Partager

Guillaume Bureau CC by SA Wikimedia
11 min

Lionel Collet : “La Haute Autorité de santé est un peu le Conseil d’État de la santé”

Nommé le 20 avril dernier président de la Haute Autorité de santé (HAS), Lionel Collet revient pour Acteurs publics sur son parcours et les enjeux de sa nouvelle mission.

Le 20 avril dernier, vous êtes devenu le cinquième président de la Haute Autorité de santé (HAS) depuis sa création, en 2004. Médecin psychiatre et ORL, vous êtes professeur des universités- praticien hospitalier, tout comme l’étaient vos prédécesseurs à la HAS. Pouvez-vous revenir sur les grandes étapes de votre parcours en tant que professionnel de santé ?  

J’ai passé mon bac en 1972. J’étais le premier bachelier de ma famille. Je fais partie de cette génération qui avait un bac scientifique, qui s’appelait alors “bac C”, où j’avais obtenu la mention très bien, et la logique voulait que je m’inscrive en “math sup’-/math spé” pour préparer les concours des grandes écoles. Mais j’avais envie d’être étudiant en médecine. J’ai donc finalement opté pour cette discipline, en réalisant en parallèle des études de biologie humaine. Un choix que je n’ai jamais regretté.

À la fin de mes six années de médecine, je me suis spécialisé en psychiatrie, tout en préparant par ailleurs une thèse de doctorat d’État en biologie humaine. À l’issue de cela, j’étais parti pour être psychiatre. Et, mon diplôme en poche, j’aurais dû exercer. Mais on m’a finalement proposé un poste d’assistant en physiologie (1984). Puis on m’a confié la responsabilité d’un plateau technique en ORL, lorsque j’avais 30 ans, et j’ai ensuite monté et dirigé le laboratoire de neurosciences et systèmes sensoriels du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Et j’ai fini par me dire que puisque je travaillais dans le domaine de l’audition, je pouvais bien devenir ORL ! Après avoir été maître de conférences en 1987, je suis enfin devenu PU-PH [professeur des universités-praticien hospitalier, ndlr] en 1992 et j’ai été chef de service aux Hospices civiles de Lyon à partir de 2000.

En dehors de ces fonctions, votre parcours se démarque notamment de celui de vos prédécesseurs par différentes fonctions stratégiques que vous avez occupées (président d’université et de Santé publique France, passages en cabinets ministériels, nomination en tant que conseiller d’État en 2013, etc.). Quelles sont à vos yeux les expériences les plus marquantes ?

Les fonctions qui m’ont le plus marquées, hormis mes activités hospitalières, sont celles qui se sont inscrites dans la durée. Il y en a 3 principales. La première concerne la période pendant laquelle j’ai été président de l’université Lyon-I [entre 2006 et 2011, ndlr]. C’est l’époque durant laquelle a été mise en place l’autonomie des universités. C’était un moment passionnant. Le deuxième moment très enrichissant a été toute la période où j’ai dirigé un laboratoire du CNRS. Cela a duré quinze ans. Et enfin, la troisième période, ce sont mes dix ans comme conseiller d’État. Une expérience qui m’a permis d’avoir une formation juridique – en plus de ma formation médicale, donc – et d’acquérir une connaissance du fonctionnement de l’appareil d’État. En somme, j’ai trouvé ces 3 périodes passionnantes car elles m’ont donné la possibilité d’avoir la maîtrise d’un certain nombre de dossiers au sein de structures très différentes en termes de fonctionnement. Si je ne vous parle pas des cabinets ministériels [Lionel Collet a été directeur de cabinet de Geneviève Fioraso au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, sous le quinquennat Hollande, ainsi que conseiller spécial d’Agnès Buzyn à la Santé entre 2017 et 2018, ndlr], c’est parce que je n’y suis resté que peu de temps : vingt-cinq mois en additionnant les 2 postes. Quant aux présidences d’agences (Santé publique France par exemple), il s’agissait de présidences non exécutives, et je n’y suis pas non plus resté très longtemps.

Vous parlez peu de vos passages en cabinets ministériels. Pourtant, ces derniers sont souvent scrutés attentivement par certains observateurs tentés d’y voir des risques en matière d’indépendance…

J’ai passé peu de temps en cabinets. C’est une courte période dans ma vie professionnelle et à chaque fois, j’ai eu à m’occuper de dossiers très précis. En tant que directeur de cabinet à l’Enseignement supérieur, j’ai surtout préparé la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, portée par Geneviève Fioraso. Par ailleurs, en tant que conseiller spécial d’Agnès Buzyn, j’ai beaucoup travaillé avec le ministère de l’Enseignement supérieur pour un rapprochement entre les 2 ministères sur les études de santé.

La HAS est très attendue par les pouvoirs publics

 

Le décret actant votre nomination à la présidence de la HAS est paru au Journal officiel le 20 avril dernier. Pouvez-vous revenir sur les conditions de votre désignation ?  

Fin 2022, j’ai manifesté mon intérêt pour devenir membre – et j’insiste sur le mot “membre” –- du collège de la Haute Autorité de santé et non pas pour la présidence, parce que je savais qu’il y avait déjà d’autres candidats, et des candidats qui pour moi étaient de qualité. Il se trouve qu’à chaque fois que j’ai manifesté mon intérêt pour le collège, il m’a régulièrement été dit, en raison de mon parcours : “Et pourquoi pas la présidence ?”. C’est à partir du moment [vers janvier 2023, ndlr] où il a été établi que l’accès à la présidence était très ouvert par rapport à ce que j’imaginais, que les choses se sont lancées, jusqu’à aboutir à ma nomination.

Nomination dont je suis à la fois très honoré et dont je me réjouis. Reste maintenant à être à la hauteur de la tâche ! D’autant plus que la HAS est très attendue par les pouvoirs publics, étant donné qu’elle est là pour les aider à la décision, les éclairer, offrir une sécurité. On pourrait considérer que c’est un peu le Conseil d’État de la santé. Mon souhait est d’ailleurs de voir comment on peut rapprocher le fonctionnement de la HAS, tout particulièrement de son collège, de celui du Conseil d’État, qui fonctionne vraiment de manière collégiale.

Les missions de la HAS (évaluation des médicaments, recommandations aux professionnels, etc.), restent cependant assez peu connues, même auprès des professionnels. Et ce, malgré le petit coup de projecteur dont l’autorité a bénéficié durant la crise du Covid. Quelle est votre position à ce sujet ?  

Effectivement, de toute évidence, aujourd’hui, beaucoup de professionnels de santé connaissent encore insuffisamment bien la HAS, et ce, même si, comme vous le soulignez, le Covid-19 a permis de mettre en avant ses travaux en tant qu’organisme d’expertise. Une question doit donc se poser, mais je n’ai pas encore la réponse : la HAS doit-elle chercher à être plus connue qu’elle ne l’est, et dans ce cas-là, auprès de qui ? De la population ? Des professionnels de santé ? Il y a véritablement une réflexion que je souhaite conduire. Réflexion qui, bien sûr, a déjà été menée par le passé, mais qu’on peut selon moi approfondir afin de rendre la Haute Autorité plus connue, et surtout plus reconnue.  Et cette question en amènera une seconde : celle liée à l’impact des recommandations de la HAS.  Car une recommandation doit emporter avec elle la profession. Elle doit donc être le plus possible associée aux sociétés savantes, aux formateurs, etc. Le tout avec un suivi derrière. Une commission dédiée à l’impact des recommandations, dont les travaux se sont achevés il y a quelques mois, a émis récemment un ensemble de propositions. Ces, propositions, nous allons être amenés à les mettre en œuvre.

Il manquera 20 millions d’euros (à 2 millions près) à la fin 2023 pour boucler le budget

 

Au-delà de la question de la notoriété, un autre sujet stratégique, concerne le budget. Lors d’une audition en avril dernier devant le Parlement, l’ex-présidente de la HAS, Dominique Le Guludec avait affirmé qu’elle laissait derrière elle “une Haute autorité ‘en déficit de moyens et de ressources”. Quelle est votre position sur cette question ?  

La HAS a été créée en 2004. Un article de loi dans le code de la sécurité sociale a défini ses missions : cet article en est aujourd’hui à sa trentième version. Les missions ont donc augmenté au fil des années, mais, disons-le ainsi, les moyens n’ont pas forcément été régulièrement associés à l’augmentation des missions.Par ailleurs, jusqu’en 2014, la HAS percevait une redevance émanant des industriels du médicament. Or, aujourd’hui, c’est l’Assurance maladie qui la perçoit. La Haute Autorité avait certes accumulé un fonds de roulement grâce à ces rétributions et pouvait, année après année, aller au-delà de sa dotation inscrite au PLFSS [le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, ndlr]. Le problème, c’est qu’à la fin de cette année, il n’y aura plus de fonds. En somme, : il manquera 20 millions d’euros (à 2 millions près) à la fin 2023 pour boucler le budget. Face à cela, il est à mon avis indispensable qu’il y ait un rebasage budgétaire de la HAS [dans le cadre de l’'examen du prochain PLFSS, ndlr]. Tout doit être fait pour qu’on puisse assurer une qualité de service, voire faire plus avec un budget contraint, et cela ne sera pas possible sans ce rebasage. Je précise qu’il y a déjà des discussions en cours sur le budget pour l’an prochain.

Lors de votre audition devant le Parlement en avril dernier, vous avez insisté sur l’importance de renforcer l’influence et la présence de la HAS en Europe et à l’international. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Un règlement européen a été adopté fin 2021 sur l’évaluation des technologies de santé. Très concrètement, qu’est-ce que cela va changer ? Aujourd’hui, l’une des missions de la HAS consiste à émettre des avis  sur le remboursement de tel ou tel médicament. Mais il y a tout un travail en amont d’instruction du dossier. Progressivement, cette instruction va devenir commune à l’ensemble des pays de l’Union européenne. C’est-à-dire qu’un État membre, par exemple la France, et un second État membre seront amenés à évaluer un médicament pour l’ensemble des pays selon une grille d’instruction qui sera une grille prévue par l’Europe. En revanche, sur la base de cette évaluation, c’est bien la HAS qui continuera à donner son avis au ministère sur l’opportunité de rembourser ou non. Dominique Le Guludec travaillait au sein d’un groupement des présidents des agences équivalentes à la HAS dans l’Union européenne pour préparer cette évaluation commune. Je prends sa succession [le Pr Collet a été nommé vice-président du HAG, le Heads of Agencies Group*, le 10 mai 2023, ndlr]. Au niveau de ce règlement, la HAS doit être très impliquée parce qu’elle est tout de même une très grosse agence au niveau européen et on ne peut pas, à mon avis, bâtir ces règles sans nous.Vis-à-vis de l’international – et en disant cela, j’entends au-delà de l’Europe –, il faut savoir que depuis la loi Santé de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, la HAS a la possibilité de conduire des coopérations internationales, voire d’offrir des services à l’étranger et de recevoir des rétributions. L’idée est donc de mener un travail par exemple vis-à-vis des pays qui souhaitent bâtir leurs propres agences, pour les aider en matière d’expertise de la qualité en santé. Cela fait partie des possibilités de développement de la HAS. La France a en effet un modèle qui fonctionne bien et l’expertise de la qualité ne peut pas se limiter aux frontières de l’Hexagone ou de l’Europe. Pour le moment, ce ne sont pas des activités majeures parce que la loi date de 2019. Mais je souhaite que cela puisse se développer.

L'année dernière, la HAS a rémunéré plus de 1 600 experts

 

Vous avez aussi parlé de renforcer la place des usagers au sein de la HAS, ainsi que l’expertise en sciences humaines…

Ces expertises des usagers et en sciences humaines sont déjà présentes au sein de la HAS. Mais l’idée serait effectivement de les renforcer. Il est en effet bon que, dans un comité d’experts de très haut niveau essentiellement scientifique, méthodologiste, etc., les personnes concernées apportent leur savoir de l’expérience. Et c’est déjà le cas à la HAS. Il est intéressant d’être à l’écoute du patient ou de la personne accompagnée, ce qui n’est pas forcément renseigné dans les études de manière qualitative. Et c’est la même problématique du côté des sciences humaines et sociales. Lorsque la HAS rend un avis, il est bon de s’interroger sur son appropriation par la société, par les professionnels. Par exemple, un sociologue est déjà présent au sein de la commission technique de vaccination. Mais je souhaiterais que quelqu’un ayant une compétence en sciences humaines soit présent dans toutes les commissions, à chaque fois.

Dans certains domaines de la santé, la question d’écarter ou non les experts praticiens ayant des conflits d’intérêts se pose. Quelle politique la HAS a-t-elle actuellement sur la question, et quelle est votre position ?

Au niveau des conflits d’intérêts, il faut distinguer 2 types d’experts : ceux qui ont des liens d’intérêts peu intenses et qui vont être amenés à se déporter de certaines décisions.  L’autre cas de figure peut concerner des experts très reconnus dans un domaine ayant un (/des) liens très intense(/s) avec un industriel. Dans ce cas, ces derniers peuvent être auditionnés mais ne peuvent pas prendre part à la décision. C’est ce qu’il se passe actuellement à la HAS. Cela permet de ne pas se priver des compétences nécessaires tout en étant complètement indépendant. Au sein de la Haute Autorité, nous avons sur ce point un déontologue extrêmement strict. Et il ne s’agit pas d’un petit sujet, puisque l’année dernière, la HAS a rémunéré plus de 1 600 experts. Ce sont donc 1 600 déclarations d’intérêts qui ont été examinées.

De mon côté, j’accorde beaucoup d’importance à la transparence. Je pense qu’il est important que les experts ayant des liens d’intérêts très intenses ne participent pas aux décisions. Pour autant, l’idée est aussi de ne pas se priver d’un maximum de compétences. Mais je considère qu’il ne doit vraiment pas y avoir d’ambiguïté.

Vous avez aussi abordé, lors de votre audition, la possibilité d’associer davantage les sociétés savantes dans la conduite des travaux de la HAS “à condition de régler la question des conflits d’intérêts”. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Les sociétés savantes peuvent être, dans certains cas, financées par l’industrie dans leurs spécialités. La question se pose donc de savoir dans quelle mesure une société savante est indépendante lorsqu’elle émet une recommandation. La HAS a proposé depuis longtemps la mise en place d’un cadre de préparation des recommandations par les sociétés savantes répondant à des critères d’indépendance.

En clair, l’idée est de travailler avec ces dernières pour que leurs recommandations répondent aux critères d’exigence de la HAS notamment sur le plan de l’indépendance, ce qui peut permettre qu’elles soient labellisées par la Haute Autorité. Il y a déjà une procédure de labellisation - en cours - et je voudrais qu’on la développe.  

Quand envisagez-vous de développer ces différentes actions de votre feuille de route ?  

J’ai été nommé à la présidence de la HAS au Journal officiel du 20 avril dernier. Et deux jours après, d’autres membres du collège ont été nommés. [il s’agit de Claire Compagnon, Anne-Claude Crémieux, et Jean-Yves Grall, ndlr]. L’une d’entre-elles ne prendra ses fonctions que le 1er juin [à savoir Claire Compagnon]. J’attends donc que tout le monde soit bien installé pour faire le tour de cette grande maison où travaillent environ 450 personnes.  Ensuite, il s’agira de faire le tour des CNP, les conseils nationaux professionnels, qui réunissent notamment les sociétés savantes, les syndicats et aussi les enseignants, pour voir comment nous allons pouvoir travailler ensemble, afin de faire avancer ces sujets.   

*Instance européenne regroupant, selon une communication de la HAS, “des chefs d’agences nationales d’évaluation des technologies de santé”.

Partager cet article

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×