Partager

5 min
5 min

La promotion interne, angle mort de la réforme de la haute fonction publique

La voie interne a été à peine abordée par l’exécutif dans le cadre de son programme “Talents”. Elle est pourtant un important levier de promotion de la diversité au sein de la fonction publique.

La phrase figure dans un texte vieux de plus de 230 ans, mais un haut fonctionnaire tient à la rappeler : “Tous les citoyens sont admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.” Or selon ce dernier, ce principe d’égal accès aux emplois, inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, “ne doit pas prévaloir pour les seules voies externes de recrutement dans la fonction publique et d’accès à la haute fonction publique. La politique de promotion de la diversité engagée par l’exécutif ne doit pas oublier les fonctionnaires en poste”.

Lors de l’annonce du volet “Fonction publique” de son plan “Égalité des chances”, en février dernier, le gouvernement a en effet surtout mis l’accent sur la voie externe comme levier de promotion de la diversité. Via, notamment, la création d’une voie réservée pour les personnes d’origine modeste pour l’accès à 5 écoles de service public (ENA, Inet, EHESP, Enap et ENSP) : le désormais fameux concours “Talents”, accompagné du développement des actuelles classes préparatoires intégrées (CPI). Mais quid de la voie interne dans le plan de l’exécutif ? “Le sujet n’est que peu abordé encore, alors que c’est un important levier de la promotion de la diversité”, regrette la secrétaire générale d’un ministère. Il y a donc, selon cette dernière, la même urgence à développer cette voie interne, puisqu’un long chemin reste encore à parcourir : “Si on sait traiter cette problématique de la diversité à l’entrée, c’est loin d’être le cas tout au long de la carrière.” Et, ajoute-t-elle, “à la lecture des dispositifs prévus pour la voie externe, certains fonctionnaires pourraient ainsi être amenés à en demander davantage et à être, eux aussi, favorisés”.

Des voies d’accès peu lisibles

Pour les observateurs, les leviers ne manquent pourtant pas au sein de la voie interne. Mais encore faut-il que ceux-ci soient développés, et même largement revus de manière à ce que le principe de méritocratie républicaine vaille aussi en interne. Parmi les leviers identifiés : les voies d’accès professionnelles aux écoles de service public, dont le concours interne qui, aux côtés des tours extérieurs, a déjà fait la preuve de son efficacité en matière de diversification. Mais ces voies “manquent de lisibilité et de cohérence” et l’objectif de diversification de la fonction publique en pâtit, soulignait la mission Thiriez dans le rapport qu’elle a remis au gouvernement en février 2020.

“Les candidats en tentent souvent plusieurs, car les critères de candidature ne sont pas assez différenciés, soulignait cette mission. Certains concours se fondent sur des épreuves trop académiques et déconnectées de la valorisation du parcours professionnel et les préparations aux concours, souvent longues, sont de nature à exclure de cette voie des candidats de valeur qui pour des raisons familiales, financières ou d’éloignement géographique ne peuvent pas s’y consacrer.” La mission appelait donc à “encourager la promotion interne et les parcours de mobilités” en créant un concours professionnel unique.

Les critiques à l’égard de ces concours internes sont loin d’être nouvelles. Nombreux sont en effet ceux qui, depuis plusieurs années, pointent leur caractère trop académique et pas assez professionnel. Une caractéristique qui engendrerait les mêmes dérives que pour les concours externes, à savoir des mécanismes de reproduction et un manque de diversité chez les admis. “Ceux qui ont tendance à réussir sont ceux qui ont déjà les codes”, explique un haut fonctionnaire.

Des épreuves de concours peu adaptées

Dans son rapport remis en décembre dernier au gouvernement, le président des jurys des concours d’entrée 2020 à l’École nationale d’administration (ENA), Michel Cosnard, jugeait ainsi que les épreuves écrites du concours interne notamment n’étaient pas adaptées au profil des candidats. Droit public, économie, question contemporaine, questions sociales et finances publiques, “les domaines couverts sont en parfaite adéquation avec ce qui est attendu comme socle de connaissances d’un haut fonctionnaire”, y soulignait ainsi Michel Cosnard. Mais si “ces épreuves paraissent donc en phase avec le concours externe s’adressant à des étudiants au sortir de leur formation initiale”, “on peut cependant s’interroger sur la pertinence de ce mode de sélection pour le concours interne et le troisième concours”. Le mode de recrutement du concours interne “paraît plus correspondre à un concours de rattrapage des recalés du concours externe qu’à des épreuves d’un concours interne mettant l’accent sur des acquis professionnels”, ajoutait le président des jurys.

Pour permettre un élargissement du “vivier de recrutement” de l’ENA, il proposait alors d’alléger les épreuves du concours interne, mais aussi du troisième concours, pour les rendre plus professionnels et moins académiques. Un axe que la direction de l’école avait décidé de retenir au mois de mars, dans le cadre de son projet de refonte des épreuves de ses concours d’entrée. L’annonce de sa suppression/transformation en un Institut national du service public (INSP) au 1er janvier 2022 risque de bousculer ses plans. Et ce même si le gouvernement s’est engagé dans une revue des épreuves des concours de la fonction publique pour en “réduire le nombre” et ”éliminer les éventuels biais discriminants”. Encore faut-il qu’elle aboutisse.

L’enjeu de la promotion interne

Au-delà du contenu des épreuves des concours internes, ce sont les conditions mêmes d’accès à ces concours qui sont pointées du doigt, et plus précisément la durée de service nécessaire pour se présenter aux concours internes (quatre ans pour celui de l’ENA par exemple, idem pour celui d’administrateur territorial de l’Inet). “Ce délai d’ancienneté doit être prolongé, souligne ainsi Philippe Soubirous, de la Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière. On ne constate rien au bout de quatre ans, c’est un second concours externe qui dévie la voie interne de son ambition initiale alors que cette voie d’accès est essentielle.” “Les délais actuels ne permettent pas de véritables parcours puisqu’ils favorisent toujours les mêmes profils en début de carrière”, abonde Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, en ajoutant que les conditions d’ancienneté pour les concours internes peuvent même être plus courtes dans certains cas que celles requises pour la promotion interne via les promotions “au choix” ou les examens professionnels.

Outre les concours internes, ces mécanismes de promotion interne constituent en effet, eux aussi, un levier de taille pour l’essor de la diversité dans l’encadrement de la fonction publique. “Il faut leur donner davantage d’importance pour en faire un véritable outil de méritocratie interne mais encore faut-il que les fonctionnaires soient véritablement accompagnés dans cette démarche”, explique le directeur des ressources humaines d’un ministère. Un accompagnement que le gouvernement promet de renforcer au travers de sa réforme de la haute fonction publique et de la création de sa nouvelle “délégation interministérielle à l’encadrement supérieur”. La création de son “École de guerre” des hauts fonctionnaires aura aussi un impact en matière de diversification, promet-il.

“Mais pour que les promotions internes soient diversifiées, il faudrait aussi que les carrières soient plus professionnalisées avec, donc, une véritable politique de formation”, ajoute le politologue du Cevipof Luc Rouban. Or, poursuit ce chercheur, “il faut une refonte complète de la formation continue de manière à mieux l’articuler avec les promotions internes”. Et d’ajouter : “Les formations, ce n’est pas seulement fait pour ne pas être au bureau, c’est fait pour concrétiser des parcours de carrière”. Autre souci et non des moindres pour inciter à la promotion : la question des rémunérations, en particulier en regard de celles du secteur privé.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×