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Charlotte Dattée-Cador : “Une révolution RH est en cours dans la fonction publique”

Coach et formatrice en accompagnement au changement, Charlotte Dattée-Cador souligne la nécessité d’une gestion des ressources humaines basée sur les compétences dans la fonction publique. Un enjeu phare alors que le numérique invite à cibler certains métiers clés pour le secteur public et que les codes du recrutement s’inversent. Charlotte Dattée-Cador était cheffe de la Mission “Talents” de la Dinum, au sein de laquelle elle a notamment contribué à déployer, pour l’ensemble des profils numériques de l’État, une stratégie d’accompagnement RH.

Quelle est la bonne méthode pour appréhender les enjeux de compétences dans la fonction publique, notamment sur le champ de la “tech”, alors que tout s’accélère avec le numérique ?
La méthode consistant à réaliser une photographie parfaite des compétences actuelles et une photographie tout autant parfaite des compétences de demain en liant les deux avec des plans de formation et des plans de recrutement n’est pas la bonne solution. Les services RH des organisations publiques n’ont souvent pas l’état des lieux des compétences de leurs agents et peuvent passer énormément de temps à les identifier. Le temps de la réaliser, la photo devient déjà obsolète… Et projeter les compétences nécessaires à trois ou cinq ans est extrêmement complexe dans un monde où tout évolue très vite. Cette démarche peut par ailleurs entraîner des approches contre-productives. Lorsque j’étais au département des Hauts-de-Seine, il avait été décidé d’externaliser tous les développeurs. Et puis le développement agile est arrivé et il a fallu réinternaliser les développeurs… Aujourd’hui l’intelligence artificielle (IA) arrive et le secteur public a besoin de personnes sachant piloter, construire et gérer un projet d’IA. Et on réinternalise des compétences jusqu’alors externalisées… C’est une course permanente contre la montre qui mobilise toutes les énergies de manière dommageable. Je pense qu’il faut plutôt cibler certains métiers clés sur lesquels on doit mettre l’accent et recourir à une approche par les compétences, quel que soit le statut : fonctionnaire ou contractuel. L’approche doit être transverse et pragmatique avec un leitmotiv des responsables RH publics tel que “Nous aurons demain hautement besoin de 10 à 15 compétences sur lesquelles il faut investir en priorité”.  

Comment anticiper, comment former, comment accompagner sur ces compétences ? 
Lorsque j’étais à la Dinum [la direction interministérielle du numérique, où elle pilotait la mission ”Talents”, ndlr], nous avions ciblé une quinzaine de métiers qui étaient les plus en tension et nous avions procédé par sondage auprès des DRH et DSI : comment voyaient-ils leurs besoins à venir ? Quels étaient les métiers les plus en tension sur lesquels ils avaient du mal à recruter et sur lesquels ils étaient obligés de recourir à des prestations extérieures ? Et nous avions agi en développant des actions de formation en interne, de fidélisation et de recrutement tant auprès de fonctionnaires que de contractuels. Sur des masses importantes, le sondage fonctionne assez bien parce que les employeurs identifient bien là où cela “grince”, avec une approche pragmatique et opérationnelle. On parle là de numérique et d’humain ; il faut capitaliser sur les femmes et les hommes engagés avec un mot clé : former, former et former. Il faut donc avoir à disposition des catalogues de formation permettant rapidement d’accompagner un agent quand il y a un besoin. Sur tout cela, les compétences en interne sont nombreuses : les formations en interne, je pense par exemple à l’UX design, permettent de mobiliser rapidement sans s’appuyer sur des prestations. Des actions ciblées peuvent être développées.

Les concours qui ne donnent pas de visibilité sur la rémunération, sur la localisation et sur le poste précis ne peuvent plus fonctionner.

Et concourir ainsi à l’attractivité de la fonction publique, certainement le principal défi du secteur public aujourd’hui ? 
Les solutions ne viennent pas toujours de l’extérieur. Lors de démarches collaboratives internes aux organisations, on se rend rapidement compte que l’intelligence individuelle et collective est déjà là. La connaissance, le savoir-faire et l’engagement sont immenses. Par ailleurs, d’autres leviers doivent être activés. Dans un marché du travail en tension où la concurrence entre privé et public est forte, on voit que le recrutement s’inverse. C’est bien souvent le recruteur qui passe un entretien… et de ce fait, les concours qui ne donnent pas de visibilité sur la rémunération, sur la localisation et sur le poste précis ne peuvent plus fonctionner. Il faut davantage de lisibilité. 

Le secteur public peut s’appuyer sur ses missions d’intérêt général. N’est-ce pas un élément clé sur lequel la marque employeur de l’État devrait capitaliser ? 
Le sens de l’intérêt général peut certainement éveiller et nourrir des vocations, mais ce n’est plus suffisant aujourd’hui. Une étude sur la marque employeur dans le numérique montrait que l’intérêt général venait après le fait de travailler avec certaines technologies, méthodes, langages de développement et d’avoir un impact sur des enjeux de transformation numérique. 

Il est parfois nécessaire d’accompagner un agent vers un départ et lui proposer d’autres opportunités ailleurs, sur un autre ministère, une autre organisation publique.

Les trajectoires professionnelles deviennent marquées dans le secteur public, moins rectilignes, beaucoup plus en rupture. Comment anticiper et accompagner les agents ? Comment faciliter les reconversions ?
Le premier point est de travailler en coopération et non en concurrence avec d’autres structures du public. J’ai souvent constaté que les ministères faisaient tout pour conserver certaines compétences quand bien même l’agent n’était pas épanoui dans ses missions. Conserver un agent à tout prix n’est bénéfique pour personne. Il est parfois nécessaire de l’accompagner vers un départ et lui proposer d’autres opportunités ailleurs, sur un autre ministère, une autre organisation publique. C’est beaucoup plus vertueux pour le secteur public. Et l’agent garde en mémoire cet accompagnement, ce qui peut lui donner envie de revenir et en tout cas de communiquer positivement sur cette expérience professionnelle. Le deuxième point, c’est de vérifier la solidité du projet professionnel de l’agent, de regarder avec lui la viabilité dans le temps de son projet. Enfin, il faut s’appuyer sur tout ce que proposent la DGAFP ou la Diese [la direction générale de l’administration et de la fonction publique et la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, ndlr], notamment, en matière de dispositifs de codéveloppement, mentorat, tutorat, coaching… Ils viennent stimuler l’intelligence individuelle et collective. La solidarité des communautés apprenantes est forte, s’appuyer sur l’esprit d’équipe est un facteur important de réussite.

Le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, pousse au développement du mentorat, qui reste encore limité (quelque 2 500 personnes). Les dispositifs que vous mentionnez sont encore timides… Est-ce dans la culture de la GRH du secteur public ? N’est-ce pas, surtout, une affaire de posture et de culture collective ? 
Nous parlons d’un secteur public de quelque 6 millions de personnes. Forcément, le changement prend du temps. Mais j’ai pu constater que les poches d’innovation sont nombreuses, par exemple au ministère de la Transition écologique, où le coaching est installé depuis longtemps. Plus largement, toutes les démarches entreprises ces dernières années vont dans le bon sens. Les fonctions RH restent très concentrées – et c’est normal – sur la gestion administrative et statutaire et sur les questions de rémunération, mais elles vont désormais bien au-delà. Le codéveloppement prend une nouvelle dimension, la gestion individualisée prend de l’ampleur. Une révolution RH est en cours dans la fonction publique. Il faut l’intensifier !

Propos recueillis par Sylvain Henry

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