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André Pezziardi : “Le corpus budgétaire en vigueur dans les collectivités est totalement inadapté”

Le président de la chambre régionale des comptes (CRC) d’Occitanie analyse l’enquête “Les villes moyennes en Occitanie, crises et adaptations”, menée par la Cour des comptes et la CRC d’Occitanie. Son constat : un déséquilibre se développe entre les métropoles, telles Montpellier et Toulouse, et les villes moyennes.

La Cour des comptes et la chambre régionale des comptes (CRC) d’Occitanie, que vous présidez, ont rendu publique une étude sur les villes moyennes de cette région. Vous observez des difficultés économiques, sociales et financières accentuées par les faiblesses de leurs intercommunalités. Comment avez-vous travaillé ?
Nous avons voulu effectuer ce travail pour mieux comprendre les enjeux de notre territoire, considérablement agrandi (13 départements) à la suite de la loi NOTRe – loi de 2015 portant Nouvelle organisation territoriale de la République –, loi à l’origine également du regroupement des chambres régionales des comptes de Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées. La fusion des 2 régions s’est organisée alors que leurs caractéristiques géographiques et économiques peuvent être éloignées. Mais une donnée démographique se vérifie sur l’ensemble du territoire : la région gagne quelque 50 000 habitants supplémentaires par an ; les villes moyennes, où qu’elles soient situées, connaissent un développement économique et démographique en deçà de celui de la région, et particulièrement en deçà de ce que l’on observe à Montpellier et Toulouse. Nous avons étudié la manière dont 26 villes moyennes et leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) – leurs intercommunalités –, soit 1,8 million d’habitants et 31 % de la population régionale, ont évolué depuis dix ans et la crise économique de 2008. 

Les villes moyennes n’ont pas été directement concernées par les lois Maptam et NOTRe, alors qu’elles subissent depuis des années un recul en termes d’attractivité.

Quelle est votre méthode et quelles sont vos grilles d’analyse financière ?
Nous avons plus particulièrement travaillé sur certains ratios financiers établis pour la période 2013-2018 et parfois actualisés pour 2019 (l’excédent brut de fonctionnement, la capacité d’autofinancement, etc.). Nous nous sommes appuyés sur l’applicatif Anafi, un produit d’analyse financière propre aux juridictions financières, permettant, à partir des flux budgétaires et financiers transmis par la direction générale des finances publiques, de créer des grilles d’analyse permettant rapidement une interprétation des comptes de résultat des collectivités territoriales, de leur situation bilancielle, de leur endettement, etc. Après avoir défini notre champ d’étude en identifiant les villes moyennes – selon l’Insee, des communes de 20 000 à 100 000 habitants –, nous avons également retenu une pondération permettant de sélectionner des communes de moins de 20 000 habitants en fonction de leur distance au pôle métropolitain le plus proche. Nous avons ainsi pu établir, à partir des évolutions démographiques et fiscales, un échantillon représentatif de ces villes moyennes, dont les caractéristiques sont assez semblables à celles relevées nationalement. Nous avons retenu 26 collectivités, analysées en tant que telles et pour leur place dans leur intercommunalité [il s’agit d’Agde, Albi, Alès, Auch, Bagnols-sur-Cèze, Beaucaire, Béziers, Cahors, Carcassonne, Castres, Figeac, Foix, Gaillac, Lannemezan, Lézignan-Corbières, Lunel, Mazamet, Mende, Millau, Montauban, Narbonne, Pamiers, Rodez, Sète, Tarbes et Villefranche-de Rouergue, ndlr].

Cette méthode peut-elle être déclinée ailleurs qu’en Occitanie ?
Absolument ! J’ai présenté ce travail à la Cour des comptes, qui a désigné 2 de ses magistrats issus de la quatrième chambre, chargée entre autres des finances publiques locales, et de la cinquième chambre, en charge notamment de la cohésion des territoires, pour nous accompagner dans nos travaux. La méthode retenue peut être appliquée dans d’autres régions : avant d’arrêter nos orientations, nous avons vérifié, comme je vous l’ai déjà indiqué, que la situation des villes moyennes à étudier était comparable ailleurs en France. Nous proposons ainsi une comparaison des principales caractéristiques démographiques, économiques, financières et fiscales des villes moyennes en Occitanie au regard du plan national. Ce travail était important à mener alors que les lois récentes – NOTRe et Maptam* – ont concerné principalement les grandes régions et les grandes aires urbaines, qui concentrent les principales richesses financières et fiscales. Les villes moyennes n’ont pas été directement concernées par ces textes alors qu’elles subissent depuis des années un recul en termes d’attractivité. Il nous a semblé important d’analyser dans le détail le maillage territorial pour apporter des réponses administratives appropriées. 

La situation de ces villes moyennes est donc très préoccupante ? 
Oui, leur situation financière est dégradée au regard de la situation régionale, avec un endettement supérieur, une capacité d’autofinancement plus limitée et principalement utilisée pour rembourser l’annuité de la dette, un levier fiscal déjà fortement mobilisé alors qu’un dynamisme pour investir doit être retrouvé. Par ailleurs, les regroupements d’intercommunalités liés à la loi NOTRe ont entraîné une perte d’influence de ces villes moyennes au sein des EPCI. Les intercommunalités ont été regroupées “bloc à bloc”, entraînant des zones “ruralo-urbaines” ne recouvrant pas certains bassins de vie, à l’image par exemple de celles de Tarbes ou de Carcassonne. On a été amenés à élargir le champ d’un EPCI souffrant déjà d’un manque de moyens à un territoire connu également pour son absence de ressources. Dans le même temps, la représentativité de la ville centre au sein du conseil intercommunautaire s’est diluée, certains conseils comptant jusqu’à plusieurs centaines de membres pour respecter l’absence de tutelle d’une collectivité sur une autre, voire s’est traduite par la perte de la présidence de l’EPCI… Par ailleurs, la règle imposant qu’une compétence transférée le soit en totalité ne se vérifie pas forcément. Sur le plan financier, les transferts de compétences doivent être neutres, cette neutralité étant garantie par des attributions de compensation [transferts financiers, ndlr] qui permettent d’équilibrer les montants des produits et des charges transférés. Or cette neutralité ne se vérifie pas systématiquement. Il en va de même pour l’intégration fiscale, qui devrait donner lieu, normalement, à une convergence des taux des impôts jusque-là votés par les communes membres d’un même EPCI. Souvent, les acteurs locaux ont recours à des mécanismes permettant d’influer sur le niveau de l’attribution de compensation ou sur le niveau de l’intégration fiscale, par exemple en misant principalement sur le transfert de la voirie pour obtenir un coefficient d’intégration élevé (car cela a un impact sur certaines dotations reçues de l’État) alors que dans le même temps, il n’est pas observé une meilleure solidarité financière entre ces collectivités locales. Les villes centres supportent souvent seules le fonctionnement de services qui concernent également les populations des autres communes. Autrement dit, les charges de centralité sont mal réparties entre les membres d’un même établissement public.

Les villes moyennes bénéficient d’un soutien de l’État qui n’est pas forcément articulé avec les politiques territoriales de la région.

Que préconisez-vous ? 
Les interventions publiques, au niveau de l’État, des régions et des départements, doivent être mieux coordonnées. L’action de l’État dans le cadre du plan “Cœur de ville” a été déclenchée sans vérification systématique qu’elle repose sur une analyse approfondie des besoins réels des collectivités, de leurs propres moyens et de leurs capacités en matière d’ingénierie pour mener à bien les projets ainsi aidés. Des projets anciens ont pu être ainsi “recyclés” sans mesure de leur effet d’entraînement. Pour être plus efficace, le plan État-régions sur la période 2021-2027 doit prendre en compte les actions conduites par la région, par exemple en faveur des “bourgs-centres”. Les villes moyennes bénéficient en effet d’un soutien de l’État qui n’est pas forcément articulé avec les politiques territoriales de la région. D’autres acteurs locaux pourraient intervenir plus efficacement. Les départements devraient centrer leurs interventions sur la coopération entre villes et zones rurales. Les métropoles de Toulouse et Montpellier devraient aussi établir des relations plus nourries avec leurs voisins, les contrats dits de réciprocité étant rares. Bref, la coordination et le rôle de chacun doivent être revus, ce qui suppose, au préalable, une meilleure concertation. 

Les outils et la méthode que vous utilisez pour votre enquête peuvent-ils contribuer à ce travail d’intervention “fine” ?
Certainement. D’autant plus que le corpus budgétaire actuellement en vigueur est largement inadapté. Il date de 1982, une époque où l’intercommunalité était balbutiante. L’équilibre budgétaire à respecter annuellement est une considération administrative et non financière. Un budget peut être voté en équilibre en année N, mais au vu des mesures qu’il contient, conduire à un déséquilibre l’année suivante. Il faut donc revoir les règles d’équilibre budgétaire en introduisant des ratios à respecter pour prévenir les défaillances financières mettant à contribution les citoyens. La contractualisation instaurée par le gouvernement – par laquelle 4 collectivités de notre échantillon seulement sont concernées –, bien qu’aujourd’hui suspendue, tient compte de ratios (par exemple la capacité d’autofinancement rapportée à la dette) privilégiant une approche pluriannuelle et financière que, localement, les débats d’orientation budgétaire sont censés privilégier, mais que l’on ne retrouve toujours pas dans les budgets en dépit du vote d’autorisations d’engagement et d’autorisations de programmes (plafonds de dépenses n’entrant pas dans le calcul de l’équilibre budgétaire). Les contrats de ville conclus par les EPCI doivent entraîner une convergence sur le plan fiscal en retenant des enjeux de solidarité. Il serait utile que cette notion de solidarité se vérifie dans les faits. Il convient de mieux apprécier l’utilisation de l’argent public. La période actuelle, conduisant à des mesures exceptionnelles adoptées par l’État et les collectivités territoriales pour amortir les effets économiques et sociaux dus au Covid-19, nous y incite encore davantage.

Propos recueillis par Sylvain Henry 

* Loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

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