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“Les agents sont en demande de formation sur les enjeux écologiques”

Pour Acteurs publics, Alessia Lefébure, Benjamin Caraco et Rudy Chauvel, membres du collectif “Une fonction publique pour la transition écologique”, détaillent les résultats de leur enquête sur les attentes et les besoins en formation sur les enjeux de transition écologique des managers et des agents publics. Leurs conclusions : les attentes sont fortes, l’offre insuffisante, les expérimentations lancées par certaines écoles de la haute fonction publique doivent être développées, alors même que le plan de relance va favoriser ces enjeux en 2021.

En jugeant recevable la requête de la commune de Grande-Synthe (Nord) et de son maire, le Conseil d’État a récemment demandé au gouvernement de justifier, sous trois mois, que le refus opposé à cette commune de prendre des mesures supplémentaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre était compatible avec la trajectoire de réduction de 40 % d’ici 2030 sur laquelle la France s’est engagée en signant l’accord de Paris sur le climat en 2015.

Au moment où le respect par la France de son engagement international sur les changements climatiques est interrogé, de nombreuses initiatives en faveur de la transition écologique émergent sur l’ensemble du territoire, souvent portées par les acteurs publics, notamment dans les collectivités territoriales et dans les champs sanitaire, social et médico-social. Si ces acteurs sont capables d’impulser des projets, d’innover et de s’engager pour une transition réussie et inclusive à tous les niveaux, leur action bénéficierait d’outils et formations plus en adéquation avec les ambitions nationales et européennes. Pour mieux connaître les besoins des agents, le collectif “Fonction publique pour la transition écologique” (FPTE) a lancé à l’été 2020 une double enquête, centrée sur les enjeux de la formation.

Conduite auprès des agents du secteur public, des grandes écoles et des organismes de formation continue, cette enquête révèle avant tout un fort intérêt de la part des agents pour les enjeux de la transition écologique. L’enquête indique également que si les grandes écoles et les organismes de formation se sont pour beaucoup saisis de la thématique de la transition écologique, les formations restent globalement en-deçà des attentes des agents.

Seule une prise de conscience globale parviendra à coordonner et dynamiser les différentes initiatives sur les territoires et à encourager l’émergence de formations plus denses, plus professionnalisantes et capable d’articuler les connaissances scientifiques avec les applications concrètes. 

La formation statutaire organisée par l’État ne semble pas à la hauteur des enjeux écologiques.

À la suite d’une contribution adressée à France Stratégie en mai 2020 par le groupe “Formation” du collectif FPTE dans le cadre de l’appel “Covid-19 : pour un « après » soutenable”, 2 questionnaires ont été conçus avec pour objectif d’affiner l’état des lieux et les attentes en matière de formation aux enjeux de transition écologique dans les administrations publiques. 

Le premier questionnaire s’est adressé aux agents publics, recevant 121 réponses complètes entre mai et août 2020. Les répondants appartiennent en majorité à la catégorie A et A+. Ils évaluent en moyenne leurs connaissances des enjeux écologiques à 7 sur 10, s’autopositionnant ainsi à un niveau plus que satisfaisant. Les répondants indiquent toutefois que la grande majorité de ces connaissances ont été acquises de façon autonome sur le temps libre puis, dans une moindre mesure, via l’expérience professionnelle, parfois au cours de l’enseignement secondaire ou supérieur et enfin par l’engagement associatif. Les deux réponses les moins fréquentes concernent la formation initiale, d’intégration ou continue, proposée aux fonctionnaires préalablement à leur prise de poste.

La formation statutaire organisée par l’État pour permettre aux agents d’acquérir les compétences nécessaires à l’exercice de leurs fonctions ne semble pas à la hauteur des enjeux écologiques. Les agents sont globalement formés, et bien formés, car 76,9 % d’entre eux ont suivi une formation d’intégration ou une formation initiale liée à leur corps ou cadre d’emploi. Mais ils n’ont, pour la plupart, pas bénéficié de formation en lien direct avec les enjeux environnementaux et avec leur prise en compte dans l’action publique. Le constat est équivalent pour la formation continue, puisque 68,6 % des répondants n’ont jamais suivi de stage sur ces sujets. 

Propositions concrètes

A contrario, 90 répondants, soit 74,4 % du total, expriment des besoins précis de formation à ces enjeux par rapport à l’exercice de leur métier. Ils identifient, dans l’offre de formation qui leur est proposée, les manques suivants : une approche sectorielle et technique qui ne favorise pas l’intégration transversale de questions écologiques à l’ensemble des formations existantes, l’absence de caractère obligatoire des formations à ces sujets, l’absence de formations spécifiques permettant d’intégrer les connaissances dans le travail quotidien par des mises en situation, des retours d’expérience et des applications concrètes, l’absence d’un socle commun de bases scientifiques minimales, le manque d’opportunités d’approfondissement, la difficulté à échanger sur les leviers d’action permettant de mettre en place la transition, notamment l’accompagnement du changement.

Les agents proposent, au moyen de l’enquête, quelques pistes pour une formation plus en adéquation avec les défis : des exercices de prospective à long terme, la formation systématique des élus et des directions, des activités pour comprendre la dimension systémique et complexe de la transition écologique, l’intégration dans le tronc commun obligatoire. Ainsi, ils font émerger des propositions concrètes de nouvelles formations à mettre en place : un socle commun associé à un métier précis, des bases scientifiques communes, des connaissances sur les mécanismes et opportunités de financements, sur la gestion des flux énergétiques et des bâtiments, des formations juridiques.

Les besoins des agents sont connus et certaines grandes écoles, notamment celles qui sont en charge de la formation initiale, ont déjà lancé des initiatives expérimentales.

La nécessité de conférer un caractère obligatoire à ces formations revient à de nombreuses reprises, tout comme la nécessité de former les décideurs (élus et hauts fonctionnaires). Les besoins des agents sont donc connus et certaines grandes écoles, notamment celles qui sont en charge de la formation initiale, ont déjà lancé des initiatives expérimentales. 

En complément de l’enquête destinée aux agents, un questionnaire spécifique a permis de sonder les écoles d’application post-concours formant des fonctionnaires et hauts fonctionnaires (catégorie A et A+ dans leur grande majorité). L’enquête a été diffusée, entre juin et septembre 2020, via le Réseau des écoles de service public (RESP) ainsi que via les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE). 

In fine, 11 écoles ont répondu, dont 3 relevant du domaine de l’environnement, 3 INSPE (Amiens, Aquitaine et Toulouse), 2 écoles du domaine culturel, ainsi que 3 dans les champs de la santé publique, du droit et de l’administration. Les réponses obtenues ont avant tout une valeur informative et qualitative. Ce “coup de sonde” met en lumière quelques initiatives remarquables, qu’elles émanent d’écoles spécialisées dans l’environnement ou non, et donne à voir les freins au développement des enseignements sur ces enjeux, tels que ressentis par les écoles.

Parmi les obstacles qui empêcheraient les écoles de s’engager plus fortement dans la formation aux enjeux de la transition écologique, les deux les plus fréquemment cités sont d’abord le manque de temps dans le cursus pour ces enseignements, ensuite l’absence de demandes de la part des ministères de tutelle. En effet, contrairement aux universités, les grandes écoles ne sont pas libres d’organiser leurs maquettes comme elles l’entendent lorsqu’il s’agit des formations “statutaires”, car les référentiels sont fixés par des décrets ministériels. Un tel constat souligne l’importance d’une impulsion et d’une volonté politique au niveau central.

Les résultats préliminaires de ces 2 enquêtes confirment la possibilité et l’intérêt d’intégrer les enjeux de la transition dans les troncs communs de l’enseignement de ces écoles (ENGEES, EHESP, ENA, ENM, École nationale des services vétérinaires), ainsi que la création de diplômes spécialisés pour les nouveaux métiers liés à la transition écologique (INSPE Aquitaine, ENGEES). Enfin, le label “Développement durable & responsabilité sociétale” des établissements d’enseignement supérieur (https://www.label-ddrs.org/) est perçu par presque toutes les écoles comme un puissant levier de transformation des enseignements. 

Changements significatifs

Certes, toutes les écoles spécialisées dans les métiers de l’environnement et de la santé ont bien compris la nécessité de faire évoluer leurs enseignements. Pour les autres écoles, notamment les généralistes, les initiatives prises au cours des dernières années reposent sur la bonne volonté collective et individuelle, à défaut d’une impulsion de la part des ministères de tutelle.

Face à la taille des enjeux sociaux des transitions écologique, climatique, énergétique, les réponses des gouvernements ne peuvent que décevoir, en France comme dans les autres pays. Pourtant, les choses bougent sur le terrain et le plus souvent, en toute discrétion. Les grandes transformations commencent souvent par les marges, là où les acteurs peuvent innover, expérimenter, penser et agir différemment lorsqu’ils sont confrontés à des situations inédites.

Malgré la taille réduite des échantillons, les 2 enquêtes menées en 2020 par le collectif FPTE révèlent des changements significatifs. Elles indiquent clairement que les agents sont en demande de formation et que leurs attentes convergent par-delà les secteurs et les fonctions publiques. Elles révèlent également que les acteurs en charge de la formation des fonctionnaires, grandes écoles et autres organismes, sont en train de tester et d’explorer de nouveaux contenus et formats, en attendant de pouvoir systématiser et passer à une plus grande échelle si l’impulsion gouvernementale se précise et se clarifie.

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Club des acteurs publics

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