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Laure Lucchesi : “En dix ans, Etalab a contribué à instaurer une véritable politique de la donnée”

Alors que la mission Etalab fête ses 10 ans d’existence, sa directrice depuis 2016, Laure Lucchesi, revient sur les nombreux acquis de cette décennie au service de l’ouverture des données publiques.

Rapport Bothorel, portage politique réaffirmé au sein du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, mise en évidence de l’importance du sujet par la crise sanitaire… 2021 est-elle l’année de la donnée publique ? C’est en tous cas celle durant laquelle Etalab* fête sa première décennie d’existence.

Le 21 février 2011, paraissait le décret portant création d’une “mission Etalab”. Son rôle : bâtir le portail unique interministériel des données publiques. Dix ans plus tard, Etalab, c’est bien sûr toujours la plate-forme Data.gouv.fr (et ses nombreuses déclinaisons sectorielles), mais c’est aussi API.gouv.fr et le partage des données, leur exploitation avec notamment le “Lab IA” interministériel, le programme “Entrepreneurs d’intérêt général”, l’ouverture des codes sources et des algorithmes, les nouvelles frontières du droit du numérique public… 

Depuis 2011, nous avons contribué à instaurer une véritable politique de la donnée dans nombre d’administrations, avec pour résultat des progrès tangibles dans le quotidien de millions de Français. Peu visible du grand public, l’action d’Etalab est pourtant le prérequis indispensable à nombre d’améliorations du service public. En matière d’open data d’abord, notre mandat historique. Pour ne citer que quelques exemples récents, les mises à disposition des données relatives à l’épidémie de Covid-19, au Baromètre des résultats de l’action publique, aux prix de l’immobilier et aux loyers, à l’impact environnemental des produits agricoles et alimentaires sont autant de sources de valeur démocratique, économique et sociétale. Les externalités positives se constatent désormais dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de transparence publique, de démocratie sanitaire ou encore de mobilité inclusive. 

Circulation des données

Dans le cadre notamment de la mission “Data” du programme Tech.gouv, nous nous sommes également attelés au partage de données entre administrations, ainsi qu’à leur exploitation. La circulation de données entre acteurs ayant droit d’en connaître, au cœur du principe du “Dites-le nous une fois”, est indispensable à la simplification de nombreuses démarches administratives, et peut-être bientôt à un accès aux droits facilité pour les usagers. Il s’agit d’un engagement fort du gouvernement, récemment réaffirmé par le Premier ministre lors du cinquième comité interministériel de la transformation publique. 

L’analyse de données et l’intelligence artificielle sont désormais utilisées dans presque tous les champs de politiques publiques, et nous avons relevé des bénéfices concrets dans des domaines aussi critiques que la sûreté nucléaire ou la protection de la biodiversité. 

Tout cela ne s’est pas fait sans effort, et beaucoup reste à faire bien sûr pour faire entrer réellement l’administration dans l’ère de la donnée et lui permettre de dégager toute la valeur de cet actif stratégique.

La mise en œuvre de l’open data et d’un accès facilité aux données reste à accompagner durablement, tant financièrement qu’opérationnellement.

Cette transformation est en cours, et certains chantiers emblématiques révèlent encore des complexités importantes, comme par exemple celui de l’ouverture des décisions de justice. Des années de résilience et de persévérance auprès d’administrations absentes ou résistantes sur ces questions ont parfois été nécessaires, mais la situation a aujourd’hui bien changé : nous sommes de moins en moins perçus comme des pionniers idéologues. Comme l’a annoncé la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques [Amélie de Montchalin, ndlr], tous les ministères sont désormais - ou seront sous peu - pourvus d’un administrateur ministériel des données et publieront une stratégie en la matière. Des milliers d’acteurs territoriaux – 100 % des régions, 60 % des départements, des centaines d’EPCI [établissements publics de coopération intercommunale] et de communes  – se sont également lancés, avec un effort à prolonger pour accompagner les collectivités de taille intermédiaire. 

L’immense travail sur la mise à jour du cadre juridique, qui a inspiré certaines dispositions européennes, a posé des jalons dont l’effet ne sera cependant perceptible que dans le temps long. Si celui-ci a considérablement évolué depuis dix ans et impose désormais l’ouverture “par défaut” des principales bases de données et données à fort impact économique, social et environnemental et la gratuité de leur réutilisation, la mise en œuvre de l’open data et d’un accès facilité aux données reste à accompagner durablement, tant financièrement qu’opérationnellement. 

Communauté diverse

Au-delà des résultats en matière de données, ce sont aussi des modes d’action, des valeurs et une transformation culturelle que nous avons portés et que nous nous attachons à transmettre, pour passer d’un État qui produit pour ses administrés à une puissance publique qui gagne à être coconstruite avec les usagers et citoyens. 

Rassemblant une pluralité de métiers et de savoir-faire, nous avons fait de l’ouverture sur l’extérieur, de la recherche de l’excellence technique, de l’écoute et du dialogue des marqueurs de notre action. L’échange avec nos écosystèmes s’est pratiqué de pair à pair, et a permis un enrichissement continu des politiques publiques de la donnée et de l’innovation numérique, bien au-delà des moyens réels mais relativement frugaux alloués à la mission. Nous avons, au fil du temps, nourri une réflexion sur la façon de faire bouger les lignes et stimuler le changement : être inspirants, donner envie, distribuer de la capacité d’agir et de développer, pour passer de l’innovation à la transformation, et acculturer ainsi au numérique et à ses méthodes les femmes et les hommes qui font l’action publique au quotidien. 

Etalab, c’est donc aussi – et avant tout peut-être – une communauté riche et diverse. Depuis 2011, plus d’une centaine de personnes ont rejoint ses équipes. Certaines y sont restées quelques mois, d’autres près de dix ans, mais toutes ont contribué à porter une certaine idée du service public numérique, y compris dans leurs parcours professionnels et personnels (fierté : avec notamment 2 députées dont une ministre [Olivia Grégoire, députée devenue secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsable, ndlr], une docteure en droit, 2 futures énarques, les femmes n’ont pas les trajectoires les moins brillantes). 

Etalab, c’est en quelque sorte la volonté d’incarner dans le champ du numérique le principe de “mutabilité” du service public.

Au cours de cette décennie, nous avons appris des administrations, tant ministères que collectivités, avec lesquelles nous avons eu la chance de travailler. Il en va de même avec les nombreuses communautés dont nous faisons partie, qu’il s’agisse des innovateurs publics, des Blue Hats [communauté des “hackers d’intérêt général” lancée en 2018 par la direction interministérielle du numérique de l’État, ndlr] ou encore de nos pairs à l’international, avec lesquels nous avons contribué à forger l’agenda français du “gouvernement ouvert”. Notre action ne serait rien sans la société civile, experts attentifs et exigeants qui nous ont poussés à aller plus loin, à corriger nos erreurs (et il y en a eu !) et à progresser. Il est d’ailleurs crucial pour l’avenir qu’au-delà des incontournables activistes, cette mobilisation se renforce et se diversifie, monte en puissance sur les sujets nouveaux afin de porter un regard critique et vigilant sur l’action publique de demain.

Etalab, c’est ainsi un formidable engagement collectif pour transformer l’action publique par le numérique. C’est en quelque sorte la volonté d’incarner dans le champ du numérique le principe de “mutabilité” du service public, pour produire une action publique à l’état de l’art du progrès technique et ouverte sur la société et ses attentes. En cette année d’anniversaire, nous ouvrons donc une série d’événements pour dresser le bilan de nos actions, nos réussites et nos échecs mais aussi imaginer, ensemble, les prochaines années. Car le paysage du numérique a beaucoup changé. Partout en France ou dans le monde, de nouveaux acteurs, tant publics qu’associatifs ou privés, se sont emparés de la question du numérique et des données, appelant de nouvelles réponses : comment utiliser, collectivement, les données au service de l’intérêt général ? Comment tirer parti de l’intelligence artificielle sans sacrifier l’éthique et les libertés publiques et individuelles ? Quels sont les profils dont doit se doter, aujourd’hui et demain, le service public pour accélérer encore sa transformation numérique ?... Autant de questions auxquelles nous vous invitons à contribuer tout au long de cette année. Merci à toutes celles et ceux qui ont pris et prendront part à cette aventure collective ! 

* Etalab est un département de la Direction interministérielle du numérique (DINUM), qui est en charge de la transformation numérique de l’Etat au sein du ministère de la Transformation et de la Fonction publiques.

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Club des acteurs publics

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