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Daniel Agacinski : “L’inclusion numérique est un maillon fondamental de la cohésion sociale”

Dans cette tribune pour Acteurs publics, Daniel Agacinski, délégué général à la médiation au Défenseur des droits, estime que l'inclusion numérique reste un maillon fondamental de l'inclusion sociale. Mais qu'une politique d'inclusion numérique ne pourra jamais constituer une stratégie d’accès de toutes et tous aux services publics, “parce que le service public est là pour mettre en œuvre nos droits les plus fondamentaux, parce qu’il y aura toujours des erreurs ou des singularités dans les bases de données, parce que l’interaction humaine est irremplaçable dans la relation de service public”.

Aucune politique d’inclusion sociale ne peut désormais faire l’impasse sur l’enjeu de l’inclusion numérique. En quelques années à peine, la question des compétences numériques de la population a pris une place considérable – et méritée –, dans les discussions portant sur les conditions de la cohésion sociale et de l’insertion de chacun. À l’heure où le numérique est devenu une voie d’accès si puissante vers l’information, vers les savoirs, vers la culture, vers les loisirs, vers les relations sociales ou encore vers l’emploi, la capacité des personnes à emprunter cette voie et à bénéficier des ressources qu’elle offre est d’une importance capitale.

À ce compte-là, on peut dire qu’on n’en fera jamais trop pour l’inclusion numérique – à la même enseigne, par exemple, que pour les politiques d’alphabétisation, qui conditionnent la possibilité de partager ce qui fait notre monde commun. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on mesure la part encore très significative de nos concitoyens qui, pour une raison ou pour une autre, éprouvent des difficultés avec le numérique : problèmes de connexion, d’équipement, manque de maîtrise de l’écrit ou des usages numériques, crainte de l’erreur en ligne, etc. Autant de bénéficiaires potentiels des actions de médiation numérique.

Pour autant, on ne peut pas considérer qu’une politique d’inclusion numérique, aussi ambitieuse soit-elle, puisse tenir lieu de stratégie d’accès de toutes et tous aux services publics – car nous n’atteindrons pas l’objectif de 100 % d’usagers autonomes du numérique dans un horizon raisonnable. Parce que le service public est là pour mettre en œuvre nos droits les plus fondamentaux, parce qu’il y aura toujours des erreurs ou des singularités dans les bases de données, parce que l’interaction humaine est irremplaçable dans la relation de service public, il ne peut pas être question d’en réserver l’accès aux personnes autonomes avec le numérique. Or, on sait que ceux qui ont aujourd’hui le plus de difficultés avec le numérique sont aussi ceux qui ont le besoin le plus vital de services publics.

Double peine

D’après le dernier baromètre numérique Arcep/Crédoc, le taux d’équipement le plus faible se retrouve chez les non-diplômés, les habitants des communes rurales, les retraités, les plus âgés. Et, parmi les 28 % des personnes interrogées qui s’estiment peu ou pas compétentes pour effectuer une démarche administrative en ligne, sont surreprésentées les personnes les moins diplômées, celles qui disposent d’un niveau de vie faible, et celles qui résident en zone rurale. Ce sont justement les personnes dont les services publics se sont physiquement éloignés et qui ont, plus que quiconque, besoin d’y accéder pour bénéficier de prestations sociales, de retraite, de formation ou de soins. 

Au nom des principes du service public, l’administration doit s’adapter aux besoins et aux situations de ses usagers, pour assurer l’égalité effective. C’est la préconisation fondamentale du rapport publié en 2022 par le Défenseur des droits sous le titre “Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?” Cela veut dire, par exemple, que lorsqu’un usager a besoin d’une information essentielle – la démarche à suivre pour refaire sa carte vitale ou les pièces à fournir pour bénéficier des indemnités chômage, par exemple –, il faut qu’il puisse obtenir cette information autrement, notamment par téléphone. L’enquête récemment menée par l’Institut national de la consommation (INC) en partenariat avec le Défenseur des droits a hélas montré que les plates-formes téléphoniques de plusieurs grands services publics ne délivrent pas toujours les informations attendues et que, trop souvent, les usagers sont renvoyés vers le site web de l’organisme – même ceux qui avaient précisé qu’ils ne disposaient pas d’Internet ! Comment ne pas comprendre le découragement d’un usager ainsi désorienté ? Là se situe l’une des sources de ce qu’on appelle le “non-recours aux droits”.

Pour cette raison, le Défenseur des droits considère que les services publics ne doivent pas contraindre les usagers à emprunter la voie numérique pour effectuer leurs démarches, quand bien même cette voie serait plus simple pour l’administration. Ce principe n’invalide pas, au contraire, la nécessité d’une politique d’inclusion numérique et de montée en compétences des citoyens, dont les bénéfices sociaux vont bien au-delà de l’accès aux services publics. Et pour que cette politique touche le public qui en a le plus besoin, il importe que ses prochaines phases de déploiement renforcent sa lisibilité, car, à ce stade, les dispositifs juxtaposés semblent souvent compliqués à déchiffrer pour les usagers – et parfois pour les acteurs eux-mêmes. 
En définitive, l’inclusion numérique doit s’inscrire clairement et durablement dans le paysage de nos politiques publiques, être dotée des ressources budgétaires et humaines à la hauteur du défi, sans pour autant se substituer à une stratégie globale d’accès aux services publics, y compris par des canaux physiques, matériels et humains.

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Club des acteurs publics

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