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Editorial : le vote Le Pen n’est pas compatible avec les valeurs du service public

Acteurs publics prend position, à deux jours du second tour de l’élection présidentielle. Pour Pierre-Marie Vidal, directeur fondateur d’Acteurs publics, et Bruno Botella, directeur de la rédaction, la “restauration de l’État” voulue par la candidate du Rassemblement national conduirait à une grave remise en cause des valeurs de service public.

Restauration de l’État, renforcement des moyens, revalorisation des conditions d’exercice matérielles et morales des agents… Dans son programme pour le secteur public, dont elle a fait une priorité, Marine Le Pen semble à rebours du discours du Front national de Jean-Marie Le Pen qui, il y a vingt ans, diabolisait un État obèse, voulait réduire drastiquement une dépense publique trop lourde et ciblait le “fiscalisme”.

Que l’on ne se méprenne pas, il s’agit d’une pure stratégie électorale visant à conquérir – avec succès – un électorat populaire très attaché aux services publics et au modèle français, et parmi eux les fonctionnaires. Une partie des agents publics avaient déjà placé Marine Le Pen en tête le 10 avril dernier [lire l’interview]. Notre sondage Ifop-Acteurs publics, réalisé au lendemain du débat entre les deux tours, donne au coude-à-coude, à 50-50, Emmanuel Macron et Marine Le Pen. 

Acteurs publics, qui analyse et décrypte l’action publique depuis 2004 et qui est majoritairement lu par des agents publics, a décidé de sortir exceptionnellement de sa réserve pour dénoncer, à deux jours du second tour, la supercherie et le danger que constituerait l’accession à l’Élysée de la candidate d’extrême droite. 

L’élection de Marine Le Pen ne constituerait pas une simple alternance mais un changement de régime, rythmé par des référendums visant à court-circuiter le Parlement.

Car derrière l’ambition affichée de redresser une puissance publique censée être à terre, derrière l’ultraconservatisme sur le statut de la fonction publique, la réforme des grands corps, la réforme de l’État, le numérique public, cette volonté de statu quo dissimule une entreprise de démolition et de négation des valeurs de service public. 

D’un point de vue budgétaire, la liste de dépenses tous azimuts pour l’hôpital, la police, la justice, les prisons, l’éducation, etc., est parfaitement incompatible avec la proposition de ramener le poids de la dépense publique de près de 56 % du PIB à 50 % en 2027, comme Marine Le Pen s’y engage. Six points de PIB, c’est environ 150 milliards d’euros. 

Du point de vue des valeurs, la mise en œuvre de la priorité nationale qui “soulagera nos services publics de dépenses insensées et les rendra plus efficaces”* instaurerait une classe de sous-citoyens parfaitement incompatible avec le service public à la française, bâti sur les valeurs d’égalité et de solidarité, notamment en direction des plus précaires que Marine Le Pen prétend défendre. Cette dérive insupportable mettrait nos agents publics en position de trier en permanence entre les bons et les mauvais citoyens, institutionnalisant l’obsession des origines. Face au risque de compromettre gravement l’intérêt public, ne serait-on pas alors dans le cas de figure où les fonctionnaires devraient désobéir, si l’on se réfère à l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 ? 

L’élection de Marine Le Pen ne constituerait pas une simple alternance mais un changement de régime, rythmé par des référendums visant à court-circuiter le Parlement. L’affaiblissement de la démocratie représentative au profit d’une démocratie plébiscitaire porte immanquablement les germes d’une dérive autoritaire. Le premier coup de force est déjà programmé par la candidate. Elle entend modifier la Constitution par référendum pour graver dans le marbre la préférence nationale. Derrière les débats entre spécialistes sur l’utilisation de l’article 11, le message envoyé est clair : les juges, même garants de la Constitution, devront s’écarter devant la volonté populaire. On est dans une filiation parfaite avec les atteintes à l’État de droit en Hongrie, en Pologne, sans parler des tentatives de Donald Trump à l’époque où il était au pouvoir. 

Pour toutes ces raisons, Marine Le Pen ne doit pas être élue à la présidence de la République. S’il est réélu, Emmanuel Macron devra, lui, d’urgence se pencher au chevet des agents publics, dont la dérive observée depuis 2017 vers l’extrême droite s’est accentuée. De quoi est-elle révélatrice ? Les fonctionnaires sont censés porter les valeurs de la République et exercer selon ses principes. Le Président-candidat devrait méditer cette citation de l’historien Marc Bloch : “Une démocratie tombe en faiblesse, pour le plus grand mal des intérêts communs, si ses hauts fonctionnaires ne la servent qu’à contrecœur.” 

Pierre-Marie Vidal et Bruno Botella

* Lire l'interview de Marine Le Pen : “Je propose que l’État reprenne certaines compétences”

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Club des acteurs publics

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