été préfet et j’ai servi en administration centrale : je connais les problématiques et les enjeux nationaux et du terrain, ce qui est nécessaire pour construire les formations. J’ai été, comme vous le mentionnez, directeur des stages de l’ENA pendant 5 ans, j’ai par ailleurs démarré ma carrière comme professeur d’espagnol… Prendre aujourd’hui la tête de l’IHEMI est un prolongement de mon parcours et je suis très heureux de m’investir pour porter le développement de notre Institut, au côté d’équipes très engagées. 

La place de l’État au centre du jeu paraît moins naturelle. L’État doit s’adapter et se placer davantage dans un rôle de chef d’orchestre en s’appuyant sur les acteurs locaux.

Les crises se multiplient depuis 10 ans : terroriste, financière, sanitaire… Comment anticiper les prochaines ? Comment œuvrer sur le champ de la prospective ? 
C’est l’un des champs que nous investissons mais nous souhaitons en ouvrir de nouveaux. Le récent livre blanc de la sécurité intérieure demandait à l’IHEMI de réfléchir aux enjeux de prospective par le lancement d’un observatoire des crises. Nous allons ainsi travailler sur la prospective, notamment pour anticiper les scénarios de crise, en commençant par interroger les responsables des cellules de prospective des différentes structures publiques avec la volonté de nous projeter dans l’avenir, d’identifier les crises de demain et les scénarios de réponses. Au-delà de la crise sanitaire que nous traversons, les crises à venir pourront être climatiques, numériques… À nous d’imaginer les scénarios du pire et d’y apporter des solutions et des formations dédiées. Nous disposons d’un plateau de crise à l’École militaire qui s’ouvre à des hauts responsables pour leur apporter des clefs opérationnelles. Nous allons développer les outils nécessaires pour apporter des méthodes, former aux attitudes à adopter. Il faut vraiment muscler ces questions tant les problématiques sont fortes. Habituellement lors d’une crise, des réponses capacitaires sont apportées : le préfet du département peut être accompagné, avec des moyens dédiés. Mais depuis trois ans, les crises sont nationales et touchent tous les territoires de manière simultanée : crise des Gilets jaunes, crise sanitaire. Et la crise semble parfois permanente, alors qu’elle est habituellement provisoire. Cela modifie profondément l’approche managériale des responsables.

Justement, quel regard portez-vous sur l’évolution des top managers publics depuis 10 ans ? 
Leurs moyens sont plus limités, leurs équipes plus restreintes. Les organigrammes ont évolué, les structures étatiques se sont transformées. Et en parallèle ils évoluent dans un monde plus difficile avec une contestation du rôle et de la responsabilité des élus et de l’État qui s’est développée. La place de l’État au centre du jeu paraît moins naturelle. L’État doit s’adapter et se placer davantage dans un rôle de chef d’orchestre en s’appuyant sur les acteurs locaux. Le développement des nouvelles technologies et l’accès à l’information en temps réel rendent aussi la gestion bien plus compliquée pour les hauts fonctionnaires qu’il y a 20 ans. Mais, évidemment, ils s’adaptent. Et ils doivent être formés pour cela. L’IHEMI y contribue. 

Allez-vous nouer des partenariats et des liens avec les écoles du service public ? 
Nous allons travailler sur des sujets communs avec des établissements tels l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE)… Je rencontre par ailleurs les ministères pour discuter de collaborations. Il est très important que les questions de sécurité et de justice soient partagées par le plus grand nombre d’administrations. La coordination et la complémentarité entre les enseignements des managers était d’ailleurs l’une des préconisations du rapport Thiriez. 

Comment s’organiseront les mois à venir ? 
Nous bouclerons au printemps l’élaboration de l’ensemble de nos sessions annuelles en liaison avec les administrations compétentes. Une fois les cursus de formation redéfinis, nous lancerons la campagne de recrutement des auditeurs, avec une campagne de communication. Avec la montée en puissance de l’Observatoire des crises et de nos travaux de recherche, nous serons également l’intermédiaire entre les mondes de la recherche et de l’opérationnel au service de l’État. Bref, cette année sera riche, ce qui est nécessaire tant les enjeux que nous couvrons sont structurants pour la sphère publique et la société tout entière.

Propos recueillis par Sylvain Henry 

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