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Francis Massé : “La Diese crée une rupture avec la philosophie de la loi de transformation de la fonction publique”

L’ancien haut fonctionnaire et consultant met en garde contre le risque de fragmentation de la gestion de l’État induit par la création de la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese). Francis Massé est membre fondateur du Cercle de la réforme de l’État et auteur, notamment, de Urgences et Lenteur – Politique, administration, collectivités, un nouveau contrat (Nouvelle édition revue et augmentée, Fauves Éditions, 2020). 

L’ordonnance portant réforme de l’encadrement supérieur de l’État a été approuvée en Conseil des ministres le mercredi 2 juin 2021. Parmi les nouveautés, la création de l’Institut national du service public et l’instauration d’un tronc commun, des mesures concernant la fonctionnalisation des services d’inspection et enfin la nouvelle procédure d’entrée dans les corps juridictionnels, qui a donné lieu à une bataille jusqu’au dernier moment. La réforme de la haute fonction publique est donc actée. Des lignes directrices de gestion interministérielles et une nouvelle DRH ont été validées dans le cadre du projet d’ordonnance. 

En musique, dans le solfège, un dièse est un symbole graphique appartenant à la famille des altérations et dont la fonction est d’indiquer, sur la partition, que la hauteur naturelle de la note associée à ce dièse doit être élevée d’un demi-ton chromatique. Mais tandis que le demi-ton chromatique sépare deux notes de même nom (par exemple : “do - do♯”), le demi-ton diatonique sépare deux notes de noms différents (par exemple : “do♯-ré”, “do - ré♭”, etc.).

Une nette séparation

Pour filer la métaphore, la création de la Diese ressemble davantage à un demi-ton diatonique en séparant nettement l’actuelle DGAFP d’une nouvelle DRH mettant ainsi fin aux avancées de cette “DRH de l’État” que Paul Peny et ses successeurs avaient plutôt talentueusement échafaudée.

Ce projet d’ordonnance crée en effet une délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese), chargée du suivi des carrières des hauts fonctionnaires. Il prévoit que le Premier ministre édicte des lignes directrices de gestion pour l’encadrement supérieur. Ces dernières déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines des agents concernés et fixent les orientations générales en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de mobilité interministérielle, interversants – les trois fonctions publiques : État, territoriale et hospitalière – et internationale, de promotion, d’évaluation, de valorisation des parcours des agents et d’accompagnement des transitions professionnelles.

Ceci crée une rupture avec la philosophie de la loi de transformation de la fonction publique de 2019, qui prévoyait que les lignes de gestion de la fonction publique soient définies par chacun des ministres dans le cadre de leur département ministériel, voire parfois à un plus bas niveau. Les lignes directrices de gestion ministérielles devront donc s’articuler avec celles en passe d’être définies par Matignon. Il est à noter que la DGAFP demeure et c’est justement ce point sur lequel nous voudrions attirer l’attention, le risque de fragmentation des enjeux.

En fait, trois types de partitions sont entérinés au niveau de la gestion et du management des ressources humaines :
-    la gestion statutaire de la gestion des métiers, 
-    les gestions ministérielles de la gestion centralisée, prédominante désormais, 
-    la gestion de l’encadrement supérieur, celle des experts et de l’ensemble des cadres, en particulier du middle management

La gestion statutaire de la gestion des métiers

Désormais, la fameuse “DRH de l’État” ne sera plus la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), qui survivra, mais une Diese cohabitera avec elle. Pour un ancien DRH, cela signifie que la gestion statutaire est séparée de celle des compétences et des carrières. Est-ce raisonnable ? Ce choix ne relève-t-il pas d’une incompréhension fondamentale de la gestion des ressources humaines ?

D’abord, la notion des métiers et des talents est primordiale. Elle commande tout le reste. Dans ce domaine, il va de soi que l’approche par les compétences doit gouverner l’ensemble. À condition de partir des réalités : la sphère publique, tous versants confondus, représente un ensemble complexe de métiers et de compétences fort différents. Les cultures professionnelles, les histoires sociales et humaines, les milieux techniques, les pratiques opérationnelles et les mythes fondateurs propres à chaque service public sont spécifiques. Ces professions du secteur public sont certes et heureusement unies par les principes du service public et l’attachement à l’intérêt général, mais elles demeurent riches de leur diversité et de leurs complémentarités.

Par conséquent, il ne faut ni les disloquer, ni les fragmenter, ni les dissoudre dans un ensemble flou. Par contre, il faut savoir les gérer dans des statuts cohérents qui sans les annihiler favorisent une gestion harmonieuse et équitable de l’ensemble, mais adaptée à chacune. 

On voit bien d’où part notre affaire. Sans doute a-t-il été reproché à la DGAFP d’être “hors sol” et de ne raisonner qu’en “statutaire”. Pourtant, des avancées concrètes avaient été faites par les derniers directeurs généraux – le concept de “DRH de l’État” venait de l’un d’entre eux et concernait l’entité qui regroupait la plupart des DRH des ministères autour du DGAFP. Il s’agissait donc d’un “collectif” ! Encore aurait-il fallu lui donner des moyens et lui permettre de mieux définir une vision et une stratégie.

On ne peut bâtir ni actualiser des statuts sans une connaissance intime des métiers et des emplois, et inversement gérer des multitudes de métiers et de compétences sans un ordonnancement statutaire adapté. Ce d’autant plus que le statut est originellement lié à une profession. Un statut intègre par ailleurs la quatrième dimension, celle du temps. On recrute, on affecte à un emploi, mais il existe une courbe d’apprentissage : le titulaire du poste apprend, expérimente, fabrique et, ce faisant, crée de la valeur au bénéfice du service public et instaure pour lui-même les conditions favorables pour prendre des responsabilités plus importantes où il sera plus utile puisque plus chevronné. C’est le statut qui régule ces aspects si particuliers qui s’appellent parcours professionnels, de carrière ou de formation, en adéquation avec les différentes branches des connaissances, l’apport de l’expérience et le développement des talents ainsi qu’avec les potentialités d’accès à des responsabilités supérieures dans le champ des possibles professionnels.

Comment donc imaginer, concevoir, actualiser ou même gérer ce champ des possibles sans un lien permanent entre statuts, rémunérations, métiers, management des connaissances ou la gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences (GPEEC) – certains parlent d’ailleurs de GPEEMC (en y associant la dimension métier) – et sans oublier le dialogue social et la coopération interministérielle ?

Sans doute devine-t-on l’intention de cette réforme, la recherche légitime d’une capacité à repérer ou à faire émerger les hauts potentiels pour affecter les bonnes personnes dans le haut encadrement de la sphère publique. Mais cela ne sera-t-il pas plus difficile encore dans un tel contexte de découpage opérationnel ?*

Les gestions ministérielles de la gestion centralisée, prédominante désormais 

La sphère publique a une unité profonde. Ne serait-ce que sur le plan des valeurs du service public. Mais il faut être conscient de l’extrême diversité des métiers et de la richesse et de la variété des cultures professionnelles. La gestion de proximité est de rigueur. Naturellement, le risque d’enfermement est là. 

La gestion séparée de l’encadrement supérieur et celle des experts et des cadres

Là, nous entrons dans la sphère du management, c’est-à-dire dans celle des DRH des organisations publiques, dans la dimension humaine et non plus seulement de gestionnaire. Nous sommes également au cœur des pratiques de proximité et non dans des processus dépendant d’une entité sommitale et technocratique. Détecter le potentiel des cadres dirigeants publics ne peut se faire avec des tableaux Excel, même s’il faut naturellement mettre en œuvre, avec succès cette fois, des systèmes d’information des ressources humaines (SIRH) puissants et en parfaite adéquation technique et fonctionnelle avec ces finalités. Et à l’évidence des cadres statutaires en dialogue permanent avec le management humain des organisations publiques et des femmes et des hommes du service public.

Ici la gestion statutaire est évidemment essentielle ; mais parce qu’elle n’est pas suffisante, l’ordonnance prévoit – à juste titre – un suivi des carrières des hauts fonctionnaires et édicte les orientations générales en matière de gestion modernisée et personnalisée des ressources humaines.

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