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La Lolf à la recherche d’un nouveau souffle

La loi organique relative aux lois de finances (Lolf) fête cette année ses 20 ans. Nombreux sont ceux qui appellent à refonder son volet « performance », d’autant plus après la crise sanitaire.

"Les anniversaires ne valent que s’ils constituent des ponts jetés vers l’avenir", expliquait Jacques Chirac, en décembre 1998, à l’occasion du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Un principe qui vaut pour bon nombre de sujets – y compris nos propres anniversaires – et notamment, cette année, pour la loi organique relative aux lois de finances, la désormais célèbre Lolf, qui fête ses 20 ans.  

Promulguée en 2001 mais définitivement appliquée à partir de la loi de finances pour 2006, cette loi avait été pensée comme le cadre normatif du budget de l’État et l’outil privilégié de la réforme de l’État. Reste que la Lolf n’a pas entièrement répondu aux finalités prévues initialement pour elle. Preuve en sont les conclusions des nombreux rapports réalisés à son sujet au cours des dernières années par la Cour des comptes, les parlementaires, les économistes, les universitaires… 

Le volet performance à l’amende

Dans un rapport – justement – publié en septembre 2019, la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la mise en œuvre de la Lolf (Milolf) relevait ainsi d’"indéniables progrès" mais, surtout, considérait que l’un des objectifs de cette loi – "faire la réforme de l’État par la réforme du budget" – était "largement tombé dans l’oubli". Le volet « performance » de la Lolf "est un échec", avait ensuite abondé l’économiste François Ecalle, en rappelant que la loi "avait pour ambition de faire passer la gestion publique d’une logique de moyens à une logique de résultats en inscrivant la programmation et l’exécution budgétaire dans une démarche de performance présentée comme le socle de la réforme de l’État".

Mais ce dispositif, tranchait cet ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, n’a eu "aucun impact sur la gestion publique et ne sert pas à améliorer les performances de l’État". Une tonalité partagée par sa maison, la Rue Cambon, dans un autre rapport publié en novembre 2020 et consacré au pilotage des finances publiques. La Cour des comptes y mettait ainsi en avant une urgence : "assurer l’unité, l’universalité et l’efficience du budget de l’État". Les magistrats financiers constataient que la Lolf n’avait "pas eu les effets escomptés en la matière".

"Le cadre et la pratique budgétaires de l’État restent peu propices à l’efficience de l’action publique", estimait ainsi la Cour. Ce nouveau cadre normatif, poursuivait-elle, "n’a pas suscité de processus de réforme permettant de réaffecter de façon significative les ressources vers les actions plus efficaces et efficientes".

Enjeu de l’après-crise

Tous ces constats implacables appellent en même temps à donner un nouveau souffle à la Lolf, notamment, donc, à son volet « performance ». Un enjeu qui était déjà criant avant la crise sanitaire, au vu de l’ampleur des dépenses publiques, mais que l’épidémie de coronavirus n’a fait qu’accentuer.

"Notre objectif n’est pas de définir combien il faudra dépenser à l’avenir, s’il faut baisser ou augmenter la pression fiscale ou quelle doit être la stratégie française de maîtrise de l’endettement", expliquaient les désormais ex-président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Woerth (LR), et ex-rapporteur général du budget, Laurent Saint-Martin (LREM), dans l’exposé des motifs de leurs propositions de loi (organique et ordinaire) de modernisation de la gestion des finances publiques, soutenue par le gouvernement. Une loi qui a depuis été adoptée par le Parlement et qui a été promulguée le 28 décembre 2021.

"Il s’agit, en revanche, ajoutaient les deux parlementaires, de doter notre constitution financière d’outils dès aujourd’hui nécessaires aux pouvoirs publics pour gérer convenablement les nouveaux enjeux propres aux finances publiques issus de la crise du Covid-19. » Et surtout nécessaires au rétablissement « le plus rapidement possible de nos finances publiques"… Concrétisation des recommandations de la Milolf – dont Laurent Saint-Martin était aussi le rapporteur –, leurs propositions de loi visaient donc à consolider le rôle du Parlement dans l’examen et le contrôle des finances publiques. Et ce notamment en clarifiant le calendrier parlementaire et en insérant davantage de pluriannualité, et donc de prévisibilité, dans la Lolf afin de rééquilibrer les comptes publics.  

L’enjeu réside-t-il, malgré tout, dans une réforme des textes ? Non, répond Danièle Lamarque, présidente de la Société européenne d’évaluation (EES) et ancienne magistrate de la Cour des comptes : "La mise en œuvre des principes de la Lolf en matière de performance dépend moins d’une adaptation des textes que d’une appropriation, par l’ensemble des acteurs, de la culture même du résultat à la base de la performance et des démarches d’évaluation."   
Plutôt qu’une évolution en bonne et due forme des textes, tous plaident en effet en creux pour un changement culturel au sein de l’administration afin de refonder le volet « performance » de la Lolf. L’atteinte de l’ambition portée par cette loi organique "dépendait de facteurs sur lesquels le droit lui-même n’a pas ou peu de prise, soulignait ainsi Laurent Saint-Martin. Réformer l’État exige, certes, de mobiliser des leviers normatifs, qu’ils soient organiques, législatifs ou réglementaires, mais implique surtout une révolution culturelle dans les pratiques de management public." Une démarche qui semble donc avoir été vaine. 

Clarifier les objectifs de performance

Comment expliquer que cette démarche de performance n’ait pas infusé au sein des administrations ? "C’est en partie le fruit d’un fétichisme des lois de finances sur le taux de progression des moyens obtenus pour chaque politique publique plutôt que sur les résultats, concède une ancienne directrice d’administration centrale. Il y a un problème en matière de diffusion d’une culture de bonne gestion, cela est lié à un manque d’alignement sur les objectifs." "Prenez l’exemple du projet de loi de finances pour 2022, le ministère de la Justice et le garde des Sceaux revendiquent d’avoir gagné contre Bercy en obtenant une hausse de 8 % de son budget, mais cela ne dit rien de ce qu’ils vont obtenir, en face, sur le raccourcissement des délais de jugement ou sur l’amélioration des conditions de vie des détenus", pointe cette dernière, en soulignant que l’administration de la Place Vendôme, elle-même, n’en sort pas plus éclairée. 

Depuis la Lolf, les administrations se sont pourtant activées pour définir des objectifs et indicateurs de performance, retracés dans les projets annuels de performance (PAP) annexés aux projets de loi de finances et dans les rapports annuels de performance (RAP) annexés aux lois de règlement. "Ces outils sont importants mais ils sont parfois hors sol. Les gens s’en moquent par ailleurs puisque le Parlement s’en moque, souligne-t-on dans les couloirs de Bercy. Ces objectifs et indicateurs doivent devenir un enjeu politique." Une avancée pourrait toutefois intervenir avec les propositions de lois « Woerth-Saint-Martin », qui prévoient la possibilité, pour les parlementaires, d’amender ces objectifs et indicateurs de performance et ainsi d’intervenir dans la définition de la performance budgétaire. Encore faut-il convaincre les administrations de cet important changement de paradigme. "Les “technos” paniquent un peu pour le moment, concède un responsable à Bercy. Ils ont peur que les parlementaires leur demandent des choses qu’ils ne savent pas faire alors que c’est un très bon signe en matière d’efficience de la dépense publique."

Démarche de responsabilisation

Outre une plus grande implication du Parlement sur ce volet « performance », l’enjeu réside tout autant dans une plus grande responsabilisation des gestionnaires publics. "On fait des mises à jour sympathiques, mais on ne donne toujours pas de nouvel élan à l’esprit de la Lolf, confirme l’ancien ministre de Budget Alain Lambert, père de la Lolf avec Didier Migaud. Il faut donner plus de responsabilités aux gestionnaires pour aller plus vite dans la transformation de l’État et des administrations." 

Depuis le début du quinquennat, l’exécutif s’est certes engagé dans une telle démarche de responsabilisation, avec notamment un renforcement du contrôle interne financier. Une action engagée en contrepartie de l’allégement récent du contrôle a priori et donc de la logique de renforcement du contrôle a posteriori. "Il y a toutefois une erreur de diagnostic depuis des années, relève un fin observateur de la sphère et des finances publiques. Penser que c’est l’excès de contrôle qui empêche le gestionnaire d’être responsable et de faire preuve d’initiative est complètement faux. C’est le manque de confiance entre Bercy et les ministères qui entrave les gestionnaires publics."

"Toute la souplesse de gestion accordée par la Lolf n’a absolument pas été mise en place, la fongibilité asymétrique des crédits n’existe pas, développe-t-il. Le gestionnaire public qui prend une initiative va ensuite le regretter, dans la mesure où il n’est pas intéressé aux résultats. Au contraire, on lui dit “tu as fait des économies, on va te les prendre et te montrer que tu peux encore en faire”. Cela n’incite en rien à une responsabilisation ni donc, à terme, à une amélioration de la performance de la dépense publique." 

Pour l’ensemble des observateurs interrogés dans le cadre de cette enquête, le renforcement de l’autonomie des gestionnaires de l’État (et intrinsèquement la concrétisation de l’esprit de la Lolf) est aujourd’hui impératif. D’autant plus au vu du contexte dans lequel se trouvent les finances publiques, du fait de la crise sanitaire. "C’est précisément parce que la situation financière est tendue qu’il faut plus de pouvoir et de liberté aux gestionnaires, affirme Alain Lambert. Certes, cela peut paraître contre-intuitif, mais c’est par la liberté que l’on arrivera à des progrès en matière de gestion publique et donc par la responsabilisation." Et Danièle Lamarque d’abonder : "Espérons qu’il ne faudra pas attendre encore vingt ans"… pour les 40 ans de la Lolf.
 

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