Derrière l’attestation dématérialisée, l’incubateur de services numériques de la Place Beauvau

Après plusieurs revirements, le ministère de l’Intérieur a finalement mis en ligne, lundi 6 avril, une attestation de sortie dérogatoire au format numérique. Une solution mise sur pied en tout juste une semaine par le laboratoire d’innovation de la Place Beauvau.

Une semaine et une poignée de développeurs. C’est ce qu’il aura fallu, pour produire une attestation de sortie au format numérique, au ministère de l’Intérieur. Ou plutôt à son laboratoire d’innovation, placé sous la responsabilité de Philippe Bron, adjoint au sous-directeur de l’innovation de la nouvelle direction du numérique (DNUM) de la Place Beauvau. “Ce n’est pas un défi technologique en soi, mais la rapidité avec laquelle nous avons pu lancer ce produit est suffisamment rare pour une administration pour être soulignée”, se félicite le responsable auprès d’Acteurs publics.

En réalité, les travaux ont commencé dès le tout début du confinement, lorsque de premiers générateurs d’attestation au format numérique ont éclos ici et là sur Internet. Mais l’engrenage a rapidement été grippé par la cacophonie du gouvernement sur la validité ou non de ce format lors des contrôles de police. Dès le mardi 17 mars, la Place Beauvau rétropédale et annonce que seules les attestation imprimées ou manuscrites sont acceptées.

Faciliter les contrôles

Le laboratoire, qui avait commencé à s’approprier un générateur d’attestation créé par un développeur extérieur, suspend donc ses travaux. La nouvelle doctrine sera maintes fois répétée les jours suivants : l’idée n’est pas de simplifier les sorties, qui doivent rester exceptionnelles. Pas question, donc de mettre à disposition un formulaire numérique, très rapide d’utilisation.

Et puis finalement, le ministre Christophe Castaner annonce au Parisien qu’une attestation au format numérique sera bien disponible à compter du lundi 6 avril. “Nous avons commencé à travailler sur un formulaire officiel dès lors qu’il est devenu clair que les Français respectaient bien les règles de confinement”, justifie Philippe Bron. Soit quelques jours seulement avant l’annonce du ministre.

Dès le départ, avant même le rétropédalage du gouvernement, l’objectif que s’était fixé le laboratoire était double : il s’agissait de proposer une alternative au papier, pour ceux qui ne possèdent pas d’imprimante, et de faciliter le contrôle de cette attestation par les forces de l’ordre. Pendant une semaine, le laboratoire a donc repris le formulaire, pour l’améliorer, le rendre “responsive”, c’est-à-dire adapté aux smartphones, et lui donner une allure officielle. Mais rien de beaucoup plus innovant. 

Un site Web plutôt qu’une application 

“L’idée était que la solution numérique ne devait faire ni plus ni moins qu’une simple attestation sur papier”, expose Philippe Bron. Une manière non seulement de mettre en ligne le produit le plus vite possible, mais aussi de s’en tenir à l’objectif de départ, qui était simplement de proposer une alternative pour les personnes n’ayant pas d’imprimante, sans dériver vers des fonctionnalités potentiellement superflues ou supplémentaires à ce que peut proposer le papier, au risque de réserver un traitement différent aux personnes selon le format qu’elles auraient choisi.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le “lab” a opté pour un site Web et non pour une application mobile dédiée. “Un site Web permet de rendre le processus plus fluide pour les citoyens, sans téléchargement requis, explique encore Philippe Bron, et nous permet, de notre côté, d’apporter beaucoup plus rapidement d’éventuels correctifs et améliorations.” Et ce notamment parce que l’installation d’une application repose sur les boutiques Apple et Android, et surtout qu’elle dépend des versions du téléphone et de son système d’exploitation. Le formulaire actuel a été conçu pour être compatible avec le plus grand nombre de mobiles, même parmi les plus anciens qui se trouvent en circulation.

Un défi non pas technologique donc, mais un défi tout de même pour produire la solution la plus basique et accessible possible. La seule évolution notable par rapport au formulaire d’origine est l’ajout du système de QR code pour permettre aux forces de l’ordre de le scanner et de retrouver les informations contenues dans l’attestation sur l’écran de leur propre terminal, “Neo”, ce qui leur permet de respecter au mieux les gestes barrières.

Le service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure (STSI²) a, de son côté, développé son propre lecteur de code, “CovidReader”, afin de mettre en forme les informations qu’il contient sur l’appareil des policiers et gendarmes. 

Défenseurs des libertés

L’équipe avait bien, pourtant, envisagé plusieurs autres fonctionnalités pour faciliter le remplissage du formulaire, par exemple en ajoutant un système d’autocomplétion pour les adresses. Une fonctionnalité finalement jugée accessoire et surtout source de possibles problèmes. “Pour ce faire, il faut interroger un service Web, ce qui veut dire qu’il faut extraire des données de l’appareil”, prévient Philippe Bron. Tout ce que redoute le ministère, sur lequel se sont braqués tous les regards de défenseurs des libertés individuelles et qui avait promis, dans un communiqué, qu’“aucune donnée saisie n’est transmise aux serveurs du gouvernement” et que celles-ci ne serviraient qu’à “générer localement, sur l’appareil de l’usager, l’attestation sous forme numérique”. 

Aussi le dispositif a-t-il été passé au crible dès le week-end dernier, lorsqu’une première version a fuité dans la presse. De nouveau, ce lundi, alors que l’attestation était officiellement mise en ligne, une foule d’experts en numérique se sont empressés de décortiquer le fonctionnement du dispositif et son code informatique. À commencer par le hacker Baptiste Robert, qui avait déjà épinglé la messagerie de l’État Tchap. Celui-ci conclut que le produit final matérialise bien les promesses faites par le ministère en matière de protection des données personnelles.

Attentif à cette demande de transparence, le ministère a d’ailleurs publié le code source de l’attestation dès hier soir, afin que tous ceux qui en sont capables puissent vérifier que le système ne transmet effectivement aucune donnée. Reste, néanmoins, la question du lecteur de QR code installé sur les terminaux des forces de l’ordre. 

Un lab sous le feu des projecteurs 

Peu connu, voire inconnu du grand public, le laboratoire d’innovation du ministère l’Intérieur n’en est pas à son coup d’essai. Il a été créé en mars 2018 pour concrétiser les premières idées qui avaient germé lors d’un hackathon l’année précédente. Son équipe, qui travaille selon la méthode des start-up d’État forgée depuis 2013 par la direction interministérielle du numérique (Dinum), est composée de 5 personnes pour un budget de 750 000 euros en 2019. Trois “start-up d’État” y sont aujourd’hui incubées par 3 agents publics “intrapreneurs” accompagnés d’une équipe de développement agile.

L’objectif : prendre un problème de politique publique, réfléchir à des solutions, développer un prototype pour le tester rapidement, puis corriger le tir en fonction des retours utilisateurs. Une manière de développer des services rapidement et en continu afin d’éviter l’effet tunnel des projets informatiques traditionnels. Pour l’heure, le “lab” a déjà mis en route “Histovec”, pour retracer l’historique d’un véhicule et éviter les arnaques à la vente d’occasion, et travaille au développement de “Polex”, pour limiter la fraude à l’examen du code de la route, mais aussi à celui de “Candilib”, pour faciliter le passage de l’examen du permis de conduire en candidat libre.

La mise en lumière des travaux du lab l’ont d’ailleurs conduit à mettre en ligne un peu plus tôt que prévu son nouveau site Beta.interieur.gouv.fr. Celui-là même où de premiers informaticiens et journalistes ont déniché le formulaire d’attestation avant sa sortie officielle, avant qu’il ne soit retiré, puis reconfiguré pour renvoyer vers le site d’information du gouvernement et ses attestations classiques. 

Diffusion de méthodes agiles

S’il est à l’origine de l’attestation au format numérique, le “lab” de l’Intérieur se focalise actuellement, et contrairement à l’incubateur de services numériques de la Dinum, moins sur d’éventuelles solutions à la crise du Covid-19. Il en profite plutôt pour prêcher de nouvelles méthodes de travail dans son organisation. Rattaché à la sous-direction de l’innovation de la direction du numérique du ministère, le lab cherche en effet à “essaimer les méthodes” mises en œuvre depuis plus d’un an en son sein, afin “de contribuer à assurer la résilience du travail dans ces conditions de confinement” au reste de la sous-direction, puis de la direction de 700 personnes, souligne son responsable.

Contrairement à d’autres services, l’activité du lab n’a en effet aucunement souffert du télétravail car elle a mis en place un environnement de travail “hybride”, avec une partie de son activité et de ses outils qui sont sur Internet (et donc accessibles à distance), et l’autre qui reste sur les infrastructures du ministère. Une manière pour les équipes du lab d’“éviter de charger les infrastructures avec des activités qui ne sont pas essentielles à la continuité du service public”, tout en continuant pour leur part à travailler.

Toute la partie “développement informatique” est ainsi réalisée sur la plate-forme Github et “en clair” – c’est ainsi que le code source de l’attestation a pu être retrouvé –, tandis que les échanges internes se font sur la messagerie Slack ou sur celle de l’État, Tchap, dès lors qu’il s’agit de traiter des questions plus confidentielles ou de prendre des décisions plus formelles. Ce fonctionnement permet en outre d’intégrer les agents du métier, qui peuvent alors suivre l’avancement des travaux et surtout être associés aux décisions. 

C’est grâce à cette organisation hybride que les équipes du lab sont parvenues, malgré le confinement, à mettre au point l’attestation numérique de sortie. Seule concession : il a fallu, avec le confinement, se passer des habituels tests utilisateurs, au fondement de la méthode “start-up d’État”. Aussi, l’équipe scrute-t-elle maintenant avec attention les retours des utilisateurs de l’attestation sur les réseaux sociaux, afin d’apporter des correctifs ou améliorations d’ergonomie. Ces évolutions seront éventuellement apportées au fur et à mesure, mais resteront, dans tous les cas, mineures, afin de ne pas trahir la promesse de simplicité de départ. 

Emile Marzolf

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