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Denis Robin : “Les ARS ont acquis une capacité d’adaptation sans renier leurs priorités”

Pour le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, les agences “doivent être de véritables partenaires pour les acteurs au niveau local”. Denis Robin observe en outre que “les ARS ont obtenu des résultats et acquis une visibilité chez nos concitoyens”, en particulier depuis la crise sanitaire. Cette interview a été publiée dans le cadre du dossier “Le casse-tête des « préfets de la santé »” de la revue Acteurs publics de mai 2024.

Que vous inspire la trajectoire des ARS depuis l’origine ?
On pourrait dire que les ARS sont dans l’adolescence. Et pourtant, ce qui me frappe, c’est qu’après une dizaine d’années d’existence, elles sont déjà en train de vivre une mutation structurelle. Quand on regarde leurs missions et même le concept des ARS à l’origine, on était avant tout sur des structures de planification de l’offre de soins, d’organisation, de financements, de synthèse, d’évaluation ou encore de contrôle. L’ARS était alors une structure un peu technocratique, ce qui s’est traduit dans l’organisation, mais aussi dans le profil des collaborateurs qui y travaillaient. Depuis, force est de constater que la situation a beaucoup évolué. Notre système d’offre de soins et de services est entré en tension sur une part de plus en plus importante du territoire. Cela nourrit une inquiétude grandissante dans la population et chez ses représentants. Ils sont tous désormais en attente de réponses très précises, très concrètes et adaptées à leur territoire autour des sujets de santé. Cette nouvelle donne a obligé les ARS à entrer dans une analyse territoriale et une proximité avec les populations qu’elles n’avaient pas auparavant. Il a été nécessaire de changer de posture et de travailler territoire par territoire. Aujourd’hui, dans l’expression des attentes de notre tutelle et des autorités politiques, les ARS doivent être de véritables partenaires pour les acteurs au niveau local. La démarche présidentielle du Conseil national de la refondation, qui se traduit par des projets très concrets, conçus localement, est un puissant levier pour aller beaucoup plus loin dans la territorialisation des politiques que nous portons. Autre exemple, les récentes dispositions législatives portées par Frédéric Valletoux [le ministre de la Santé et de la Prévention, ndlr], mettant les conseils territoriaux de santé au centre de la démocratie sanitaire locale, vont également conduire les ARS à intensifier leur présence à un niveau de proximité qui n’était certainement pas envisagé lors de leur création.

Quels sont aujourd’hui les défis prioritaires qu’elles doivent relever ?
Nous sommes en train de vivre une transition importante qui influe sur l’ensemble de l’organisation des ARS et qui a aussi des conséquences sur le niveau de déconcentration en interne et sur les profils à recruter. Évidemment, la crise Covid a totalement changé la donne, mais les transformations que nous venons de citer étaient déjà à l’œuvre avant 2020 et notamment les tensions sur l’offre de soins et sur les ressources humaines, surtout dans les hôpitaux. Un mouvement qui a, selon moi, démarré dès le début des années 2010, mais qui a indéniablement été accentué et accéléré par la pandémie. Les démarches de territoires, de partenariat, de concertation impactent l’organisation des agences. Elles se traduisent notamment par la montée en puissance des délégations départementales, qui doivent devenir les contacts naturels et privilégiés des acteurs de leur ressort. On ne peut pas à la fois critiquer l’éloignement de l’ARS et demander à avoir pour interlocuteur sur tous les sujets le directeur général ; la déconcentration interne, qui a commencé mais qui devrait s’accélérer dans les prochaines années, doit aussi être acceptée par nos partenaires. S’agissant des politiques que nous portons, un défi central sera le virage vers la prévention. On en parle beaucoup, mais il se traduit encore insuffisamment dans les faits. Or nous partageons tous l’idée que la préservation, à tous les âges de la vie, de son capital santé est la clé des thématiques qui nous animent. Ce virage nécessite un étroit partenariat entre de nombreux acteurs, institutionnels, associatifs, professionnels, et les ARS doivent être au centre de cette dynamique.

Si l’on revient à l’origine des ARS, quels étaient leurs principaux objectifs et les ont-elles remplis ?
Leur défi principal, à l’époque, était axé autour du pilotage du système de santé à tous les niveaux, allant du médico-social à l’hospitalier, en passant par la médecine de ville. L’idée forte des ARS par rapport aux ARH [les agences régionales d’hospitalisation, ndr] et aux Drass [les directions régionales des affaires sanitaires et sociales], qui les ont précédées, était d’avoir une vision transversale de l’ensemble des sujets et d’opérer un décloisonnement entre différentes structures qui s’observaient de loin, mais ne travaillaient pas ensemble. Les choses se sont faites au fur et à mesure, mais je pense que sur, ce point, les ARS ont vraiment permis de progresser. L’autre défi était également de créer une meilleure association, au niveau territorial, entre la tutelle étatique et l’assurance maladie. Les ARS ont fait le lien entre ces deux acteurs et, tel que je peux en juger dans ma région, il y a désormais une réelle fluidité entre nous.

La trajectoire du projet initial a-t-elle ­changé, notamment sous l’effet d’éléments extérieurs ?
Ce sont souvent des évolutions structurelles et de fond qui nous obligent à réellement bouger et à revoir nos méthodes. Il y a eu évidemment la crise du Covid, qui a mis à jour et amplifié les tensions en matière de ressources humaines qui régnaient à l’hôpital et qu’il fallait traiter de manière urgente. Pendant la pandémie, les ARS ont été des acteurs de premier plan et se sont retrouvées sur le devant de la scène, dans un partenariat opérationnel préfets-maires-ARS. Cette crise sanitaire a véritablement fait connaître les ARS et leurs missions auprès du grand public. Certains de nos compatriotes ne connaissaient pas du tout les ARS, ni même ce que signifiait leur acronyme.

Si tous les services déconcentrés de l’État ont à peu près la même organisation sur le territoire, ce n’est pas vrai pour les ARS.

Les ARS ont-elles trouvé leur place aux côtés de leurs partenaires des champs hospitalier, médico-social ou encore de la médecine de ville ?
Elles ont sans aucun doute trouvé leur place sur ces terrains. Ce sont précisément les ARS qui organisent le décloisonnement de toutes ces activités. Aujourd’hui, si un service d’urgence est en difficulté, c’est souvent parce que la coordination avec l’ensemble des acteurs, en amont, avec la médecine de ville, et en aval, n’a pas été bien anticipée. Je pense que ce principe a été à la fois bien compris et bien porté par l’ensemble des parties prenantes. Après une période de rodage, et aiguillonné par les périodes de tension que nous traversons chaque année, chacun connaît ses partenaires, ses attentes et ses contraintes, et nous sommes plus collectifs. Nous évoluons dans des politiques partagées plus harmonieuses. Au moment de la création des ARS, il a peut-être fallu un peu de temps pour que chacun trouve sa place. Par exemple, le sujet des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) nécessitait que les différents partenaires, notamment financeurs, conseils départementaux et ARS se comprennent, se fixent des objectifs communs, tout en s’adaptant aux territoires et à leurs spécificités. Sur la lutte contre ce que l’on appelle les déserts médicaux, nous avons construit des partenariats très efficaces avec le conseil régional sur les maisons de santé pluriprofessionnelles, les médico-bus et bien sûr la formation. Les agences régionales de santé ont acquis cette capacité d’adaptation, sans renier leurs priorités. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous avons trouvé un équilibre. Comme toujours dès lors qu’il y a plusieurs partenaires en jeu, on n’est jamais exempt de tensions ou d’éventuels désaccords, mais l’essentiel est d’être au clair sur les responsabilités de chacun, pour construire une solution collective au service de la population.

Existe-t-il, selon vous, des écarts de résultats entre les agences ? Si oui, à quoi tiennent-ils ?
C’est assez difficile pour moi d’avoir une vision globale. Les ARS sont des établissements publics, régis par le principe d’autonomie. En échangeant avec mes collègues, je constate que nous avons des organisations et des modes de fonctionnement relativement différents. Si, par exemple, tous les services déconcentrés de l’État, comme les Dreets (les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) ont à peu près la même organisation sur le territoire, ce n’est pas vrai pour les ARS, il y a d’importantes disparités. Cela peut notamment s’expliquer par la taille de la région. On ne pilote pas de la même manière dans une région relativement homogène, comme peut l’être la région Paca, que dans une très grande région, issue de fusions, comme dans le Grand Est ou encore l’Occitanie. Les réalités et les besoins du terrain sont sensiblement différents.

S’agissant des outils mis à la disposition des agences, sont-ils efficaces notamment pour favoriser le rapprochement entre les acteurs ? Quels sont les grands enjeux ?
Les ARS ont obtenu des résultats et acquis une visibilité chez nos concitoyens, parce que leur statut d’agence leur apporte agilité et adaptabilité, notamment dans l’emploi des moyens mis à leur disposition. Par exemple, nous avons à notre disposition un outil financier très performant : le fonds d’intervention régional, alimenté par l’État et l’assurance maladie, est totalement fongible, à la main des ARS. Cela donne une capacité très efficace pour répondre aux sollicitations et aux besoins. Cet outil permet d’ailleurs une déconcentration interne qui répond bien à nos enjeux. Dans ma région, j’ai délégué 5 % du fonds d’intervention aux directeurs départementaux, ce qui leur permet de répondre aux sollicitations locales et de s’engager dans des partenariats de proximité sans solliciter au préalable l’accord de la direction régionale ; c’est une plus-value considérable. S’agissant des ressources humaines, notre relative liberté dans nos recrutements permet un mixage des profils, particulièrement utile pour faire face aux évolutions en cours et rechercher les profils experts dont nous avons besoin. Avec la forte demande de territorialisation et d’agilité territoriale, au-delà des seuls experts des dispositifs de santé, qui ont toute leur place dans les agences, nous recherchons aussi des responsables de projet, des développeurs et des bons connaisseurs des acteurs locaux. C’est notamment le cas pour diriger nos délégations départementales, qui prennent une place croissante dans les politiques portées par l’agence. Le dernier sujet, toujours en cours, est celui des outils numériques et du partage entre tous les acteurs d’outils communs qui faciliteront, par la suite, l’échange de données. Mais de ce point de vue, notre situation est sans doute moins singulière.

Vous êtes aussi président du Collège des directeurs généraux d’ARS. Comment fonctionne-t-il ?
Le collège réunit les directeurs généraux des ARS et a été mis en place au moment de la création des agences. Il ne s’agit pas d’une structure juridique. Il existe une comitologie très riche au sein du ministère de la Santé pour associer l’échelon local à la prise de décision. Les ARS sont associées à des comités techniques spécialisés sur tous les sujets et régulièrement sollicitées pour donner des avis sur des projets. Elles sont aussi amenées à donner des avis ou à livrer leurs analyses à des instances extérieures au ministère de la Santé. L’idée du Collège était de parler d’une seule voix, en coordonnant nos prises de position, en partageant les analyses et en validant les propositions portées entre notre nom collectif.

Propos recueillis par Marie Malaterre

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Club des acteurs publics

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