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Sur la loi SRU, un dialogue de sourds à tous les étages

Seule une minorité des 35 000 communes françaises est soumise à l’obligation de construire des logements sociaux. Pourtant, ce sujet empoisonne toujours les relations entre l’État et des collectivités territoriales, qui ont l’impression d’être face à un mur d’incompréhension.

Verre à moitié plein ou verre à moitié vide ? Avec 47 % des 1 035 communes ayant rempli leur obligation de construire des logements sociaux – dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) –, doit-on considérer que près de la moitié ont atteint leur objectif de production fixé par l’État ? Ou que plus de la moitié ne mâchent pas leurs mots pour critiquer une loi qu’ils jugent “punitive” dans ses tenants et ses aboutissants.

En résultats cumulés, les objectifs de production ont été dépassés (107 %), puisque 211 000 logements sociaux ont été mis en service ou financés entre 2017 et 2019, bien qu’il y ait des disparités régionales. Parmi les 550 communes n’ayant pas rempli leurs objectifs triennaux : 228 n’ont pas atteint la quantité, mais ont rempli leurs obligations en termes de répartition équilibrée entre les différents types de ­logements sociaux ; 82 ont atteint la quantité ; 240 n’ont été performantes sur aucune des deux obligations. Car si la loi SRU permet d’agir sur la ségrégation intra-communale, “du fait d’une meilleure dispersion du logement social dans des programmes mixtes”, et si elle a bien amplifié la construction de logements sociaux, “elle n’a pas permis de répondre à la question de la ségrégation urbaine à une échelle globale”, a affirmé Thomas Kirszbaum, chercheur et coorganisateur d’un colloque du comité d’histoire du ministère de la Cohésion des territoires, sur le thème “L’article 55 de la loi SRU, vingt ans après”, en janvier dernier.

89 millions d’euros de pénalités

Parmi les 550 n’ayant pas respecté leur objectif, 280 collectivités se sont vu infliger un constat de carence, assorti d’un total de 89 millions d’euros de pénalités pour 2019. Elles sont issues de 45 départements au sein desquels les Bouches-du-Rhône décrochent la palme avec 34 ­communes en dehors des clous (35,4 millions d’euros de pénalités) devant les Alpes-Maritimes, le Var, le Rhône, les Yvelines, ou encore le Gard et l’Hérault. Un chiffre en hausse, puisqu’elles n’étaient que 264 lors du précédent point d’étape.

En présentant le bilan triennal 2017-2019 de cette loi du 13 décembre 2000, en janvier 2021, le ministère du Logement n’a pas accablé plus que nécessaire les collectivités, mais la ministre, Emmanuelle Wargon, a clairement dit que le gouvernement ne renoncerait pas à ses objectifs de “mixité sociale” passant par “une meilleure répartition des logements sociaux sur le territoire”. Pour autant, si les 20 ou 25 % seront atteints par une majorité de collectivités à l’horizon fixé de 2025, ils ne seront pas réalisables avant plusieurs années dans d’autres, voire jamais. Une bonne raison pour que le gouvernement laisse entendre que 2025 pourrait n’être qu’une étape d’une obligation appelée à perdurer, avec de nouveaux critères.

Les maires n’ont pas le sentiment d’être mieux ou moins bien écoutés qu’il y a cinq ans, mais ils déplorent de n’être toujours pas entendus et de subir des pénalités financières croissantes, quand bien même ils ont succédé à une équipe municipale qui n’a fait aucun effort, ou ils sont confrontés à des situations foncières sur lesquelles ils ont moins de prise que l’État. Avec les baisses de dotations et les budgets contraints, certains ne sont pas loin de sortir de leurs gonds.

À Chatou (Yvelines), Éric Dumoulin (divers centre) est de ceux pour qui la coupe est déjà pleine et il a déposé un double recours sur les objectifs imposés et le montant de la pénalité, passée de 300 000 à 900 000 euros. Avec “un peu moins de 17 % de logements sociaux, on nous impose d’en construire 560 en 2022 et autant en 2025. C’est totalement impossible, nous n’avons pas un seul centimètre carré de réserve foncière. Les services de la direction départementale du territoire (DDT) ont pointé sur la carte des espaces soi-disant urbanisables, mais ce sont des parcs et squares privés, ironise l’élu. L’État se défausse sur les maires avec une loi punitive qui ne tient pas compte des spécificités locales.” 

“De la bureaucratie tatillonne soviétique”

Dans cette commune cossue de 31 000 habitants, située à deux pas du Vésinet – carencée également, bien que 90 % de cette ville-parc soient classés – et de Saint-Germain-en-Laye – non carencée –, toute opération de requalification se heurte “à un prix du foncier exorbitant”. “Je comprends qu’il faille loger tout le monde et je suis d’accord pour équilibrer, mais je ne veux pas être présenté comme un méchant maire de droite qui ne voudrait pas de logements sociaux car ma ville est plus mixte qu’on ne ­l’imagine”, peste Éric Dumoulin. Le maire trouverait plus judicieux “un objectif sur quinze-vingt ans, avec du sur-mesure, pour bien intégrer ces habitants. Je n’ai pas été élu pour casser ma ville afin de satisfaire une loi qui n’est pas applicable de manière uniforme. C’est de la bureaucratie tatillonne soviétique dans toute sa splendeur !” D’autant qu’il assure que “les 3 fois 1 300 logements fixés par la loi amèneront 10 000 habitants supplémentaires et feront exploser les problèmes de circulation, d’accueil, d’infrastructures et nécessiteront de nouveaux équipements”. 

Bien qu’il soit l’interlocuteur du maire, le préfet ne fait “qu’appliquer les directives de l’État, il n’a pas d’autre choix et il se mettrait en faute s’il ne le faisait pas”, estime Éric Dumoulin. En revanche, il ne décolère pas en évoquant “les 250 logements que l’État a déconventionnés, il y a dix ou quinze ans, alors que cela reste bel et bien du logement social. Sans cette décision, on serait à près de 20 %, avec un objectif atteignable dans les délais”, prévient celui qui assure qu’il ne lâchera “rien, ni juridiquement, ni politiquement, ni symboliquement.”

Accueil sédentaire de gens du voyage

Dans le département du Nord, Lambersart affiche 17,77 % de logements sociaux, mais plutôt que de régler une pénalité de 235 000 euros, le maire, Nicolas Bouche (SE), a préféré étoffer le patrimoine locatif social pour annuler l’amende, même si l’opération lui coûtera 250 000 euros. En 2020 et 2021, la commune a acquis deux maisons, mises à disposition d’un bailleur social et l’an prochain, elle cédera un terrain pour réaliser un accueil sédentaire de gens du voyage. “On sera tranquilles jusqu’à la fin du mandat”, se rassure le maire, qui impose un quota de logements sociaux à tout programme privé. 

Si l’équipe municipale met les bouchées doubles, c’est “pour rattraper le retard” accumulé par la précédente municipalité, “mais c’est aussi une volonté de mixité sociale. On n’arrivera pas à 25 % malgré tout, on n’a pas l’emprise pour ça”, prévient l’édile. Il estime avoir bénéficié d’une écoute “bienveillante au ministère, mais on n’a eu aucune retombée. Le préfet a bien compris le problème, il a défendu notre cause, je pense, mais dans cette ville bourgeoise, sans possibilité de récupérer du foncier délaissé, il a fallu trouver un moyen de ne pas payer pour rien. En face, l’État ne voulait rien savoir”.

“On entend bien vos arguments, mais c’est réglementaire.” Pour Carine Couturier (SE), maire de Dagneux (Ain) le discours de l’État n’a pas varié au fil des ans : “On a juste le droit de payer” et, ici, une pénalité “de plus de 100 000 euros qui peut être multipliée par quatre”. Le village de 4 800 habitants devrait construire 103 logements sociaux d’ici 2022 et autant d’ici 2025, mais se trouve “dans l’impossibilité de le faire, coincé entre une zone naturelle importante, une zone d’activité en pleine expansion, une zone en PPRI [inondable, ndlr] et l’A42 qui coupe la ­commune en deux. L’État nous dit de préempter mais les propriétaires de parcelles préfèrent vendre 400 euros le mètre carré à des privés quand nous ne pouvons pas dépasser 150 euros. Et si on prend sur les zones agricoles, on a d’autres pénalités”. Pour Carine Couturier, “l’État est toujours là pour donner des leçons mais ce n’est pas suivi d’actes pour nous aider quand il le peut”.

À Cheval-Blanc (Vaucluse) non plus, Christian Mounier (divers centre) n’a pas réussi à diminuer la pénalité ni l’objectif imposé à son village de 4 300 habitants. Mais ce qui irrite le maire, c’est de voir imposé un nombre de logements “dont on n’a pas besoin. Nous arrivons à satisfaire la quasi-totalité des demandes et on ferait plus si on pouvait affecter les logements, mais on ne va pas faire la course à l’habitant. Entre la Durance et le Luberon, si on veut conserver les zones agricoles, ce n’est pas pour faire des logements au milieu. On n’est pas aux ordres de l’État”. 

Objectifs inatteignables

Plutôt que de cibler les communes à partir de leur nombre de résidents, Christian Mounier préférerait un effort de tous, “une meilleure répartition sur le territoire et l’obligation faite à toutes les communes, même les plus petites, de construire quelques logements sociaux”. Avec la nécessité de loger ses jeunes, le village a construit quelque 60 logements sur une ancienne friche. “On fait ce que l’on peut, mais on n’en construira jamais autant que ce qui nous est demandé. Même en 2050, on ne les aura pas. On ne va quand même pas accueillir tous ceux qui veulent venir profiter du soleil de la Provence.”

Du soleil, Richard Delepierre (MoDem) n’en a pas autant que dans le Sud, mais le maire du Chesnay-Rocquencourt (Yvelines), élu en 2020, sait que manquent 1 400 logements pour atteindre les 25 % demandés à cette ville de 45 000 habitants, qui abrite le gigantesque centre commercial de Parly 2, aux portes de Versailles. 

Après trois années d’exonération de pénalité liée à la création de la commune nouvelle, la douloureuse de 1,7 million d’euros a du mal à passer pour celui qui attend que l’État cède le site délaissé de l’Inria [l’Institut national de la recherche en informatique et en automatique a déménagé ses activités de recherche vers Paris tout en conservant son siège dans la commune, ndlr], sur lequel il pourrait “carrément créer un nouveau quartier pour atteindre les objectifs de la loi”. “Je n’ai pas de sujet avec le logement social, poursuit le maire, car nous avons sur notre territoire un hôpital, une clinique privée, des policiers, des soignants et de vrais besoins de logement.” Une modification du plan local d’urbanisme intercommunal permet désormais d’imposer un quota de logements sociaux et “heureusement que le secteur privé est dynamique !” se réjouit-il. Cinquante-huit logements seront livrés d’ici 2023, mais atteindre l’objectif fixé par l’État d’ici 2025 est “impossible, tout le monde le sait”. 

Dénonçant aussi “une attitude punitive et un système inefficace”, Richard Delepierre refuse d’être “taxé de maire de mauvaise volonté. On fait ce que l’État n’est pas capable de faire. Pour l’Inria, j’ai interpellé le préfet, avec le président du département prêt à nous accompagner pour acheter le terrain, avec l’établissement public foncier, mais c’est long, trop long. Sur un autre terrain de stationnement pour véhicules de police, on nous demande d’attendre 2025 ou 2026 pour obtenir une réponse. Mais ce n’est pas sérieux, ça devient un sujet de crispation”. Lui aussi souhaiterait une réponse adaptée au territoire et, surtout, que l’État parle d’une même voix, sans attendre que la commission nationale de recours révise l’objectif triennal de construction, alors que la commission départementale s’est montrée inflexible.

À lire aussi dans notre dossier spécial sur les relations État-collectivités :
Développement économique : entre État et régions, des rapports moins compliqués sur le terrain
L’action sociale, ou quand la frontière des compétences est franchie en bonne intelligence

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