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Entretiens pervers : l’État condamné pour les agissements d’un haut fonctionnaire

Le tribunal administratif de Paris vient de condamner l'État à indemniser les victimes des agissements d'un ex-sous-directeur du ministère de la Culture qui avait versé un diurétique dans leur café. Des expériences "humiliantes" qui avaient été listées dans un tableau Excel par l'ancien haut fonctionnaire, par la suite révoqué.  

La façade du ministère de la Culture

L'affaire avait défrayé la chronique rue de Valois en 2019, l'État en fait aujourd'hui les frais. Par un jugement rendu ce jeudi 16 février, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à réparer les préjudices subis par les victimes d'un ancien haut fonctionnaire du ministère de la Culture qui avait administré des diurétiques à des candidats avant de les isoler jusqu'à ce qu'elles urinent devant lui, comme l'avait révélé le quotidien Libération. L'ex-responsable des ressources humaines consignait ensuite ses "expériences" dans un fichier Excel. Des agissements pour lesquels l'État vient d'être condamné.  

Rappel des faits : alors en poste à la direction régionale des affaires culturelles (Drac) de la région Grand Est, le haut fonctionnaire avait été surpris en juin 2018, lors d'une réunion, en train de photographier les jambes d'une participante à son insu. Aussi, un signalement avait été transmis au procureur de la République par le ministère de la Culture qui l'avait provisoirement suspendu de ses fonctions. Des photos "compromettantes" avaient par la suite été découvertes, en août 2018, sur l'ordinateur de ce responsable ainsi qu'un tableau listant des "expériences humiliantes infligées à près de 200 femmes dans le cadre d'entretiens liés à ses fonctions entre 2009 et 2015" lorsqu'il était en poste à l'administration, notamment comme sous-directeur des politiques de ressources humaines et des relations sociales, rue de Valois. Durant cette période, il fut également sous-directeur de l'animation interministérielle des politiques de ressources humaines à la direction générale de l'administration de la fonction publique (DGAFP), fonctions au titre desquelles il fut aussi haut fonctionnaire en charge de l'égalité des droits entre les femmes et les hommes et membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) de 2013 à 2015. En raison d'un incident à la DGAFP (prise d'une photographie d'une collègue), il avait été contraint de quitter ces fonctions à la DRH de l'Etat. 

En raison de ses agissements au ministère de la Culture, l'emploi de Drac adjoint avait été retiré à ce haut fonctionnaire avant que le président de la République ne prononce sa révocation de la fonction publique en janvier 2019. Ce responsable avait ensuite été mis en examen pour "administration de substance nuisible", "agression sexuelle par personnel abusant de l'autorité conférée par sa fonction", "atteinte à la vie privée par fixation d'image", "violence par une personne chargée de mission de service public" et "infraction à la législation sur les médicaments". La suite de cette procédure pénale n'est pas connue. 

"Carence fautive" de l'État  

Surtout, et c'est l'objet du jugement du tribunal administratif de Paris, une des victimes du haut fonctionnaire avait fait parvenir au ministère de la Culture une "demande indemnitaire préalable en réparation de ses préjudices". Une demande rejetée par une "décision implicite" de la rue de Valois, d'où son recours devant le juge administratif. La requérante y réclamait la condamnation de l'État à lui verser une somme de 95 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis. Une demande indemnitaire en partie satisfaite par le tribunal administratif de Paris ce 16 février.  

Dans le détail, la requérante soutenait que la responsabilité de l'État était engagée "en raison de la faute personnelle non dénuée de tout lien avec le service commise" par le responsable des ressources humaines. Celle-ci pointait aussi une "carence fautive" de la part de l'État, qui "n'a pas été empêché d'agir alors que ces agissements étaient connus", le haut fonctionnaire en cause ayant "été maintenu à différents postes de direction pendant plusieurs années", selon ses dires.  

Un café et un entretien aux Tuileries en cause 

Dans son jugement, le tribunal administratif détaille notamment la jurisprudence du Conseil d'État sur les cas d'engagement de la responsabilité de l'État en raison des agissements d'un de ses fonctionnaires. Selon cette jurisprudence, la victime non fautive d’un préjudice causé par l’agent d’une administration peut en effet demander au juge administratif de condamner cette administration à réparer intégralement ce préjudice "dès lors que le comportement de cet agent n’est pas dépourvu de tout lien avec le service", et ce, "quand bien même aucune faute ne pourrait-elle être imputée au service et le préjudice serait-il entièrement imputable à la faute personnelle commise par l’agent, laquelle, par sa gravité, devrait être regardée comme détachable du service", précise le tribunal.  

"Cette dernière circonstance permet seulement à l’administration, ainsi condamnée à assumer les conséquences de cette faute personnelle, d’engager une action récursoire à l’encontre de son agent", développe-t-il dans son jugement.  

Dans l'affaire en question, la requérante avait précisément été convoquée en 2012 pour un entretien d'embauche pour un poste ouvert au ministère de la Culture. Au début de cet entretien, le haut fonctionnaire en cause avait proposé à la candidate un café "qu'elle a bu", avant de l'inviter à poursuivre l'entretien à proximité de la rue de Valois, à savoir dans le jardin des Tuileries. "Ressentant rapidement des douleurs et une forte envie d'uriner" suite à l'administration supposée d’un diurétique, la candidate avait "dû mettre fin à l'entretien", relate le jugement. L'intéressée indiquait également avoir par la suite fait un malaise dans le métro et avoir dû être transportée à l'hôpital de Neuilly-sur-Seine "sans être certaine toutefois que ce malaise soit intervenu le même jour ou quelques jours après".  

L'État condamné à verser 12 000 euros  

Lors de l'enquête administrative, le haut fonctionnaire a "reconnu avoir imposé des situations humiliantes aux femmes qu'il recevait ainsi en entretien" et dont la liste "a été tenue par lui dans un tableau intitulé Expériences P", indique le tribunal. Un tableau dans lequel figurait la requérante "avec des mentions" indiquant que le sous-directeur du ministère de la Culture "avait minuté sa réaction physiologique" pendant l'entretien d'embauche. Autant d'agissements "préjudiciables" qui ne sont pas contestés en défense par le ministère de la Culture.  

Ces agissements, ajoute le tribunal, "ont été commis à l'intérieur des bureaux du ministère, pendant et à l'occasion du service". L'entretien litigieux, quant à lui, "impliquait une relation de nature hiérarchique" entre le responsable des ressources humaines et sa victime, et n'a "eu lieu que par l'effet du service".  

"Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'État la réparation intégrale des préjudices subis par la requérante", conclut le tribunal administratif dans son jugement du 16 février. Dans le détail, en plus de 1 500 euros au titre des frais de justice, les juges condamnent l'État à verser la somme de 12 000 euros à la victime des préjudices subis en raison de la "situation humiliante" qui lui a été imposée par l'ancien haut fonctionnaire du ministère de la Culture. À savoir, dans le détail, 1 000 euros au titre du préjudice corporel et des souffrances endurées par la requérante, 10 000 euros au titre de son préjudice moral et 1 000 euros en ce qui concerne les troubles dans ses conditions d'existence et son préjudice "d'agrément".

Par d'autres jugements, eux-aussi rendus ce 16 février, le tribunal administratif a également condamné l'État à indemniser 6 autres victimes de l'ex-sous-directeur du ministère de la Culture. Le tribunal n'a pas précisé les montants de ces indemnisations.  

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