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Frédéric Potier : “Mendès France incarne une éthique de la République inspirante”

Frédéric Potier, haut fonctionnaire et auteur d’un essai sur Pierre Mendès France, souligne combien l’engagement de ce dernier peut inspirer l’action publique pour aujourd’hui et le quinquennat à venir.

Vous venez de consacrer un essai à Pierre Mendès France intitulé Pierre Mendès France, la foi démocratique. Pourquoi le jeune haut fonctionnaire que vous êtes a-t-il ressenti un tel besoin et en quoi cela peut-il être inspirant pour la gestion publique des années à venir ?
J’ai ressenti, comme beaucoup de citoyens, le besoin de rechercher des repères et des figures politiques inspirantes alors que la France connaît une période troublée et marquée par une forte défiance à l’égard des institutions. La parole et les écrits de Pierre Mendès France (PMF) sont d’une très grande force et d’une absolue clarté, tant sur le plan des institutions que sur le rôle de l’État ou la politique étrangère. Il m’a paru urgent de faire redécouvrir cet homme d’État trop méconnu dont la pensée peut nous guider vers une République moderne et une démocratie audacieuse. Issu du Parti radical, profondément attaché aux idéaux de la Révolution française et à l’esprit des Lumières, PMF incarne une gauche de la raison et du progrès, puis une forme de socialisme démocratique dans le prolongement de Jaurès et de Blum.

Alors qu’il était encore fait régulièrement référence à Pierre Mendès France dans les discours politiques jusqu’au début des années 2000, on a le sentiment que son œuvre est de plus en plus oubliée, comme celle de Clemenceau par exemple. Il en va différemment de la figure du général de Gaulle, dont tout le monde semble se réclamer désormais. N’est-ce pas parce que Pierre Mendès France a privilégié l’éthique de conviction aux dépens de l’éthique de responsabilité ?
Pierre Mendès France a toujours rejeté la démagogie et la facilité. Il a, tout au long de sa vie, assumé une vision de la démocratie et de la citoyenneté particulièrement exigeante. Cela l’a amené à s’opposer frontalement à la Ve République proposée par de Gaulle et plus encore, à l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct en 1965. Par son rejet de la politique spectacle et des petits arrangements politiciens, il incarne une référence morale, une forme d’éthique de la République. En cela, il peut toujours nous inspirer. Mais n’oublions pas que PMF a réfléchi pendant plus de cinquante années aux enjeux économiques, sociaux et internationaux. C’est cette pensée très structurée, inspirée par la raison et la volonté de moderniser, que j’ai voulu remettre au goût du jour.

Il appelle les gouvernants à s’inspirer de la science, de la recherche, pour élaborer des politiques publiques capables de générer un progrès économique et social équitablement réparti.

PMF expliqua que “gouverner, c’est choisir”, de même qu’il démontra par sa pratique que “gouverner, c’est servir”. En quel sens son œuvre peut-elle encore inspirer les acteurs publics d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des responsables politiques ou des hauts fonctionnaires ?
L’expression “gouverner, c’est choisir” remonte à un discours à l’Assemblée nationale de 1953. Elle signifie que les gouvernants ont la responsabilité d’expliquer aux citoyens les enjeux publics mais surtout de décider, de prioriser, et donc aussi de renoncer. Tout n’est pas possible en politique. Dire le contraire, c’est céder au populisme, alimenter la démagogie, et préparer de grandes désillusions. Mendès France a une formation de juriste mais il s’est passionné toute sa vie pour les questions de finances publiques. En 1943-1945, il est ministre de l’Économie nationale du général de Gaulle et défend l’idée d’orienter les ressources disponibles vers les infrastructures et la production. Il démissionne du gouvernement car il ne s’estime pas entendu. En 1954, il publie, avec l’inspecteur des finances Gabriel Ardant, un ouvrage intitulé La science économique et l’action, dans lequel il appelle les gouvernants à s’inspirer de la science, de la recherche, pour élaborer des politiques publiques capables de générer un progrès économique et social équitablement réparti. Il enseigne d’ailleurs à l’ENA pendant quelques années. Voilà un excellent modèle pour les acteurs publics !

Pierre Mendès France demeure l’un des grands modèles de l’éthique en politique et de l’éthique républicaine mais, comme le suggère le titre de votre ouvrage, il vouait également une foi profonde à la démocratie. Peut-on trouver chez Mendès France une boussole pour penser le réengagement en politique et le réenchantement de la politique ?
Pierre Mendès France répétait à l’envi que les responsables politiques doivent parler à l’intelligence des citoyens. Il avait par ailleurs la conviction que la démocratie repose sur un contrat entre les gouvernants et les gouvernés qui ne saurait se résumer pour ces derniers à mettre un bulletin dans une urne tous les cinq ans et à s’indigner dans l’intervalle. En somme, il en appelait à la fois à l’éthique de vérité de l’homme d’action ainsi qu’à l’éthique d’action de tous les citoyens. À l’heure où certains responsables politiques s’adressent davantage aux pulsions qu’à la raison des individus, à l’heure où l’abstention se massifie, on peut en effet trouver chez lui une boussole pour penser le réengagement de la politique. PMF, c’est la gauche de l’espérance, celle qui cherche des solutions et pas des boucs émissaires. Il ne sépare jamais la réflexion de la parole et de l’action publique. Sa conception de la démocratie va bien au-delà des questions électorales. Pour lui, la démocratie est un “code moral”, un ensemble d’institutions et de pratiques englobant le respect de l’État de droit, la présence de contre-pouvoirs, une justice indépendante, une information des citoyens honnête, des partis politiques responsables… Il appelait chacun, gouvernant et gouverné, à assumer ses responsabilités. Il récusait par exemple le terme de “mendésisme”, car selon lui, un bon citoyen ne devait en aucun cas suivre aveuglément un dirigeant politique. PMF refuse le messianisme en politique, cette idée qu’un leader prométhéen viendrait guérir tous les maux de la Cité par son seul charisme. Il ne cesse au contraire de promouvoir une conception quasi athénienne de la démocratie, en somme une démocratie d’égaux débattant librement. D’où la notion de contrat de législature, qui se situe au cœur de son ouvrage La République moderne, qui doit être fondé sur une plate-forme programmatique précise et structurée sur laquelle le gouvernement et le Parlement s’engagent devant les citoyens.

Comment Pierre Mendès France jugerait-il la vie politique française d’aujourd’hui, selon vous ?
Il jugerait sans nul doute très sévèrement la vie politique actuelle. Les querelles d’égos, le culte des petites phrases, une forme de “guignolisation” des débats, de plus en plus caricaturaux… Tout cela est aux antipodes de la pensée de Mendès France ! Je pense qu’il appellerait cependant les citoyens à se ressaisir, à ne pas se laisser abuser par des discours démagogiques et à s’engager. Une démocratie ne peut pas exister sans citoyens. La démocratie est autant un pari qu’une forme de foi. Dans La vérité guidait leurs pas, magnifique ouvrage paru en 1976, il nous mettait déjà en garde : “Il est facile et tentant pour un homme cultivé de mépriser la politique active. Mais si fondé qu’apparaisse ce mépris, par certains aspects, il a les conséquences d’une désertion ; celui qui s’y adonne garde sa conviction pure et intacte mais cette conviction est alors inerte comme un livre rangé.” Tout est dit !

Avec Matthieu Caron 

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