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Éric Woerth : “La réponse ne peut pas toujours être dans des règles budgétaires”

Le président LR de la commission des finances de l’Assemblée nationale, ancien ministre du Budget, estime que dans le domaine financier, il faut plus de puissance à l’étage parlementaire, et notamment plus de puissance d’analyse et de compréhension des phénomènes.

Vous avez sévèrement critiqué le projet de loi de finances pour 2022. Comment jugez-vous la sortie du “quoi qu’il en coûte” ?
J’ai soutenu le “quoi qu’il en coûte”, nécessaire à mes yeux dans une économie qui s’arrêtait. J’ai voté et appelé à voter les lois qui le mettaient en œuvre. La sortie de crise doit être aussi vertueuse que ce qui a été fait pour soutenir le pays durant la crise. Il nous faut tenir compte de l’expérience et des autres sorties de crise que l’on a connues. L’augmentation des impôts après la crise de 2008 avait été trop forte, contracyclique au point de ralentir la reprise. Il ne faut pas empêcher le feu qui reprend en soufflant trop fort sur les braises et en provoquant l’effet inverse de ce que l’on recherche. Mais par rapport à 2008, il existe une vraie différence : à l’époque, la Banque centrale européenne ne jouait pas le rôle qu’elle joue aujourd’hui. Au niveau des États, il faut donc trouver le bon équilibre. J’observe que, dans le projet de loi de finances pour 2022, le gouvernement retire 60 milliards ­d’euros de dépenses exceptionnelles liées à la crise, mais qu’au final la dépense publique ne baissera que de 30 milliards… On convertit donc certaines dépenses d’urgence en dépenses courantes.

Où nous situons-nous par rapport à nos voisins européens ?
Objectivement, la France a abordé la crise dans une situation de faiblesse relative par rapport aux autres pays. Le gouvernement se félicitait à l’époque d’une amélioration des indicateurs par rapport aux résultats de la France dans les années passées. Mais par rapport aux autres pays, les déficits et l’endettement diminuaient moins vite. Il ne faudrait pas que cet écart s’aggrave. D’autant que les Italiens redeviennent sérieux. Les Allemands vont le rester quelle que soit la majorité en place. Les écarts peuvent devenir, à un moment donné, problématiques, par exemple l’écart de taux (le spread). Aujourd’hui, le spread reste raisonnable.

Pensez-vous que ces écarts puissent entraîner une confrontation au sein de la zone euro ?
Oui, cette situation peut évidemment se produire si l’on ne donne pas suffisamment de gages.

Un nouveau transfert de souveraineté est-il souhaitable ?
Plus il existe de divergences, moins on fait d’Europe. Je sais bien qu’il s’agit d’un sujet quasiment tabou, surtout à droite. C’est une drôle d’idée que ce soit un sujet tabou. On parle de notre avenir collectif. On s’est beaucoup battu avec nos voisins. On pourrait peut-être construire une Europe un peu meilleure et puis surtout construire un rapport de force parce que le monde est un rapport de force. Au cours de cette crise, l’Union européenne a joué collectif même si les opinions publiques pensent le contraire. Avec un résultat pas si mauvais, qu’il s’agisse de la création de cet outil d’endettement commun ou de la négociation et de la livraison de vaccins. Pour en revenir à la question de la souveraineté, on ne peut pas reprocher à l’Europe de ne pas avoir la souplesse et la rapidité d’un pays, et en même temps ne pas vouloir lui donner plus de pouvoirs et de puissance.

Si dans les prochaines années, la volonté politique de rétablir l’état des finances publiques du pays est forte, elles se rétabliront.

Le débat sur les règles européennes va revenir assez vite. Comment imaginez-vous la suite ?
La réponse ne peut pas toujours être dans des règles. Mais une évolution des règles est souhaitable dans la mesure où elles n’ont été que très peu respectées par le passé. Elles doivent être actualisées et adaptées au monde économique et politique d’aujourd’hui. Les règles, c’est aussi une influence, en ce sens qu’elles orientent la décision. C’est un sujet que doit pousser la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022 et je crois que tout le monde l’a bien en tête. Il faut accoucher de règles suffisamment pratiques, pragmatiques mais également encadrantes. Elles doivent montrer les limites à ne pas franchir et les sanctions. À défaut, on affaiblit les autres membres du collectif. Pour autant, les règles ne font pas tout. Même avec les meilleures règles du monde, il faut de la volonté politique. Si, avec le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale [le député LREM Laurent Saint-Martin, ndlr], nous essayons de faire évoluer la Lolf [la loi organique relative aux lois de finances, promulguée en 2001, ndlr], nous avons absolument conscience de la limite de l’exercice. Il s’agit d’une loi organique qui se situe entre la Constitution et la volonté politique, que rien ne peut remplacer. Si la volonté politique est faible, alors la règle sera faible et la manière de la respecter également faible. Si dans les prochaines années, la volonté politique de rétablir l’état des finances publiques du pays est forte, elles se rétabliront. Mais il faudra du temps, des années, de la continuité et de la suite dans les idées. La maîtrise de son budget relève d’abord d’une affaire de souveraineté bien plus qu’une question de comptabilité. C’est une attitude, au fond, profondément gaulliste. Vous n’acceptez pas que, sur les sujets stratégiques, vous dépendiez essentiellement des autres. La France doit évidemment avoir un degré d’autonomie financière plus important que celui qu’elle aura demain avec 3 000 milliards d’euros de dettes.

Pensez-vous qu’il faille inscrire certains principes dans la Constitution ?
On ne va pas changer la Constitution tous les quatre jours. Je remarque que les propositions des candidats comportent toujours plein de changements constitutionnels. Ce n’est pas nécessairement une très bonne idée que de faire varier la Constitution. Si l’on veut lier davantage les gouvernements, alors il faut inventer une règle de droit qui soit difficilement modifiable. J’observe qu’inscrire une sorte de règle d’or reviendrait à donner au Conseil constitutionnel le pouvoir de rentrer dans les décisions budgétaires. Mais ce serait alors le Parlement qui l’y aurait habilité. Entre des règles d’or (pourquoi pas ?) et la volonté politique, il existe le cadre organique. C’est cela que nous avons essayé de modifier avec la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques déposée [le 4 mai 2021, ndlr] avec le rapporteur général de la commission des finances. Nous visons les règles qui touchent au fonctionnement quotidien des finances publiques.

Il faut de la puissance à l’étage présidentiel, il faut de la puissance à l’étage gouvernemental et aussi à l’étage parlementaire. Dans le domaine financier, il faut plus de puissance à l’étage parlementaire.

Existe-t-il une impuissance du Parlement en matière budgétaire ? 
Le Parlement est un contrepoids, mais en France, le pouvoir va à l’exécutif, au président de la République : nous ne sommes pas dans un régime parlementaire ! A priori, c’est plutôt conforme à ce que souhaitent les Français. Le Parlement, lui, légifère et contrôle l’action du gouvernement. Auparavant, les majorités étaient très inféodées au président de la République sauf en période de cohabitation. Aujourd’hui, elles le sont un peu moins. Mais nous avons des majorités stables et nous ne sommes pas dans des processus de coalition. Nous ne sommes pas dans la IVe République. Je crois en la puissance de la décision. Il faut de la puissance à l’étage présidentiel, il faut de la puissance à l’étage gouvernemental et aussi à l’étage parlementaire. Dans le domaine financier, il faut plus de puissance à l’étage parlementaire et notamment plus de puissance d’analyse, de compréhension des phénomènes. Quand on n’a pas de loi pluriannuelle qui s’impose vraiment, que l’on n’a que des outils mous, on a un peu de mal à durcir la volonté. Et cette situation peut permettre au gouvernement de s’éloigner parfois de la volonté parlementaire ou tout simplement de faire en sorte qu’elle ne s’exprime pas. Nous avons intégré en 2008 les lois pluriannuelles pour donner de la visibilité. Force est de constater que, trois mois après avoir été votées, ces lois sont déjà fausses. Il n’y a aucune sanction. Aujourd’hui, la sortie de crise impose de se poser la question de la qualité de la dépense et non plus de la quantité de la dépense. S’interroger sur la qualité de la dépense conduit à s’interroger sur le point de savoir ce qui relève de l’investissement, ce qui permet donc d’accroître le potentiel de croissance de notre pays, trop faible par rapport à son niveau de service public. Aujourd’hui, tout problème obtient une réponse qui se solde par une augmentation des crédits. C’est une drôle de façon de faire, pas très fatigante, il faut bien l’admettre. Il faut de la qualité, de la productivité, de l’efficience et de l’efficacité dans la dépense publique. Ce débat-là n’existe pas assez au Parlement ou très peu, malgré la création d’un Printemps de l’évaluation à l’Assemblée nationale.

Quel regard portez-vous sur la pluriannualité et son maniement ? 
Avec la proposition de loi organique, nous proposons de moderniser profondément les lois de programmation pluriannuelle de nos finances publiques. Il existe aussi les lois de programmation sectorielles, thématiques (justice, défense, recherche, etc.). En général, ces lois sectorielles fonctionnent moyennement. Elles sont plutôt respectées… Mais c’est souvent en fin de parcours que l’on concentre les difficultés.

Le Parlement manque-t-il de culture financière ?
Il existe beaucoup de compétences au Parlement. Pas mal de monde s’investit sur des sujets souvent très précis, mais rarement sur les finances publiques ou sur l’économie. Très peu de parlementaires ont une vision plus globale des choses, par exemple de la protection sociale, et sont dans le même temps capables de rentrer dans le détail. Au sein de la ­commission des finances, nous avons plein de compétences. Je pense quand même que tout le monde se moque en réalité du sujet de nos finances publiques, en dehors de Bercy, au sein duquel existent quelques poches de résistance, dans le bon sens du terme. Globalement, la population s’en moque aussi, d’autant qu’on lui envoie des messages peu lisibles, sinon ­contradictoires. Par exemple, quand on lui dit que tel dispositif coûte 50 millions et que l’on ne peut pas faire plus, mais que par ailleurs, des milliards d’euros viennent le lendemain financer telle ou telle priorité. Les contradictions sont alors difficiles à expliquer.

Le Parlement doit avoir un droit d’amendement sur l’ensemble des indicateurs de performance.

Les indicateurs de performance sont-ils bien utilisés ?
Ils ne sont pas utilisés et, pour un certain nombre, ils ne sont pas renseignés. Mis à part les rapporteurs spéciaux, les parlementaires ne les utilisent pas. Ces indicateurs sont situés dans des documents de plusieurs milliers de pages. Ils sont aussi très peu utilisés par la presse, alors qu’elle constitue une caisse de résonnance importante et un intermédiaire de choix entre le monde politique et l’opinion. Ces indicateurs font partie des avancées de la Lolf, mais ces outils doivent être modernisés et pas uniquement toilettés. Le Parlement doit avoir un droit d’amendement sur l’ensemble des indicateurs.

Le Parlement consacre toujours beaucoup plus de temps à voter la loi de finances qu’à contrôler son exécution, même si les lignes ont un peu bougé ces dernières années. Pourquoi un tel déséquilibre ?
Avec les parlementaires LR et LREM, nous sommes les premiers à nous être attaqués à ce sujet. Nous avons progressé, mais nous n’avons pas atteint tous les objectifs que nous nous étions fixés. On peut améliorer l’exercice. Je pense que ces nouvelles pratiques se sont implantées au Parlement durablement. Le moment de l’adoption de la loi de règlement, qui vise à regarder les comptes de l’année passée, est un bon moment pour analyser l’efficacité de la politique publique, en prévision du budget qui arrive quelques mois après. Si cette dynamique du Printemps de l’évaluation s’arrêtait, ce serait un échec pour le Parlement. Évidemment, il faudra des améliorations, des évolutions. Les rapporteurs et les rapporteurs pour avis, dans les différentes ­commissions, doivent y participer à plein. Ils n’y participent pas encore suffisamment et je le regrette. Les ministres ne doivent quant à eux pas considérer qu’il s’agit d’une simple tribune pour valoriser leur gestion.

Comment décririez-vous ce Printemps de l’évaluation ?
Le Printemps de l’évaluation est en fait une évaluation des politiques publiques, mais cet exercice reste objectivement compliqué, puisqu’il faut en partie savoir faire abstraction de ses amitiés politiques au profit d’un effort d’objectivité. Vous avez un gouvernement soutenu par une majorité et vous avez une opposition qui veut s’opposer. Il est donc difficile de porter un regard indépendant sur la qualité d’une politique publique en raison de ce qu’est le Parlement lui-même. Mais ce n’est pas impossible. L’opposition doit pouvoir modérer sa vision caricaturale de l’action du gouvernement et la majorité, modérer la vision idyllique qu’elle a de l’action du gouvernement. Si l’on arrive à se retrouver entre gens raisonnables, on peut se demander simplement si l’objectif politique fixé à la création de telle ou telle dépense est atteint ou non. 

Propos recueillis par Pierre Laberrondo

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