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Manuel Valls : “On abat la colonne vertébrale de l’État avec la suppression du corps préfectoral”

Dans un entretien à Acteurs publics, l’ancien Premier ministre et ancien ministre de l’Intérieur critique vertement l’annonce par l’exécutif de la suppression du statut particulier des préfets. 

Vous avez critiqué la suppression annoncée du corps préfectorale, comme beaucoup d’autres politiques. Pourquoi ? 

L’exécutif multiplie les mauvais signaux, que ce soit à propos de l’annonce de la suppression de l’ENA ou de celle du corps préfectoral. On ne peut que s’interroger sur le moment de ces annonces dans le contexte actuel de mise en cause de l'autorité de l’État et de son affaiblissement. Je sais bien que le gouvernement n’a pas annoncé la suppression de la fonction de préfet mais, encore une fois, le moment politique, moral et éthique n’est pas bien choisi. Au fond, on ne sait pas très bien quel est le sens de ces réformes. S’il s’agit de penser que la haute fonction publique ne peut rester figée dans les formes actuelles d’organisation et de gestion, il n’y a aucun problème. Mais ce sont des sujets inflammables. La volonté de fondre le corps des préfets dans la masse générale de l’administration est une mauvaise décision. 

En quoi la mesure risque-t-elle d’aboutir à un “véritable abaissement de l’État” et à “une mise en cause de notre organisation républicaine”, comme vous l’avez affirmé sur Twitter ?

On abat la colonne vertébrale de l’État et celle du ministère de l’Intérieur. La présence de l’État est demandée et attendue dans les territoires. Certes, personne ne remet en cause l’ancrage territorial des préfets mais cet ancrage est lié à une formation, à un métier. Le risque est d’affaiblir la légitimité de ces représentants de l’État.  

La réforme est “avant tout démagogique”, a estimé votre successeur à Matignon, Bernard Cazeneuve. Partagez-vous son constat ? 

Faute pour l’exécutif d’avoir donné du sens à sa réforme du corps préfectoral, toutes les interprétations sont possibles. Mais il y a effectivement une part de démagogie. L’exécutif veut aller trop vite. C’est la même chose que pour l’ENA. Le gouvernement semble s’attaquer à la haute fonction publique pour plaire à un discours très général de remise en cause de l’État et je le regrette. Ce n’est certes pas la première fois qu’un gouvernement le fait. Il faut bien entendu un effort d’ouverture de la haute fonction publique et de ses grands corps. Mais tout cela doit commencer en amont du système scolaire. Pour fonctionner, l’ascenseur social doit démarrer au rez-de-chaussée et pas en haut de la pyramide. Le gouvernement avance aussi l’idée de s’éloigner de nominations politiques via la fonctionnalisation des préfets. Un argument qui est loin de fonctionner, à raison. 

En 2014, dans votre réponse à un référé critique de la Cour des comptes sur la gestion des préfets, vous préconisiez pourtant la création d’un corps d’emplois fonctionnels pour pourvoir les postes de préfets territoriaux...

L’idée n’était pas à proprement parler de supprimer le corps des préfets et encore moins de remettre en cause leur fonction. Nous avions esquissé l’hypothèse de la création d’un cadre d’emplois fonctionnels destiné à pourvoir des postes de préfets territoriaux. Avec comme objectifs de redonner des marges de manœuvre dans la gestion des préfets, de renforcer l’ouverture de ces postes et d’assurer des parcours de carrière intéressants aux hauts fonctionnaires de la Place Beauvau. La mesure aurait supposé de créer un corps unique de hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur comme celui des ministres plénipotentiaires du Quai d’Orsay. 

Pourquoi cette réflexion a-t-elle finalement été abandonnée ? 

Je venais récemment d’arriver à Matignon. La Cour des comptes nous interpellait sur des vrais sujets comme la brièveté des affectations, la question des préfets hors cadre et des préfets chargés d’une mission de service public ou encore l’idée d’un cadre d’emplois fonctionnels. Mais, très honnêtement, je n’aurai pas répondu de la même façon à ce référé un an ou deux ans après. C’était dans le contexte de ce référé que j’avançais ces propositions et pas dans un débat général autour d’un spoil system à la française. Un système qui ne correspond pas à l’esprit de notre État républicain mais qui, malheureusement, semble être en filigrane du projet de suppression de l’ENA et du corps préfectoral. Ce sont des réformes qui, très vite, ne s’imposent pas à celui qui croit que l’État est fondamental et qui sait que le rôle des préfets est fondamental tout comme leur capacité à résister à tout ce qui mine notre identité et l’histoire de notre Nation. Ce n’est pas le moment d’inquiéter. C’est le moment de conforter et de rassurer. 

Propos recueillis par Bastien Scordia 

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Club des acteurs publics

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