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Maryvonne Le Brignonen : “Les concours et la scolarité à l’INSP vont fortement évoluer”

Dans une interview à Acteurs publics, la directrice de l’Institut national du service public (INSP) détaille les grands axes de la refonte à venir des concours d’entrée et de la scolarité au sein de cet établissement qui a remplacé l’ENA le 1er janvier dernier. Les épreuves de culture générale et d’anglais vont notamment être revues. Une “coloration” des parcours d’enseignement est également prévue, tout comme un allongement de la scolarité. L’occasion aussi pour Maryvonne Le Brignonen de revenir sur la suppression du classement de sortie. 

La directrice de l’Institut national du service public, Maryvonne Le Brignonen.

Une refonte des concours d’entrée à l’INSP est prochainement prévue. Quelle sera la philosophie de cette réforme ?
La réforme, qui entrera en vigueur en 2024, concernera tout d’abord les épreuves d’admission et donc les oraux. L’oral doit devenir un moment où l’on valorise véritablement son profil, son potentiel et son projet. Les deux épreuves académiques orales vont donc être supprimées, à savoir l’épreuve portant sur les questions relatives à l’Union européenne et celle portant sur les questions internationales. Ce sont bien entendu des épreuves importantes, mais elles seront désormais examinées à l’écrit. Les oraux d’admission vont désormais être recentrés autour de 3 épreuves. L’entretien, tout d’abord, qui va être allongé pour passer de 45 minutes à une heure. L’épreuve collective d’interaction (ECI) deviendra quant à elle une véritable mise en situation collective où les candidats seront confrontés à un problème concret qu’ils devront résoudre ensemble. Cela permettra de mesurer leur capacité à coopérer pour trouver une solution à un problème donné, alors qu’aujourd’hui, cette épreuve consiste en la succession de plusieurs prises de parole sur des sujets assez théoriques.

Et quid de l’épreuve orale d’anglais ?
Une nouvelle approche est prévue pour cette épreuve d’anglais. L’anglais reste toujours indispensable pour les hauts fonctionnaires. Les candidats devront donc valider un niveau minimal éliminatoire qui sera a priori le niveau B2, mais l’épreuve, en revanche, ne sera plus classante. Cette épreuve, en effet, a pu être jugée discriminante, compte tenu notamment des séjours à l’étranger que certains candidats ont pu faire.

Quel est l’avenir de l’épreuve écrite de culture générale ?
Le principe du maintien de cette épreuve de question contemporaine a été acté il y a plusieurs mois. Il y aura en revanche un programme et un certain nombre de références pour cette épreuve. Ces thèmes seront définis à l’avance et permettront aux candidats de se préparer de manière plus ciblée et, ainsi, d’éviter de réutiliser des fiches de lecture standardisées. Nous souhaitons aller chercher une position personnelle et une analyse que les candidats auraient pu développer durant leur préparation des concours. L’objectif est d’encourager des prises de position personnelles, l’utilisation du “je” et la restitution d’expériences. Cela permettra ainsi de mieux différencier les copies et d’avoir des copies moins homogènes qu’aujourd’hui.

La suppression annoncée du classement de sortie et son remplacement par ce dispositif d’appariement rétroagit aussi sur l’approche pédagogique.

Des évolutions sont-elles prévues aussi pour les épreuves écrites du concours interne et du troisième concours ?
Une nouvelle épreuve va être mise en place pour mieux valoriser ce que les candidats à ces concours ont réalisé durant leur parcours, de manière à mesurer leurs compétences de management et de leadership notamment. Le nombre d’épreuves va par ailleurs être ramené de 5 à 4 pour le concours interne et le troisième concours, avec notamment un principe de majeure et de mineure entre le droit et l’économie.

Une refonte de la scolarité est également dans les tuyaux. Quelles en sont les grandes lignes ?
Cette refonte de la scolarité interviendra le 1er janvier 2024 avec un allongement de deux mois et demi de la période passée au sein de l’INSP, qui durera désormais deux ans : vingt-deux mois et demi de période de scolarité, comme aujourd’hui, et un mois et demi consacré à la nouvelle procédure d’appariement des élèves. La suppression annoncée du classement de sortie et son remplacement par ce dispositif d’appariement rétroagit aussi sur l’approche pédagogique. À partir du moment où on ne classe plus, on peut en effet davantage individualiser l’approche pédagogique. La nouvelle scolarité sera ainsi articulée autour d’un référentiel de compétences que la Diese [la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, ndlr] est en train d’élaborer et de grands défis de l’action publique, qui seront a priori au nombre de 7. Cette clé d’entrée des “défis” permettra de donner une dominante aux parcours d’application.

Comment cette réforme se concrétisera-t-elle dans les enseignements ? Des spécialisations sont-elles prévues ?
Certains cours en entrée de scolarité pourront être obligatoires et d’autres optionnels, compte tenu des connaissances que les candidats ont déjà pu acquérir par le passé. La fin de scolarité, quant à elle, sera marquée par plusieurs colorations des parcours que les élèves pourront combiner. Il ne s’agit pas de recréer des filières, mais de permettre aux élèves d’approfondir des thématiques de politiques publiques durant leur scolarité et leurs stages.

Quelles sont les évolutions prévues pour les stages ?
Il y aura toujours un stage à l’international, puis un stage dans les territoires. Le territoire sera le point d'accroche pour plusieurs stages. Un stage en préfecture tout d'abord, car c'est là que l'on voit l’ensemble des politiques publiques de l’État, mais aussi un stage qui permettra aux élèves d'initier une coloration de leur scolarité. Ce sera avant tout un stage dans un service déconcentré ou dans une PME, notamment pour ceux qui voudraient avoir une coloration plus économique et financière. Le stage en Dreal [direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ndlr], par exemple, pourrait viser ceux qui souhaitent approfondir la question de la transition écologique. Durant ce stage, et pendant une période d'un mois, les élèves devront aussi être véritablement au contact des usagers. Manière d’aborder la grande question du dernier kilomètre de l’action publique. Cela pourrait se passer dans des maisons France services, dans des centres des finances publiques ou dans des guichets de mairie, par exemple.

Qu’en est-il du suivi des élèves durant leur scolarité ?
Nous sommes dans une logique de plus grande professionnalisation. La procédure d'appariement en sortie de scolarité s'organisera autour d'un conseil de professionnalisation qui s'inspire de ce qui existe aujourd'hui à l'Institut national des études territoriales. Des professionnels et praticiens suivront un petit groupe d'élèves pendant toute leur scolarité. Le dispositif de coaching actuel sera également pérennisé.

On en revient à un système classique, où c’est l’employeur qui aura le dernier mot.

Quel sera le nouveau séquençage de la scolarité à l’INSP ?
Aujourd'hui, les élèves partent en stage trois semaines seulement après leur entrée à l’école. En entrée d’institut, il y aura désormais une session de quatre mois pour rebaser les fondamentaux et donner des compétences nécessaires aux élèves pour leurs stages, à la fois sur le fond et sur les questions de leadership et de management. Nous avons déjà déployé le tronc commun pour la première année avec les élèves des autres écoles de service public. Les élèves partiront ensuite en stage pendant une année, puis reviendront à l'INSP pour une durée de six mois pour suivre leur scolarité et notamment la période de coloration de leurs enseignements. S’ensuivra la procédure d'appariement, qui durera un mois et demi environ. Nous souhaitons également passer d'une scolarité de septembre à septembre, dès 2025. C'est un vœu des élèves et des employeurs. Il est plus facile de prendre un poste au 1er septembre, mais c'est aussi un facteur d'attractivité pour les élèves qui ont des familles, et ils sont nombreux.

Le classement de sortie va être remplacé en 2024 par une nouvelle procédure d’affectation. En quoi cette procédure permettra-t-elle d’assurer un véritable appariement profil-poste ?
La procédure de sortie sera anonyme dans sa première partie. Les dossiers des élèves seront en effet anonymisés. Ceux-ci candidateront aux postes proposés par les employeurs, sur la base de fiches de poste définissant très clairement les compétences attendues sur la base du référentiel de compétences de la Diese et les critères de recrutement. C'est sur cette base que les dossiers seront sélectionnés, avant une procédure d'entretiens. On en revient à un système classique, où c'est l'employeur qui aura le dernier mot et qui choisira son élève ou futur collaborateur. Tout cela sera encadré par une commission de suivi qui vérifiera que la procédure d'appariement a été parfaitement objectivée. Désormais, les élèves iront sur les postes qu'ils souhaitent occuper et sur les thématiques qui les intéressent. En ce sens, la procédure de coloration des enseignements sera plus que bénéfique.

N’y a-t-il pas un risque de recréer une certaine forme de cooptation de la part des employeurs avec la nouvelle procédure, employeurs entre lesquels la concurrence promet d’être féroce ?
Les employeurs veulent toujours avoir les meilleurs pour leurs postes et les meilleurs, ce ne sont pas forcément les mêmes pour les uns et pour les autres. Je ne crains pas de cooptation puisqu’il y aura de la collégialité à tous les étages. Et il ne faut pas oublier que le cadre supérieur est une ressource rare. L’employeur va donc aller chercher la bonne personne au bon endroit, celle dont il a véritablement besoin. Avec la fin de l’accès direct aux grands corps, par ailleurs, tout le monde aura les mêmes opportunités de carrière. Cela encouragera les élèves à choisir les thématiques qui leur plaisent et les employeurs, les compétences qu’ils recherchent, d’où ce rapprochement de l’offre et de la demande.

Propos recueillis par Bastien Scordia

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