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“Il faut créer un déontologue du gouvernement”

Pour Acteurs publics, René Dosière et Matthieu Caron, respectivement président et directeur général de l’Observatoire de l’éthique publique, estiment nécessaire la création d’un déontologue du gouvernement. Il interviendra auprès des ministres et de leurs cabinets, demandent-ils.

Pourquoi appelez-vous à créer un déontologue du gouvernement ? Pourquoi serait-ce nécessaire aujourd’hui alors que les enjeux de déontologie publique ont fortement progressé ces dernières années ?
René Dosière :
Le vrai point de départ de la réflexion sur la déontologie de la vie publique date de 2011 avec la parution du rapport Sauvé intitulé “Pour une nouvelle déontologie de la vie publique”. Les auteurs de ce rapport ont relevé à l’époque que la France n’était pas dotée d’un corpus cohérent de règles déontologiques applicables aux ministres et secrétaires d’État. Mais il a fallu attendre les lois d’octobre 2013, à la suite de “l’affaire Cahuzac” pour que soit mis en place un premier dispositif contraignant. C’est dire que les règles déontologiques applicables au gouvernement sont récentes. Elles sont également limitées à l’arrivée des ministres et à leur départ. Durant l’exercice de leurs fonctions, les règles sont trop faibles, disparates et peu connues : la charte de déontologie présentée en 2012 semble oubliée ; les recommandations formulées par circulaires sont clairsemées et d’accès malaisé ; les dépenses de représentation des ministres (150 000 euros annuels) manquent de transparence et de contrôle contrairement à ce qui a été mis en place dans les assemblées parlementaires au niveau de l’avance de frais de mandat. Des progrès significatifs sont donc nécessaires. Nous estimons que leur concrétisation passe par la création d’un déontologue du gouvernement. Comme l’a regretté Jean-Marc Sauvé à la suite de “l’affaire Delevoye”, “il y a des déontologues partout sauf au gouvernement”. La note détaillée que l’Observatoire fait paraître cette semaine sur le sujet a d’ailleurs été élaborée en concertation avec l’ancien vice–président du Conseil d’État. 

Appelez-vous à sa constitution dans le nouveau gouvernement d’Élisabeth Borne ?
René Dosière :
L’Observatoire a lancé l’idée d’instituer un déontologue du gouvernement à l’occasion de l’“affaire” de Rugy, en août 2019, dans une tribune parue dans les colonnes du Journal du dimanche. Dans les mois qui ont suivi, nous avons travaillé à l’approfondissement de cette proposition pour qu’elle soit opérationnelle et immédiatement applicable lors d’un prochain changement de gouvernement. Nous y sommes. Nous avons adressé hier à la Première ministre et au secrétariat général du gouvernement (SGG) un exemplaire de l’ouvrage que nous venons de consacrer à la déontologie gouvernementale, ainsi que notre note dédiée au statut et au rôle que le déontologue du gouvernement pourrait jouer en vue de faire faire progresser la déontologie et la transparence gouvernementales.

Sa mission principale serait de conseiller en matière déontologique le président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement ainsi que les collaborateurs des cabinets ministériels.

Quel serait exactement ce rôle ? 
Matthieu Caron :
Si vous voulez connaître dans le détail les missions qui pourraient être dévolues au déontologue du gouvernement, je vous renvoie à notre note. Pour résumer, je dirais que la première mission du déontologue consisterait à mettre à jour et à compléter la charte de déontologie du 17 mai 2012 qui avait été présentée par Jean-Marc Ayrault lors du premier Conseil des ministres du quinquennat de François Hollande. Il serait d’ailleurs nécessaire que cette charte prenne désormais la forme d’un décret en Conseil des ministres pris sur le fondement de l’article 37 de la Constitution pour lui donner plus de force obligatoire. De manière générale, le rôle du déontologue serait celui d’un conseiller du gouvernement, d’une vigie et d’un démineur. Conseiller de l’exécutif au sens où sa mission principale serait de conseiller en matière déontologique le président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement ainsi que les collaborateurs des cabinets ministériels. Le déontologue aurait par ailleurs un rôle de vigie dans la mesure où il aurait vocation à vérifier si l’organisation de la maison gouvernementale est bien en conformité avec le droit et l’éthique. Mais il pourrait aussi endosser le rôle crucial de démineur en cas de mise en cause d’un membre du gouvernement dans ce qu’on appelle communément (et souvent par abus de langage) “une affaire”. Selon nous, en pareille hypothèse, le déontologue devrait disposer du pouvoir de diligenter une enquête interne, de sa propre initiative ou sur saisine du Premier ministre. Il lui reviendrait alors de rendre un avis, dans les plus brefs délais, sur tout éventuel manquement à la déontologie. Pour cela, il faudrait le doter d’un pouvoir de contrôle sur pièce et sur place et l’autoriser à faire appel aux inspections générales de l’Administration et des Finances. Il ne lui appartiendrait pas d’arbitrer, mais de rendre un rapport au chef de l’État et au chef du gouvernement, que ces derniers décideraient ou non de rendre public et sur la base duquel ils pourraient prendre une décision plus sereine. Un tel pare-feu permettrait d’éteindre certains incendies médiatiques.

Qui pourrait accomplir une telle mission, qui nécessite une très grande indépendance et une très grande connaissance de l’appareil de l’État ? 
Matthieu Caron :
 La fonction de déontologue devrait évidemment être assurée par toute personnalité réputée pour sa compétence et son intégrité. Il va sans dire que le déontologue ne pourrait solliciter ni accepter aucune instruction de quiconque. Mais la pleine indépendance du déontologue nécessiterait surtout que son mandat soit d’une durée suffisamment longue. Nous avons imaginé qu’il prenne ses fonctions six mois au plus tard après l’investiture du Président et les exerce jusqu’au sixième mois qui suit l’investiture du Président suivant. Cette durée, supérieure au mandat présidentiel, aurait le mérite de faire en sorte que, lors de l’arrivée d’une nouvelle équipe ministérielle, le déontologue soit parfaitement opérant. En cas de démission, son successeur accomplirait la durée du mandat restant à courir. Le déontologue ne pourrait être démis par son autorité de nomination qu’en cas d’incapacité ou de manquement à ses obligations. Ajoutons que l’indépendance organique et fonctionnelle du déontologue nécessiterait de surcroît qu’il soit matériellement indépendant. Il devrait pouvoir obtenir facilement auprès du secrétariat général du gouvernement les moyens budgétaires et matériels dont il estime avoir besoin, en particulier en termes de personnel. Au sein du programme n° 129 (Coordination du travail gouvernemental), il pourrait être créé spécialement une action “Déontologue du gouvernement”, ce qui permettrait au Parlement de suivre l’évolution de la dépense qui est consacrée à cette fonction.

Le déontologue informerait précisément chaque membre ministre et chaque secrétaire d’État de leurs obligations déontologiques.

Pensez-vous qu’il pourrait être réellement indépendant du pouvoir exécutif ?
René Dosière :
Absolument, dès lors que cette indépendance est garantie dans les conditions évoquées par Matthieu Caron et qui devraient figurer dans le décret de création de la fonction. L’indépendance manifestée par les présidents successifs de la HATVP [la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ndlr], par le défenseur des droits, par les déontologues de l’Assemblée nationale sont exemplaires.

Quels liens ce déontologue entretiendrait-il avec les ministres ?
René Dosière :
Tout d’abord, lors de l’installation d’un nouveau gouvernement, le déontologue informerait précisément chaque ministre et chaque secrétaire d’État de leurs obligations déontologiques résultant de la loi et de la charte de déontologie. Comme je le disais à l’instant, de simples rappels par voie de circulaire ne suffisent pas. Si, au contraire, une telle procédure personnalisée avait existé, le déontologue du gouvernement aurait par exemple pu rappeler à M. [Jean-Paul] Delevoye, qu’en vertu de l’article 23 de la Constitution, les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de toute activité professionnelle, ce qui aurait peut-être conduit l’intéressé à se montrer plus diligent quant à ses cumuls d’activité. Une fois installé, tout membre du gouvernement pourrait ensuite saisir à n’importe quel moment le déontologue au sujet de toute question d’ordre déontologique ou solliciter un entretien avec lui. 

Aurait-il un rôle dans le contrôle des cabinets ministériels ?
Matthieu Caron :
Oui, le déontologue du gouvernement serait aussi le déontologue des cabinets ministériels. Si le Président Hollande a fait publier une charte de déontologie relative aux collaborateurs de l’Élysée, un tel instrument n’existe pas pour les membres des cabinets ministériels. En dehors de rares dispositions législatives dispersées, la déontologie des collaborateurs ministériels est régie par quelques circulaires du secrétariat général du gouvernement (généralement non publiées). Il est souhaitable qu’un code de déontologie des collaborateurs politiques du gouvernement soit édicté sous la forme d’un décret pris en Conseil des ministres sous le visa de l’article 37 de la Constitution. Le déontologue pourrait être sollicité pour avis par le Premier ministre ou un membre du gouvernement sur tout sujet d’ordre déontologique relatif aux cabinets ministériels afin de vérifier que ce code de déontologie est bien respecté. On pourrait aussi envisager qu’il vérifie si le plafond des effectifs des cabinets ministériels est bien suivi et donner un avis sur les marchés publics passés pour les besoins des cabinets. En matière de déontologie et de transparence des cabinets, le déontologue pourra mettre du cœur à l’ouvrage. Il y a de quoi faire quand on lit le référé du 26 mai 2021 de la Cour des comptes relatif au cabinet du ministre de l’Outre-mer, qui énumère les progrès restant à accomplir. Depuis près de dix ans, j’essaie personnellement d’obtenir des données précises sur le budget de fonctionnement des cabinets ministériels, mais les gouvernements successifs n’ont pas joué le jeu de l’open data.

Le déontologue œuvrerait très utilement au perfectionnement du droit gouvernemental.

Au-delà de la déontologie, en quel sens pourrait-il faire progresser la transparence gouvernementale ?
Matthieu Caron :
Immanquablement, le déontologue pourrait faire progresser la transparence grâce au rapport d’activité qu’il remettrait chaque année. En étant présent sur le terrain au quotidien, c’est-à-dire en dialoguant régulièrement des sujets dont il a la charge avec le SGG, les membres du gouvernement ou les directeurs et chefs de cabinet, il serait aux premières loges pour détecter certaines zones grises (ou zones d’opacité) ou certaines zones blanches (ou zones de vide juridique) problématiques pour l’État de droit. Autrement dit, le déontologue œuvrerait très utilement au perfectionnement du droit gouvernemental.

Pensez-vous que sa création pourrait réellement empêcher de nouvelles “affaires” ?
René Dosière :  
Oui, car ses attributions permettraient de définir des règles claires précises et publiques quant à la déontologie des membres du gouvernement (déplacements, cadeaux, voyages, hébergement). En outre, il serait disponible pour répondre à toute demande d’explication des intéressés en vue de prévenir une difficulté particulière. L’activité intense et les contraintes qui en résultent sur la vie des ministres justifient l’existence d’un déontologue détaché de cette vie débordante et se donnant le temps de la réflexion. Finalement, c’est une assurance pour le gouvernement.

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Club des acteurs publics

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