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Nicolas Revel : “L’AP-HP a enrayé sa spirale décliniste”

Le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)  revient sur le plan d’action qu’il a mis en place au sein de l’établissement fin 2022 et qui a permis, selon lui, d’“inverser la spirale” des départs et des fermetures de lits. Même si la situation n’est pas encore revenue à la normale, Nicolas Revel insiste sur la méthode qui conditionne pour lui la réussite du changement : “agir pour améliorer les choses, porter une dynamique collective mais ne jamais nier les difficultés et assumer de s’inscrire dans la durée”.

Face à la crise que traverse l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), que vous dirigez, vous avez présenté un plan intitulé “30 leviers pour agir ensemble”, avec une priorité donnée au recrutement. Où en êtes-vous ?
Pour vous répondre, il faut d’abord repartir de ce qu’était le contexte lorsque je suis arrivé à la direction générale de l’AP-HP, en juillet 2022 : notre situation, proche de celle de beaucoup d’hôpitaux publics en France, en un peu plus grave peut-être, se traduisait par 3 chiffres : 12 % des effectifs infirmiers disparus en quatre ans, autour de 20 % de nos lits fermés, soit le double d’avant le Covid, et un déficit de plus de 300 millions d’euros. Cette spirale était fondamentalement nourrie par une crise des ressources humaines. Pour y répondre, nous avons décidé de nous réinterroger sur tous les éléments du quotidien, notamment les conditions très concrètes d’exercice, qui font qu’un professionnel – médecin, infirmier ou autre – a envie ou n’a plus envie de travailler à l’AP-HP.

Comment avez-vous procédé ?
Ma méthode a d’abord consisté à écouter. Quand on veut agir, il faut partir de ce que les gens disent, il faut chercher à comprendre ce qu’ils vivent dans leur quotidien et essayer tout simplement d’y répondre de la manière la plus concrète et directe possible. De l’extérieur, on pourrait penser que les difficultés de l’hôpital viendraient essentiellement de facteurs exogènes et appelleraient des réponses nationales. C’est vrai, mais en partie seulement, car en écoutant les équipes, vous identifiez aussi énormément de leviers sur lesquels il est possible de jouer pour améliorer leur quotidien de travail : organisation du temps de travail, soutien humain pour décharger les soignants de tâches logistiques ou administratives éloignées du soin, conditions d’accueil et d’intégration des nouveaux, accélération des processus de décision, développement des parcours professionnels, management et cohésion d’équipe… C’est ce qu’on appelle la stratégie des petits pas.

La stratégie des “petits pas” est, selon vous, préférable à une grande réforme ?
Oui, si l’on veut avoir de l’impact rapidement et au plus près du terrain. Face à des difficultés multifactorielles, un nouveau dirigeant peut avoir la tentation de s’engager dans une grande réforme d’organisation, mais ma conviction est que dans la plupart des cas, il ne faut pas commencer par cela. Ces réformes prennent du temps, elles mettent tout le monde en suspension et produisent des effets réels en demi-teinte. Il est plus efficace de commencer par des actions plus ciblées, qui visent à améliorer les choses en réponse aux mille et une difficultés vécues par les équipes.

Il n’y a de rebond que collectif, en embarquant tous les niveaux de responsabilité.

Pour autant, vous ne répondez pas à la première des revendications, qui porte sur les salaires ?
C’est vrai. Nous sommes dans la fonction publique hospitalière et les salaires sont fixés au niveau national. D’ailleurs, il n’est pas vrai de dire qu’il n’y a eu aucune revalorisation salariale : au-delà des effets du “Ségur de la santé”, les professionnels qui travaillent de nuit ont été augmentés significativement au début de cette année. Mais là encore, en écoutant le terrain, vous vous apercevez que la question des salaires reste forcément très présente mais qu’en réalité, ce n’est pas celle qui revient le plus. La première revendication a davantage trait aux conditions de travail : retrouver du temps pour mieux soigner, mieux concilier vie professionnelle et personnelle, mais aussi beaucoup d’autres points qui relèvent des relations de travail et du quotidien.

Du point de vue des marges de manœuvre, c’est plutôt rassurant pour un directeur…
Oui, car on devine sur le terrain à la fois beaucoup d’angoisse et beaucoup d’envie qui s’expriment ensemble. L’angoisse est liée à un sentiment de spirale infernale qui fait que les tensions aiguisent toutes les difficultés : plus d’heures supplémentaires, plus d’absentéisme, plus de remplacements contraints, plus d’intérim… On ne voit plus comment s’en sortir et c’est là que beaucoup ont la tentation de partir. Mais vous sentez aussi une envie de s’en sortir, avec une vraie lucidité sur le fait que tout le monde a sa part de la solution, du directeur général jusqu’au chef de service ou au cadre de proximité. Il n’y a de rebond que collectif, en embarquant tous les niveaux de responsabilité.

Avez-vous eu le sentiment que les managers, au niveau des structures locales ou ici, au siège, ont adhéré à cette vision ?
Je vous l’ai dit, quand j’arrive en juillet 2022, je commence par aller à la rencontre des équipes, dans les services, sur chacun de nos 38 sites hospitaliers. Mais vu l’urgence, j’ai voulu aller vite pour passer à l’action. À la mi-septembre, j’ai partagé en interne un document d’une vingtaine de pages restituant mes perceptions et proposant des premières pistes de réponse : logement, accueil des nouveaux, schémas horaires, informatique, soutien administratif aux équipes de soins, etc. J’ai listé 30 enjeux. Ce document comprenait également des questions : ces pistes sont-elles les bonnes ? Y a-t-il des oublis ? Y a-t-il des fausses bonnes idées ? Sur chacun des grands sujets, la manière de faire vous convient-elle ? Il y a eu des votes dans les établissements. Sur 4 syndicats, 2 ont voulu travailler avec nous, ainsi que les représentants de la communauté médicale et des cadres. Aucun document de travail n’a jamais fuité et en fin d’année 2022, nous avions un plan opérationnel et détaillé.

Quels enseignements en tirez-vous ?
Pour créer une dynamique de mobilisation et de confiance, il faut non seulement partir de ce que vous dit votre communauté professionnelle sans chercher à trop réinterpréter, mais il faut aussi se montrer très précis sur la manière dont on va procéder dans la mise en œuvre. Il faut être clair sur les moyens nécessaires pour que tout ce que vous lancez s’appuie sur une capacité à faire. Il faut aussi que la logique ne soit pas uniquement descendante en proposant, chaque fois que c’est possible, des modes opératoires où le cadre posé en haut laisse des marges d’adaptation aux équipes sur le terrain. C’est ainsi que l’on déclenche les vraies dynamiques de mobilisation. Il faut enfin être transparent sur les résultats et savoir reconnaître ce qui n’a pas marché et doit être repris ou corrigé.

Quels sont les résultats ?
Nous avons réussi à inverser la spirale. Je reviens aux chiffres du départ. En 2022, en faisant le solde de nos départs et de nos recrutements, nous avions perdu 560 infirmières. En 2023, ce solde est devenu positif à + 241. Nous avons ainsi commencé à rouvrir des lits ces derniers mois avec plus de 400 lits occupés supplémentaires par rapport à début 2023.

Ces emplois créés sont-ils dus à un surcroît de budget ?
Nous avons pourvu des emplois qui étaient vacants et ne trouvaient jusqu’alors pas preneurs. L’enjeu, c’est l’attractivité de l’hôpital. Concernant le budget, j’ai négocié une trajectoire à cinq ans pour revenir à l’équilibre. Cela peut sembler long mais nous étions à 300 millions d’euros de déficit en 2022 et près de 400 millions en 2023 compte tenu du choc d’inflation que nous avons subi. Pour revenir à l’équilibre à horizon 2027, nous devrons améliorer notre fonctionnement, réduire des dépenses évitables mais surtout mener une stratégie offensive de recrutement, d’investissement et d’ouverture de lits, permettant une activité plus soutenue, qui répond par ailleurs aux besoins de santé. L’État nous accompagne aussi par une aide pluriannuelle dégressive. À nous maintenant de respecter la trajectoire.

Identifiez-vous les actions à l’origine de ce regain d’attractivité : avez-vous mieux recruté ou avez-vous endigué les départs ?
Nous avons réalisé en 2023 16 % supplémentaires de recrutements infirmiers et réduit nos départs de 19 % par rapport à 2022. Ce dernier résultat est majeur car l’objectif premier est bien de fidéliser afin de pouvoir s’appuyer sur des équipes stables, solides et seniorisées. Trois leviers ont eu un impact notable sur la vie des équipes : d’abord, un assouplissement des organisations du temps de travail dans la semaine. Aujourd’hui, le modèle dominant à l’AP-HP, c’est 7 h 36 par jour, 5 jours sur 7. Cette organisation convient de moins en moins, notamment aux agents qui habitent loin. La demande actuelle vise à travailler davantage en journée pour accomplir sa semaine sur 3 ou 4 jours. Pour tenir compte des aspirations très diverses au sein des équipes, nous prenons le temps du dialogue et avons même ouvert le champ des possibles en acceptant qu’au sein d’un même service et d’une même équipe, tous les professionnels ne soient pas sous le même régime horaire. Dix pourcents de nos services ont déjà basculé sur ces nouveaux schémas horaires. Cette innovation a immédiatement déclenché du recrutement. Je pense qu’elle aura aussi un impact sur la fidélisation.

Je ne crois pas que nous gagnerions collectivement à ce que chacun des hôpitaux publics de France puisse fixer seul sa grille salariale.

Quels sont les deux autres axes qui ont nourri ce regain d’attractivité ?
Sur le logement, nous nous sommes donné les moyens de doubler le nombre de logements que nous attribuons chaque année à nos soignants. C’était 600 par an ces dernières années ; grâce au soutien de l’État, nous serons capables de passer à 1 200 par an pendant les cinq prochaines années. Nous avons presque atteint ce chiffre en 2023 (1 050). Nous y serons en 2024 et au-delà. Il s’agit de logements sociaux ou intermédiaires à Paris et dans des communes proches. Le troisième levier consiste à soulager les équipes de soins en répondant à leur demande de support administratif, technique ou logistique. Ces emplois ont été largement supprimés ces dernières années et cela s’est traduit par un report de charge sur les équipes médicales et soignantes. Nous avons créé 600 postes dits “redonner du temps”, que nous attribuons sur la base de projets portés par les services. La moitié a déjà été répartie, l’autre le sera cette année. Enfin, nous travaillons pour favoriser tout ce qui permet de développer la cohésion et le dialogue au sein des équipes et entre les services et la direction. Cela renvoie à une dimension managériale dont je considère qu’elle est essentielle si l’on veut faire bouger les choses et recréer une dynamique positive.

Êtes-vous demandeur de davantage de leviers sur le plan salarial ?
Je ne crois pas que nous gagnerions collectivement à ce que chacun des hôpitaux publics de France puisse fixer seul sa grille salariale. Aujourd’hui, nous avons tous des difficultés à recruter et dans une telle situation, les surenchères salariales seraient inévitables. Ce serait délétère pour les établissements de santé, indépendamment même de l’attachement qu’on peut tous avoir à être un service public national. Je suis donc très prudent face à ce type de pistes et j’observe d’ailleurs que les établissements privés se protègent de ce risque au travers de leurs conventions collectives. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas savoir ajuster nos grilles salariales à la réalité du marché du travail.

Le gouvernement envisage d’instaurer un dispositif de rémunération au mérite dans la fonction publique. Qu’en pensez-vous ?
Au-delà des heures supplémentaires, qui constituent une première manière de valoriser l’engagement individuel des professionnels, nous avançons sur l’intéressement. Cela prend la forme d’une prime d’engagement collectif, issue du Ségur, qui vient reconnaître la mobilisation d’équipes dans la conduite d’un projet au sein de leur service. Faut-il aller plus loin en ouvrant la possibilité d’une rémunération individualisée au mérite ? Ce n’est pas dans nos habitudes mais cela ne me choquerait pas si cela se peut se fonder sur des critères suffisamment objectifs et adaptés aux différents métiers.

Vous avez proposé un autre dispositif au sein de l’AP-HP : un retour économique lié à l’amélioration de la trajectoire financière de l’établissement. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de récompenser la mobilisation des équipes dans notre stratégie de rebond d’activité et pour créer les conditions d’un retour à l’équilibre. L’idée est de redistribuer sur les services 10 à 20 % de l’amélioration de notre résultat, sous la forme d’un budget de service qui permettra de financer des dépenses comme des petits travaux, des petits équipements ou de couvrir des dépenses de formation ou de fonctionnement courant. Ce retour économique tiendra compte de la part prise par chaque service à la dynamique collective et intégrera aussi des critères liés à des enjeux de qualité.

Avez-vous observé ce qui se pratiquait dans les cliniques privées ?
Dans le secteur hospitalier privé, les médecins sont libéraux, cela veut dire qu’ils ne sont pas rémunérés par l’établissement et vivent directement de leur facturation d’actes à l’assurance maladie. Quant aux autres professionnels, il me semble que leurs dispositifs sont davantage fondés sur des logiques d’intéressement collectif que de primes individuelles.

Pour la première fois cette année, chacun de nos 38 établissements aura un objectif de réduction de son empreinte carbone.

Quels sont les axes de la stratégie de l’AP-HP en matière de développement durable ? Est-ce un levier d’attractivité ?
Même si les hôpitaux ont une mission de soin un peu particulière, ils ont aussi une responsabilité face à cet enjeu majeur, qui est autant sanitaire qu’environnemental. Je constate que ce sujet constitue un élément de motivation interne considérable, pour les jeunes comme pour les moins jeunes. Pour la première fois cette année, chacun de nos 38 établissements aura un objectif de réduction de son empreinte carbone, qu’il devra décliner dans un plan d’action précis et mesurable. Le travail sur la pertinence de nos consommations de produits de santé constitue notre première priorité car cela représente la moitié de nos émissions. Nous avons des problématiques de gaspillage, de choix de produits plus ou moins polluants et des réflexions autour de la juste prescription d’actes d’imagerie, de biologie, de médicaments.

Vous nous expliquez que l’AP-HP va un peu mieux en 2024. Pourtant le discours ambiant sur l’hôpital public reste assez catastrophiste, voire misérabiliste. Qu’en pensez-vous ?
La réalité est parfois plus nuancée que les gros titres des médias… L’AP-HP a enrayé sa spirale décliniste et commence à retrouver une dynamique positive. Mais cette embellie est récente et fragile, elle intervient après des années de grandes difficultés qui ont créé beaucoup de doutes et de défiance. Lorsque j’évoque cette embellie en interne, je me garde bien de dire que tout va bien, car tout ne va pas bien. Quand vos blocs ne tournent pas suffisamment, quand vous avez des lits fermés dans des services d’hématologie, quand chaque matin, vous avez des patients qui ont passé la nuit sur des brancards dans nos services d’urgence faute de places dans les services en aval, vous ne pouvez pas dire que tout est réglé. Nous avons encore besoin de plusieurs années pour retrouver un fonctionnement normal. Pour autant, si l’on veut avancer, il faut se projeter positivement et sortir du discours dépressif qui fait peur à tout le monde et nous enferme dans une spirale décliniste. Tel est l’équilibre à trouver : agir pour améliorer les choses, porter une dynamique collective mais ne jamais nier les difficultés et assumer de s’inscrire dans la durée.

La crise de l’hôpital, notamment dans les services d’urgence, a aussi été nourrie par des facteurs exogènes, comme l’organisation de la médecine de ville...
C’est vrai. Les expériences menées depuis deux ans pour réorganiser les choses vont dans le bon sens, notamment pour une meilleure prise en charge des patients légers qui viennent dans nos urgences alors qu’ils relèveraient d’une consultation en ville. Mais le problème premier de l’hôpital n’est pas celui-là. C’est d’abord notre capacité à prendre en charge les patients lourds, qui nécessitent d’être hospitalisés. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux et de plus en plus lourds. Cela suppose que nous adaptions nos organisations et nos moyens. D’abord en nous engageant davantage dans le suivi de nos patients au-delà des temps d’hospitalisation, car c’est la seule manière d’améliorer nos prises en charge et de maîtriser le coût des pathologies chroniques. L’autre enjeu, c’est notre attractivité et cela nous oblige à prendre conscience qu’il s’est passé quelque chose avec le Covid. Les jeunes générations qui arrivent ne travailleront plus demain selon les mêmes normes de productivité qu’hier. C’est vrai pour les médecins comme pour les paramédicaux. C’est déjà une réalité : les jeunes médecins qui s’installent en ville ne travaillent plus 50 heures par semaine ; nos paramédicaux n’hésitent pas à changer de métier au bout de quelques années. Nous devons en tenir compte.

À l’hôpital comme ailleurs, le dialogue et le respect sont des principes d’action et de vie collective sans lesquels on ne peut pas avancer.

Comment analysez-vous les défis de la haute administration hospitalière, parfois perçue comme une bureaucratie en tension avec les soignants ?
C’est mon premier poste à l’hôpital et il m’a permis de découvrir le corps des directeurs d’hôpital. Je les trouve d’un très grand professionnalisme et d’un très grand engagement. Leur métier n’a pas été facile pendant toutes ces années où on leur a demandé de tenir les dépenses hospitalières, d’accompagner le virage ambulatoire, de renforcer le niveau de sécurité des soins et d’adapter le format capacitaire des établissements. C’était nécessaire mais cela n’a pas été sans créer des tensions. Depuis le Covid, la donne a changé. La crise des vocations, le besoin de cohésion obligent à ce que les choses fonctionnent autrement entre l’administration et la communauté médicale et soignante. C’est en tout cas mon objectif au sein de l’AP-HP. Face aux enjeux qui sont devant nous, il faut se réunir, sortir des postures et considérer qu’on est sur le même bateau. À l’hôpital peut-être plus qu’ailleurs, les relations peuvent être rudes car les situations et les métiers le sont aussi. Cette culture est là, mais je suis convaincu que cela n’aide pas. À l’hôpital comme ailleurs, le dialogue et le respect sont des principes d’action et de vie collective sans lesquels on ne peut pas avancer.

Y a-t-il des convictions acquises du temps où vous dirigiez l’assurance maladie et que votre mandat actuel à l’AP-HP a fait évoluer ?
Pas fondamentalement. À l’Assurance maladie, ma focale portait plus sur les soins de ville, mais j’étais déjà conscient des difficultés de l’hôpital et je ­plaidais déjà pour le renforcement de la coordination des soins entre ville et hôpital, notamment pour la prise en charge des patients lourds et complexes. De même, je portais la conviction qu’il n’y a d’action efficace qu’en embarquant les acteurs et en leur proposant un cap et une cohérence dans la durée.

Quel regard portez-vous sur le recours à l’immigration pour les métiers en tension à l’hôpital ?
Nous avons des médecins étrangers qui exercent chez nous et ils sont précieux. Cela aurait été une erreur que d’empêcher leur maintien, même s’il est légitime de vérifier régulièrement leur maîtrise des prérequis professionnels. Sous cette condition, on peut évidemment souhaiter en faire venir davantage pour répondre à nos besoins, comme l’a annoncé le gouvernement, mais faisons attention aussi à ne pas déstabiliser les systèmes de santé des pays d’origine.

L’hôpital n’a pas besoin, pour se sauver, d’une loi magique.

Pour faire face à la crise du recrutement, l’Éducation nationale réfléchit à alléger le niveau de qualification requis. Cette approche est-elle souhaitable dans certains métiers à l’hôpital ?
Je ne crois pas du tout au nivellement par le bas des qualifications. Je crois en revanche à la délégation de compétences. Il existe aujourd’hui des actes réalisés exclusivement par les médecins qui pourraient demain être confiés à des personnels paramédicaux, bien sûr sous la supervision de médecins. C’est le partage des tâches. Mais ce n’est pas la même chose que de dire que l’on recrutera demain des médecins moins bien formés : ce serait délétère. Il faut plutôt faire monter en compétence nos paramédicaux et leur confier davantage de tâches dans le cadre de protocoles pensés et contrôlés.

Une réforme de la fonction publique se prépare. Qu’en attendez-vous ?
L’essentiel de nos enjeux ne relèvent pas de la loi, mais de solutions managériales placées entre nos mains. L’hôpital n’a pas besoin, pour se sauver, d’une loi magique. Répondre au défi de l’attractivité nécessite une approche beaucoup plus in ­concreto que de jure : emploi, logement, organisation, logistique, etc.

Le gouvernement a annoncé la création d’une délégation interministérielle au logement des agents publics. Quels sont vos besoins ?
Nous avons demandé une évolution : aujourd’hui, lorsqu’un agent de l’AP-HP accède à un logement dont nous finançons l’attribution, il peut y demeurer même après avoir quitté notre institution. Nous souhaitons y mettre fin en créant une clause de fonction systématique.

Dans le cadre du retour à l’équilibre des finances publiques, l’hôpital doit-il être associé aux efforts qui seront demandés ?
L’hôpital doit, par définition, être attentif à sa bonne gestion. Des économies utiles, légitimes, peuvent et doivent être réalisées sur nos consommations, notre gaspillage, notre bonne organisation. Mais si l’on veut, dans les prochaines années, que ­l’hôpital reconstitue sa capacité, il va falloir recruter, rouvrir des lits, permettre l’accès aux innovations thérapeutiques, tout en faisant face à la montée des pathologies chroniques et au vieillissement de la population. S’il s’agit de parler d’économies, elles ne viseront pas à réduire la dépense, mais plutôt à modérer sa progression. Pour y parvenir, je ne crois pas que nous pourrons comme hier réduire les postes de soignants, je ne souhaite pas non plus que l’on dérembourse des soins. À mes yeux, si l’on veut modérer la dépense, il faut investir massivement dans la prévention et la qualité des soins. Ce sont les mauvaises prises en charge, les diagnostics tardifs, les parcours de soins mal coordonnés, les actes inutiles qui nous coûtent fondamentalement très cher. Investissons sur la prévention, le diagnostic et surtout la qualité du suivi, et les économies seront rapidement au rendez-vous.

Propos recueillis par Bruno Botella et Pierre Laberrondo

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