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Erick Lajarge : “L’ingénierie et l’adaptation au changement climatique s’incarnent par des solutions souvent locales”

Le directeur général adjoint et directeur des programmes du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) analyse l’évolution inédite de l’établissement public, qui va disposer d’une double gouvernance. Un modèle de “quasi-régie conjointe” qui permettra d’appuyer l’action des collectivités. 

Concrètement, qu’est-ce qu’un fonctionnement en “quasi-régie” ? Comment fait-il évoluer le Cerema et que peut-il apporter plus largement à l’action publique ? 
Avant tout, je voudrais rappeler que le point principal de la loi 3DS qui concerne le Cerema, c’est d’acter que nos métiers relèvent principalement du champ des collectivités territoriales. Le premier point de l’article 159 porte sur le changement de gouvernance du Cerema, pour en faire un organisme partagé entre l’état et les collectivités. La “quasi-régie conjointe” en est une des conséquences, un mode opératoire qui nous permettra de mettre en œuvre ces changements. La quasi-régie conjointe permet de s’appuyer sur une disposition du code des marchés publics qui offre la possibilité de ne pas mettre en concurrence la structure avec laquelle on contractualise. Cela veut dire qu’on peut procéder par convention simple quel que soit le niveau d’engagement et quel que soit le prix de la prestation. C’est comme si la collectivité travaillait avec ses propres services. Ce dispositif doit répondre à 2 obligations : d’abord travailler pour celui qui passe l’ordre à plus de 80 % de son activité ; ensuite que celui qui passe l’ordre exerce sur celui à qui il passe l’ordre un contrôle dit analogue à celui qu’il exerce dans ses propres services. La somme des actions du Cerema pour le compte de l’État et des collectivités adhérentes doit être supérieure à 80 % de l’activité du Cerema – ce sera le cas puisque nous serons à quelque 95 %. Par ailleurs, l’État exerce un contrôle analogue sur le Cerema via une commissaire du gouvernement ; nous mettons en œuvre un dispositif permettant aux collectivités d’exercer un contrôle et de présider aux destinées au Cerema et à son orientation stratégique. 

Ce qui est nouveau et qui remet en cause une doctrine fondamentale, c’est que l’État n’est plus le seul à définir l’orientation et la stratégie.

Est-ce inédit dans le secteur public ? 
Le caractère inédit tient au fonctionnement double : c’est une quasi-régie conjointe, ce qui n’existe pas en France. Il existe des modèles de quasi-régie où l’État travaille avec des opérateurs [par exemple l’Ademe, ndlr], d’autres dans lesquels les collectivités adhèrent à des agences techniques départementales sur lesquelles elles exercent le contrôle analogue que je mentionnais. Ce qui est nouveau et qui remet en cause une doctrine fondamentale, c’est que l’État n’est plus le seul à définir l’orientation et la stratégie : l’État accepte que l’établissement soit en double gouvernance. Il s’agit donc d’un établissement d’un nouveau genre. C’est la raison pour laquelle nous avons eu 2 avis du Conseil d’État pour assoir notre écriture du décret et de la loi [la loi 3DS, qui a modifié le statut du Cerema, ndlr] et border les choses en termes juridiques. C’était en 2019 et en 2021. Nous attendons un troisième avis du Conseil d’État, plus formel, pour acter notre évolution. Ce décret devrait intervenir avant l’été. 

Être adhérent donnera la possibilité d’influer sur l’orientation stratégique du Cerema, un peu comme dans une assemblée générale de copropriété.

Au-delà du Meccano institutionnel, qu’est-ce qui va changer concrètement pour les élus locaux ? 
La première chose, c’est la mise en place d’un système d’adhésion pour les collectivités qui le souhaitent. Nous sommes en train d’en définir les modalités. Être adhérent donnera la possibilité d’influer sur l’orientation stratégique du Cerema et de voter pour les représentants qui siégeront au conseil d’administration, un peu comme dans une assemblée générale de copropriété. Les élus pourront donc participer à la gouvernance et de fait, à la stratégie et sa déclinaison opérationnelle aux côtés des représentants de l’État. La deuxième avancée tient à l’offre de services : formations, interventions spécifiques, bilans, audits, diagnostics territoriaux, etc. Nous sommes en train de packager l’offre adhérents. Enfin, troisième élément : la possibilité de travailler en direct sans passer par des mises en concurrence souvent longues et laborieuses qui mobilisent les bureaux des marchés publics. C’est essentiel quand on veut aller vite. Jusqu’alors, souvent, l’expertise très technique du Cerema était la seule existante, mais il fallait tout de même procéder à des mises en concurrences fastidieuses. Pour résumer, il y a donc 3 apports très concrets pour les élus : ils participent aux orientations stratégiques, ils bénéficient d’une offre packagée et ils peuvent passer en quasi-régie, c’est-à-dire en disposition conventionnelle hors mise en concurrence. C’est plus simple, c’est plus rapide. 

Quels seront les équilibres au sein du conseil d’orientation ? 
Ce sera 40 % pour l’État, 40 % pour les collectivités, qui se déclineront entre les différentes strates : régions, départements, groupements de communes de plus de 20 000 habitants et de moins de 20 000 habitants. Les 20 % restants s’ouvriront aux représentants du personnel et aux personnalités qualifiées également. Il y aura donc une égalité des droits entre État et collectivités, ce qui est central. C’est un dispositif in house : on est “comme à la maison”. On partage les tâches, les responsabilités, les droits entre les parties prenantes… 
 
Quel est le calendrier ? 
Nous espérons une publication des textes d’ici l’été pour acter notre évolution institutionnelle. Un conseil d’administration se tiendra à la rentrée de septembre-octobre, qui définira les conditions d’adhésion ; nous recueillerons ensuite les adhésions puis organiserons une élection du nouveau conseil d’administration… L’installation définitive de ce futur conseil d’administration devrait s’organiser au premier trimestre 2023. 

Au-delà de cette transformation, quelle est votre programmation pour les mois à venir ? 
Notre programmation actuelle s’appuie sur des réponses aux demandes en termes de déploiement de politiques publiques de l’État, le plus souvent vers les collectivités et aux besoins des ministères, de leurs administrations centrales mais aussi, évidemment, de leurs services déconcentrés ; il s’agit là d’un exercice et d’une réflexion que nous menons chaque année, via des conventions annuelles avec les administrations. L’État va par ailleurs nous confier des interventions supplémentaires, au-delà des conventions avec les ministères. Je pense à la question des sentiers du littoral, des traits de côte, des décharges littorales, du programme “Ponts”, etc. Nos actions tournées vers les collectivités nous occupent pour environ 60 % de notre activité, ce qui justifie pleinement notre transformation en quasi-régie. Nous interviendrons tout à la fois pour le compte de l’État et pour le compte des collectivités territoriales, ce qui justifie pleinement notre transformation, qui va faire du Cerema un établissement public à la fois national et local. 

Nous militons pour préserver nos moyens humains, élément central pour porter nos missions.

Votre ambition est forte et vos interventions multiples. Quid des moyens pour les mettre en œuvre ? 
Même si nous ne méconnaissons pas les difficultés qui seront celles du ou de la futur(e) ministre des Finances pour constituer un budget alors qu’une trajectoire va être fixée pour ce nouveau plan quinquennal du Cerema dans un contexte très complexe, il faut souligner nos interventions effectivement multiples et notre ambition forte pour répondre aux attentes des collectivités. Nous sommes un établissement public de l’État et nous restons soumis à un schéma et un plafond d’emplois. Nous militons pour préserver nos moyens humains, élément central pour porter nos missions. Par ailleurs, nos recettes “tiers”, qui se multiplient, sont liées soit à ce que nous donne l’État en supplément de sa subvention générale, soit à des recettes provenant des collectivités. Cela permet des recrutements pour des dispositifs répondant à des appels à projets. Il nous faut satisfaire ces besoins via des autorisations d’embauches et d’emplois dédiées. Enfin, nous devons identifier les métiers dont personne ne “dispose”, des compétences propres au Cerema et sur lesquelles notre expertise est réellement attendue. Ce travail très fin, mené depuis quatre ans par le directeur général [Pascal Berteaud, ndlr], est hautement stratégique pour penser l’avenir. En effet, nous n’avons pas vocation à tout faire : des agences techniques et d’autres opérateurs techniques existent avec lesquels nous pouvons nouer et développer des partenariats. C’est un élément clé sur lequel nous travaillons dans le cadre de notre contrat d’objectifs et de performance. Ce recueil de compétences permettra de dire là où nous sommes les plus légitimes. 

Comment la question des compétences se pose-t-elle ? Comment anticipez-vous les compétences, notamment numériques, de demain ? 
La question du développement des compétences est au cœur de notre pilotage interne. En effet, le Cerema est sollicité sur une expertise de très haut niveau, qu’il faut fabriquer et entretenir en permanence. Par une stratégie de recrutement, bien sûr. Mais aussi par un effort interne important, tant de formation que de recherche. Nous développons une action forte en direction de start-up pour identifier et développer de nouveaux outils numériques. La question des doubles compétences est centrale : comment “marier” le métier d’ingénieur avec le numérique ? Un ingénieur ne travaille pas aujourd’hui ni n’exerce de la même manière ses missions qu’il y a vingt ans. Tout change, et tout change très, très vite ! Nous consacrons par ailleurs une part importante de notre budget à la recherche et innovation, via une recherche dite appliquée, et même “impliquée”. Nous sommes en lien, en synergie et en collaboration avec des laboratoires de recherche dans les écoles, les universités. Enfin, nous produisons une documentation pédagogique via des guides et publications divers, mis en accès libre.

La question de l’ingénierie territoriale et de l’adaptation au changement climatique s’incarne par des solutions qui se développent de manière souvent locale.

Quid de la formation ? Quels formats nouveaux envisagez-vous ? 
La formation évolue et prend des formes multiples. Notre projet pédagogique prévoie une “communauté cérébrale” : certains profils étaient au Cerema, partent en bureaux d’études privés, chez un autre opérateur, dans les services ministériels centraux ou déconcentrés, puis reviennent au Cerema pour y retrouver une manière d’agir et de faire unique. Nous essayons donc de structurer cette communauté. Deuxième élément : nous travaillons à développer des parcours appuyés sur une sorte de mécénat de compétences. On pourrait par exemple imaginer qu’un jeune ingénieur débute chez nous, parte ensuite dans un pays européen qui nous enverrait en retour un ingénieur, puis chacun reviendrait dans son organisation initiale pour l’enrichir des pratiques acquises à l’étranger. Cet “Erasmus de l’aménagement” n’est pas simple à mettre en œuvre tant les statuts peuvent être différents, mais il porte une avancée forte. 

Vous avez récemment lancé une plate-forme collaborative, “Expertises Territoires”. Quel est l’objectif de ce projet ?
Expertises Territoires est un espace collaboratif. Son objectif est de contribuer à l’adaptation au changement climatique dans les territoires grâce à la mise à disposition d’espaces de travail pour coconstruire de nouvelles solutions, alliant plusieurs expertises (technique, juridique, financière, comportementale…).Ce projet repose sur l’idée portée par notre directeur général que la question de l’ingénierie territoriale et de l’adaptation au changement climatique s’incarne par des solutions ; et ces solutions se développent de manière souvent locale, transverse et horizontale, et non plus verticale ou hiérarchique. Il faut donc développer un cadre permettant ce partage de solutions initiées localement. Les communautés de métiers, d’intérêt, géographiques… doivent pouvoir se parler entre elles de manière directe. L’idée est au fond très simple : un acteur local qui se pose des questions concrètes pourra trouver une réponse apportée à un autre endroit du territoire par un autre acteur local. Un ingénieur peut déposer son projet et voir avec ses pairs comment ils ont travaillé et avancé, quelles sont les démarches, les difficultés, comment elles peuvent être contournées, etc. Enfin, Expertises Territoires apporte des ressources, de la documentation en ligne, etc. Des communautés professionnelles et géographiques vont peu à peu se constituer. Nous avons fait le choix de développer Expertises Territoires en marque blanche, afin que tous les acteurs des territoires et leurs partenaires puissent se retrouver en un espace commun où croiser leurs pratiques professionnelles, leur expérience, où transformer les questions en réponses et les projets de transition écologique en réalité. Expertises Territoires a été initiée en mars et bénéficiera d’un lancement officiel à l’automne. Les premiers retours sont très positifs. Cela répond à une attente et à un besoin.

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Club des acteurs publics

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