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Jonathan Maurice : “Proposer des budgets participatifs pour remobiliser les citoyens”

Le niveau record de l’abstention ces dernières années met en évidence la fragilité de la démocratie française. Pour Jonathan Maurice, chercheur à Toulouse School of Management Research (CNRS-Université Toulouse Capitole), au-delà des élections, donner au citoyen des moyens de participer directement aux choix politiques est devenu nécessaire. Il montre l’intérêt des budgets participatifs désormais mis en place dans de nombreux pays. Un enjeu phare des années et du quinquennat à venir, estime-t-il.

Comment la démocratie participative, plus particulièrement les budgets participatifs, pourraient-ils donner un nouveau souffle à la démocratie ?

L’intérêt de cette démarche est de faire discuter les citoyens de sujets qui les concernent directement, ce qui les implique davantage que de simplement élire des représentants. Aux dernières régionales, deux électeurs sur trois se sont abstenus. Un sur deux aux dernières municipales, avec des records chez les jeunes et dans les milieux les plus défavorisés. Or on sait que cette population est beaucoup plus susceptible de se mobiliser si on lui demande son avis sur des projets concrets, avec la possibilité d’orienter une partie du budget public vers tel ou tel investissement. Des jeunes de 15 ou 16 ans par exemple, non encore en âge de voter aux élections, participent très volontiers si on les sollicite ainsi. Cela permet aussi d’impliquer des étrangers présents sur le territoire car il suffit d’avoir un justificatif de domicile pour pouvoir donner son avis. Les budgets participatifs sont nés au Brésil, puis se sont développés d’abord en Amérique du Sud avant d’essaimer en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique du Nord. À chaque fois, cela permet de mobiliser les populations pauvres qui d’habitude votent peu et cela aide à lutter contre la corruption car les citoyens qui ont ainsi la possibilité de choisir entre différents investissements publics, s’impliquent ensuite dans le suivi des projets, du coup plus faciles à contrôler.
  
Quels sont les leviers à activer ? Concrètement comment faire ? 

Les expériences sont très diverses, avec des organisations différentes, mais il y a des passages obligés. Il faut d’abord accepter qu’il se passe du temps, en moyenne une année, entre un appel public à propositions et le lancement d’un projet. 

Les collectivités ou pays qui ont testé ces méthodes participatives ne reviennent pas ensuite en arrière.

L’appel à proposition, effectué par les pouvoirs publics, peut concerner des sujets de toutes sortes, culturels, de solidarité, d’infrastructure, etc. Il doit être bien cadré, il faut en particulier que les conditions de recevabilité des projets citoyens soient clairement définies. Le territoire concerné doit par ailleurs correspondre à une collectivité afin d’avoir une vue globale des avantages et inconvénients de chaque projet pour l’ensemble des habitants. Tous les citoyens, de manière individuelle ou bien en groupe, à travers une association par exemple, ont la possibilité de répondre à l’appel à propositions. Un premier tri est effectué à réception des projets pour éliminer ceux qui sont irréalistes sur le plan technique ou budgétaire. Ce tri est effectué de manière collective, à la fois par des élus, des fonctionnaires et des citoyens. Ensuite, les projets sélectionnés sont présentés lors d’une grande assemblée et soumis au vote, avec la possibilité de vote à distance. Ceux qui reçoivent le plus de voix sont réalisés en premier, avec une communication tout au long de la mise en œuvre qui facilite le contrôle citoyen.

Cette démocratie participative n’est-elle pas antithétique à la culture administrative et politique française ? Comment faire évoluer les mentalités ? Par l’acculturation, l’accompagnement, la formation ? 

C’est une question complexe. Il faut déjà que le concept soit mieux connu. Il a émergé au Brésil à Porto Alegre à la fin des années 80, essaimé en Amérique du Sud dans les années 90, avant de se diffuser au-delà dans les années 2000. C’est assez récent pour une organisation politique innovante. En France, Paris a des budgets participatifs depuis 2014, Grenoble depuis 2017, Bordeaux 2019. De petites villes et des départements y recourent également comme le Gers, qui consacre, depuis 2018, 3% de son budget d’investissement à des projets proposés, choisis et suivis par les citoyens. Nous sommes au tout début d’un mouvement. La formation des élus et des fonctionnaires est indispensable dans ce contexte. Il y a un coût d’entrée non nul, pour arriver à des systèmes bien rôdés. La rédaction des appels à proposition, l’organisation des débats et des votes, nécessitent un apprentissage. Mais cet investissement est payant, car les collectivités ou pays qui ont testé ces méthodes participatives ne reviennent pas ensuite en arrière.

Certains pays peuvent-ils nous inspirer ? Le Portugal en particulier a des projets participatifs à l’échelle du pays. Son expérience est-elle transposable ?  

Des pays extrêmement différents permettent actuellement à leurs citoyens de proposer et débattre de projets publics, mis en œuvre à l’issue de votes. On peut citer la Corée du Sud, le Canada ou des pays d’Afrique francophone. 

Le Portugal, peut-être en raison de sa proximité avec le Brésil, pays pionnier dans ce domaine, est pour l’instant le seul État à avoir dédié une part de son budget national à des projets proposés et sélectionnés par les citoyens. Depuis 2008, il a ainsi consacré quelque 35 M€ à des investissements liés prioritairement à la jeunesse, à l’éducation et à la formation, dont certains ont pu être proposés par des jeunes à partir de 14 ans. La plupart des communes portugaises ont aujourd’hui des budgets participatifs. 
Mais il y a d’autres pays dont les pratiques sont très intéressantes. En Allemagne, par exemple, dans plusieurs villes comme Essen, ce sont les coupes budgétaires qui ont été soumises au vote des citoyens ! Dans le monde anglo-saxon, de nombreuses organisations issues des communautés locales et ayant une mission de service public ont aussi des budgets participatifs pour développer leurs projets.

Les citoyens pourraient se prononcer chaque année sur la part du budget de l’État consacrée à l’Éducation par exemple,

Les budgets participatifs sont nés dans les collectivités territoriales. Peuvent-ils infuser l’ensemble de la sphère publique ?

Si l’assemblée qui décide est trop large, on se rapproche du referendum, ce qui est problématique. Mais rien n’empêche théoriquement de mettre en place des budgets participatifs à échelle nationale. On pourrait imaginer que l’État demande aux citoyens d’effectuer des propositions pour distribuer différemment les allocations sociales par exemple, ou même pour répartir les budgets entre les principaux postes au moment de la loi de finances. Après des débats publics, les citoyens pourraient se prononcer chaque année sur la part du budget de l’État consacrée à l’Éducation par exemple, ou bien, à l’intérieur de l’Éducation Nationale, aux parts respectives de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Cela aurait de grandes vertus pédagogiques, car beaucoup de citoyens se plaignent de payer beaucoup d’impôts et de ne pas avoir de services publics à la hauteur de leurs espérances. Ils comprendraient ainsi quelles sont les véritables marges de manœuvre de l’État, quels sont les budgets récurrents et ceux sur lesquels on peut intervenir.

Ces budgets représentatifs sont-ils adaptés à des périodes telles celle nous vivons, alors que la “gestion de crise” (financière, terroriste, climatique, sanitaire, sociale...) semble être devenue un mode permanent de l’action publique ? 

Ces budgets sont le plus souvent utilisés pour des projets bien délimités dans le temps donc adaptés à des périodes d’évolution rapide. La tentation en temps de crise est souvent de centraliser les décisions de manière extrême. Permettre ainsi aux citoyens de s’engager sur la résolution de problèmes saillants est d’autant plus intéressant.  

Le numérique est-il un accélérateur aux budgets participatifs ? 

C’est très clair. Le numérique est utile à toutes les étapes. Pour collecter toutes les propositions sur une plateforme. Pour mobiliser les citoyens via les réseaux sociaux. Pour leur montrer ce qui est possible et impossible. Hambourg par exemple a mis en ligne un calculateur permettant d’estimer l’impact budgétaire de telle ou telle politique. D’autres initiatives pédagogiques sont envisageables comme des quizz pour transmettre efficacement les données de base dont la connaissance est indispensable à des choix informés.

Les forums permettent par ailleurs de débattre en ligne. Les documents partagés d’avancer en groupe pour affiner des projets. Le vote en ligne est ensuite possible à partir d’un ordinateur ou le plus souvent simplement d’un smartphone. Des sites internet dédiés permettent aussi de suivre ensuite l’avancée des projets. La participation citoyenne est rendue infiniment plus facile et fluide grâce à tous ces outils.
 

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