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“Le trop discret centenaire du Réseau de coopération et d'action culturelle français à l’étranger !”

Alors que se déroule cette semaine le colloque “Du rayonnement à l’influence, histoire de la diplomatie culturelle” marquant le centenaire du Réseau de coopération et d’action culturelle français à l’étranger, trois chercheurs pointent le manque de notoriété de ce réseau pourtant “atout décisif pour la diplomatie française” : Benjamin Benoit, maître de conférences à l’Université de Perpignan (IAE-MRM), Hien Laëtitia Do, maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM-LIRSA) et Philippe Lane, professeur émérite à l’Université de Rouen. Ils ont servi au sein du réseau diplomatique et culturel français. 

Cette année 2022 marque le centenaire d’une organisation publique pas tout à fait comme les autres : le Réseau de coopération et d'action culturelle français à l’étranger, communément dénommé Réseau culturel, qui comprend les Instituts français et les Alliances françaises. Cet anniversaire met au jour un paradoxe : alors que ce Réseau culturel unique en son genre constitue un outil précieux pour la nécessaire diplomatie d’influence, la célébration de ses cent années d’activité est bien timide.

En ces temps troublés, il est pertinent de rappeler que la France - et plus précisément son ministère des Affaires étrangères - peut s’enorgueillir d’avoir patiemment, au fil des décennies, tissé un réseau unique en son genre sur les cinq continents, fer de lance de sa diplomatie culturelle d’influence et expression d’un soft power à la française. Comme il est indispensable de souligner trois points saillants le concernant : sa réelle capacité d’adaptation et d’action, et, pourtant, sa trop grande discrétion, ce qui nécessite la réaffirmation de son identité dans un esprit de résilience.

L’essor de la diplomatie culturelle française est marqué par sa capacité d’adaptation

Des capacités d’adaptation extérieures, d’abord, en conduisant des activités variées (éducation, arts, débats d’idées, sport, jeunesse, coopération universitaire, etc.) dans des contextes particulièrement hétérogènes. Ainsi, depuis la création du secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1589, un mouvement d’expansion porté par un principe d’universalité s’est illustré avec des missions d’exploration en Afrique à partir de 1844, la fondation de l'Institut français du Caire en 1880 ou encore la création d'un service des écoles et des œuvres françaises à l'étranger en 1909. Dans ce sens, le Réseau culturel français, encore considéré comme le plus important réseau culturel mondial, s’est nourri et constitué au travers d’échanges avec des peuples et des cultures.

Des capacités d’adaptation également “internes”, c’est-à-dire au sein de l’administration française. Depuis un siècle, et particulièrement au cours des trente dernières années, l’adaptation au changement pour le réseau culturel s’est traduite par l’adaptation, dans un souci de modernisation et de rationalisation de l’action publique, à des réformes nombreuses et incessantes : fusion des ministères des Affaires étrangères et de la Coopération en 1998, réforme de la coopération avec la création en 1999 de la direction générale de la coopération et du développement, à laquelle a succédé la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats en 2009, ou encore loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État créant notamment les ÉPIC Campus France, Institut Français et Expertise France.

Encore faut-il mentionner les réformes en matière d’administration et de gestion qui marquent fortement le travail des agents depuis la mise en œuvre en 2006 de la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances). Ainsi que le résume bien son site, “le MAE a engagé en 2008 un processus de réforme dont les axes ont été fixés dans le cadre du processus de révision générale des politiques publiques (RGPP) et du livre blanc sur la politique extérieure de la France, publié en juillet 2008. Cette réforme a permis de renforcer la lisibilité et l’efficacité de la diplomatie d’influence française”.

Cette capacité d’adaptation n’a d’égale que sa discrétion

À l’exception d’un petit groupe constitué de parties prenantes de la diplomatie culturelle d’influence, qui connaît les activités de ce dispositif fort de 5 000 agents en poste au sein de 137 services culturels dans les ambassades, 96 Instituts français et 135 antennes, 310 espaces et antennes Campus France, 22 instituts de recherche à l’étranger, œuvrant avec une douzaine d’opérateurs (dont l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger avec 552 établissements dans 138 pays) et des réseaux partenaires tels ceux des 832 Alliances Françaises dans 131 pays ?

En fait, à l’étranger, de nombreux acteurs le connaissent mais en France, ses principaux financeurs que sont les contribuables sont insuffisamment sensibilisés à cet “outil merveilleux”, pour reprendre le terme utilisé par Léopold Sédar Senghor lorsqu’il évoquait la francophonie. Justement, un colloque organisé par un collectif d’universitaires piloté par Charlotte Faucher et Laurent Martin avec le soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de l’Institut français, sur le thème “Du rayonnement à l’influence”, célèbre à Paris en mai 2022 ce Réseau culturel, issu de l’ordonnance 45-675 du 13 avril 1922 qui avait créé une direction générale des relations culturelles au sein du ministère des Affaires étrangères. Mieux promouvoir le Réseau culturel c’est aussi favoriser le dialogue des cultures et d’autres voix susceptibles de contribuer à la paix, l’entraide et les solidarités dans le monde.

La réaffirmation de l’identité du Réseau culturel

L’identité vient comme troisième point saillant, en correspondance avec les deux précédents. Les modalités d’action du Réseau culturel ont évolué au fil du temps. Cet outil de rayonnement intellectuel et culturel de la France s’est peu à peu enrichi et complexifié ; ce réseau de réseaux a également pris une dimension smart power : influence dans les débats d’idées et vis-à-vis des valeurs promues par la France sur l’échiquier mondial et valorisation des industries culturelles et créatives. Cela explique pourquoi il connaît une forte transformation et la réforme y est quasi permanente. Cela explique aussi qu’il doit mieux affirmer son identité car entre quête d’intérêt public et recherche d’équilibre financier (les questions comptables, de contrôle interne et de budget sont aujourd’hui prégnantes et la recherche de financements forte) il doit aussi affronter une forme de compétition mondiale, par exemple avec la Chine qui avance ses pions en implantant des Instituts Confucius sur la carte mondiale tel un joueur de go.

Ainsi, quelle est la place de la diplomatie culturelle à l’heure où la diplomatie d’État se trouve en concurrence avec des diplomaties privées ? Comment valoriser la diplomatie culturelle d’influence quand celle-ci fait partie des grands oubliés du débat électoral ? Comment promouvoir (et maintenir en l’état ?) le double réseau des Instituts français et des Alliances françaises ?

À l’heure où la suppression des corps de conseillers des Affaires étrangères et de ministres plénipotentiaires a été actée, il est peut-être temps de s’intéresser à la professionnalisation des agents du Réseau culturel. Certes, le Réseau culturel a su se mobiliser et se raviver à l’étranger pour faire face aux situations critiques générées par la crise sanitaire de la Covid-19, notamment grâce à la transformation numérique de l’action culturelle. Toutefois, cette résilience doit aussi se manifester en France au travers d’une forme de mobilisation de l’opinion publique en la sensibilisant davantage aux enjeux - et atouts - qui relèvent de la diplomatie d’influence. Trop méconnu dans l’Hexagone, le Réseau culturel et scientifique nécessite une véritable campagne nationale d’information car il représente un atout décisif pour la diplomatie française et porte la voix de la France au-delà de ses frontières et en direction des sociétés civiles. Cela constituerait sans doute une clé de réussite pour ouvrir le second centenaire du Réseau culturel français à l’étranger.

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