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Émilie Piette (Diese) : “Il faut aller chercher les talents là où ils sont”

Déclinaison des lignes directrices de gestion interministérielle, généralisation de l’évaluation des cadres, mise en place de viviers, refonte de la formation continue, égalité professionnelle… Près d’un an après sa nomination, la déléguée interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) détaille, pour Acteurs publics, sa feuille de route pour les prochains mois.

La délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) est opérationnelle depuis le 1er janvier dernier. Quels sont vos objectifs pour les prochains mois ?
Les premiers mois d’existence de la Diese ont servi à établir la feuille de route que nous voulions pour l’encadrement supérieur de l’État, notamment au travers des lignes directrices de gestion interministérielle (LDGI), mais aussi à fixer les moyens de la délégation elle-même ainsi que ceux des ministères. L’enjeu des prochains mois réside en effet dans la mise en place des feuilles de route des ministères. La Diese va poursuivre et amplifier le travail d’accompagnement des cadres de haut niveau que menait jusqu’à ce jour la Mission cadres dirigeants. La vraie différence, c’est désormais de savoir comment on passe à l’échelle des 25 000 cadres. Ce n’est évidemment pas la délégation toute seule qui effectuera cette mission d’accompagnement, mais bien le réseau que nous animons, le collectif des délégués ministériels à l’encadrement supérieur. La Diese se positionne à la fois pour fixer un cadre général assez souple, que sont les LDGI, mais aussi en tant qu’offre de service pour accompagner les ministères.

Sur le plan méthodologique, le principal changement réside dans la mise en place de ces lignes directrices de gestion interministérielle pour l’encadrement supérieur de l’État. Que changent-elles véritablement, alors que des craintes ont été exprimées par certains ministères au moment de leur mise en place ?
Ces LDGI expliquent ce qu’on attend concrètement dans la manière de manager les cadres supérieurs et dirigeants. Elles répondent notamment aux enjeux de diversité, d’ouverture des recrutements, de partage de valeurs communes, de promotion de parcours diversifiés, sur lesquels nous avons pris le temps d’échanger comme jamais auparavant… Bien entendu, les ministères doivent s’emparer des LDGI et les décliner en leur sein pour donner des orientations claires sur les perspectives de carrière des cadres et sur l’accompagnement dont ils peuvent bénéficier. Cet accompagnement professionnel va se déployer dans les prochains mois.

Quelles sont précisément les attentes des cadres supérieurs de l’État ?
L’enquête menée en 2021 par le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques auprès des cadres a montré qu’ils expriment surtout un besoin d’accompagnement individuel dans leurs parcours et mobilités. Les cadres ont d’abord besoin de savoir vers qui se tourner, y compris notamment lorsqu’ils ne sont plus en fonction dans leur ministère d’origine, lorsqu’ils sont hors les murs. La préparation des retours de mobilité, par exemple, peut freiner ces mêmes mobilités, certains cadres pouvant avoir le sentiment d’avoir été un peu oubliés durant cette période de mobilité.

Les évaluations des cadres de l’État n’ont pas vocation à fixer une prime de fin d’année.

La réforme de la haute fonction publique a également mis l’accent sur la généralisation de l’évaluation des cadres. Où en est-on concernant ces évaluations ?
Ces évaluations des cadres auront lieu au moins une fois tous les six ans à des moments charnières de leur carrière. Elles commenceront début 2023 pour un certain nombre de cadres, avant une montée en puissance. Ces évaluations s’inscriront dans une démarche positive, dans un état d’esprit de développement du cadre lui-même. Plusieurs ministères ont déjà développé des dispositifs d’évaluation à 360 degrés, comme l’Intérieur pour la préfectorale ou le Quai d’Orsay pour les ambassadeurs. Ces dispositifs sont toujours très appréciés puisqu’ils donnent une vision panoramique extrêmement complète et sont construits dans une logique d’accompagnement des cadres. Ces évaluations particulières n’ont pas vocation à fixer une prime de fin d’année, mais bien à les éclairer sur leur projet professionnel et à élaborer un plan de développement de compétences.

Avec les LDGI, Matignon donnera désormais le “la” s’agissant de la gestion des cadres supérieurs de l’État. Cet outil de “droit souple” peut-il véritablement fonctionner ?
Pour faire de la bonne gestion RH, la réglementation ne fait pas tout. C’est bien l’esprit des lignes directrices de gestion interministérielle. C’est un cadre qui est ensuite adaptable dans les ministères pour tenir compte de leurs spécificités. La Diese a pleinement conscience de ce besoin d’adaptation et l’on ne réussira que si les ministères s’emparent du cadre et le déclinent concrètement dans leur environnement. Rien ne sert de plaquer un modèle uniforme.

Comment la Diese va-t-elle assurer le suivi de l’application des LDGI par les ministères ?
Des dialogues de gestion vont se tenir chaque année. La Diese ira rencontrer les secrétaires généraux des ministères et leurs délégués pour faire le point sur le déploiement des LDGI et de la réforme de la haute fonction publique dans son ensemble. Il s’agira de vérifier l’avancement et les résultats obtenus, de voir si des adaptations sont nécessaires, mais aussi d’identifier les bonnes pratiques RH qui peuvent irriguer l’interministériel. Mais il faut aussi s’assurer que le droit souple n’est pas trop souple. La Diese veillera à la cohérence d’ensemble. À ce titre, nous allons mettre en place un tableau de bord mesurant les résultats obtenus en matière de pilotage RH de l’encadrement supérieur. Un tel outil suffit souvent à provoquer la mise en mouvement. Et je le rappelle, les lignes directrices de gestion interministérielle ont été transmises par voie de circulaire du Premier ministre

Le gouvernement vous a aussi chargée de constituer des “viviers de cadres démontrant un potentiel pour l’accès à des postes de niveau supérieur à différents moments de leurs parcours professionnels”…
Plutôt que de viviers, on parle maintenant de programmes de compétences. Les viviers étaient une notion un peu statique. On y était ou on y était pas, on y entrait, on en sortait, avec la question épineuse, toujours, de l’accompagnement en sortie, accompagnement qui pouvait s’avérer difficile. Le premier programme de compétences, le CHESP [Cycle des hautes études de service public, ndlr], vise à identifier les cadres susceptibles d’occuper des emplois à haut niveau. Il fonctionne bien, mais nous allons revoir l’offre des formations pour mettre davantage de collectif pour ces cadres qui ont un besoin d’interministériel. Un travail important portera sur le deuxième programme, qui est en train de se déployer progressivement dans les ministères, chacun à leur rythme. Il concerne les cadres ayant vocation à occuper des emplois fonctionnels et des emplois de direction.

L’État doit aussi aller chercher des talents dans le privé.

Faut-il étendre la détection au-delà de la seule fonction publique d’État ?
Il faut aller chercher les talents là où ils sont. Dans la fonction publique d’État comme dans les deux autres versants que sont la territoriale et l’hospitalière. Par ailleurs, l’État doit aussi aller chercher des talents dans le privé, dans le respect des règles en matière de recrutement de contractuels. Développer et permettre des passerelles est très intéressant. Quelques liens assez ponctuels ont déjà été créés avec des talents managers dans des entreprises, mais il faut désormais aller plus loin et développer la possibilité pour les cadres de faire un pas de côté s’ils le souhaitent. Pour renforcer l’attractivité de la fonction publique, il faut mieux faire connaître ses métiers, mais cela passe aussi par des relations avec les entreprises privées pour aller chercher des talents.

La Diese est aussi en train de contribuer aux travaux menés par l’Institut national du service public (INSP) s’agissant de la refonte de la formation continue des cadres. Que faut-il attendre de ce chantier ?
Les cadres dirigeants de la fonction publique ne font pas assez de formation continue, et c’est très dommage. Nous avons lancé un groupe de travail avec l’INSP pour réfléchir à la manière dont nous pouvons développer cette formation continue. Les échanges que nous avons eus avec les organismes de formation des différents ministères nous ont conduits à mener une réflexion sur le rôle de l’INSP en matière de formation continue. Tour d’abord, l’INSP n’a pas vocation à se substituer aux acteurs existants. Comme la Diese, l’institut doit se positionner comme une plate-forme et il a vocation à devenir une porte d’entrée pour la formation continue de l’encadrement supérieur, par exemple en mettant en place une offre unifiée des formations qui peuvent être proposées par les ministères. Par ailleurs, la question de la rationalisation de ces formations est posée. Un travail doit aussi être engagé sur le format de ces formations continues. Les cadres dirigeants mettent souvent en avant le manque de temps pour expliquer leur faible recours à la formation continue.

Le gouvernement vous a également chargée de faire des propositions pour renforcer la part des femmes sur les emplois de direction et dirigeants. Quelles sont vos idées ?
Il faut que l’on avance. Nous avons déjà atteint deux fois les objectifs fixés par la loi Sauvadet. C’est donc normal de vouloir pousser à la hausse ces objectifs. Il faut désormais passer des primonominations aux nominations, puis au taux d’occupation. Mais il faut avant tout regarder à une maille plus fine la manière dont les primonominations sont faites. S’il y a des domaines plus féminins et d’autres plus masculins et si l’on met toutes les femmes d’un côté et tous les hommes de l’autre, on risque alors de passer à côté du principal objectif, celui de la mixité et de la parité des équipes. Nous devons rapidement nous emparer de ces questions en lien avec les ministères.

Propos recueillis par Bastien Scordia 

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Club des acteurs publics

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