L’Inria donne des gages sur le fonctionnement de l’application de traçage StopCovid

L’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), chargé par le gouvernement de plancher sur le cœur du réacteur de l’application qui doit faciliter l’identification des contacts entre personnes, a publié, le 18 avril, les grands principes de fonctionnement de StopCovid. Une publication qui apporte des garanties en matière de préservation de la vie privée, mais aucune sur l’efficacité réelle d’une telle application.

Opération “transparence” pour le projet d’application d’identification des contacts. L’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) a mis en ligne, le 18 avril, le protocole d’échange d’informations de StopCovid. Ce document à visée pédagogique et rédigé dans un langage grand public décrit le fonctionnement de son “protocole de suivi des contacts rapprochés, rigoureux et respectueux de la vie privée” conçu par l’institut en collaboration avec son équivalent allemand, l’institut Fraunhofer-Gesellschaft.

Très concrètement, l’utilisation de l’application se déroulera en plusieurs étapes : lorsque quelqu’un télécharge l’application sur son smartphone, celle-ci mémorise grâce au Bluetooth tous les contacts détectés avec d’autres personnes ayant l’application. Mais pour éviter qu’il soit possible de suivre tous nos contacts à la trace, l’application recourt à des identifiants anonymes, qui seront renouvelés toutes les quinze minutes. Ce n’est qu’une fois qu’une personne est testée positive que son historique de contacts est envoyée à une base de données centrale. Un croisement est alors réalisé pour retrouver tous les pseudonymes des personnes avec laquelle la personne contaminée a été en contact, et ainsi les prévenir.

Déminer le terrain

Voilà donc pour le descriptif de la procédure d’identification des contacts, dont le pendant technique a également été rendu public. Rien ne clarifie pour autant ce qu’il adviendra lorsqu’une personne sera alertée qu’elle a été en contact avec une autre personne contaminée. Pour obtenir des éléments de réponse, il faut se tourner vers une tribune du P.-D.G. de l’Inria, Bruno Sportisse, publiée le même jour sur le site du centre de recherche en informatique. Il indique que l’alerte “peut alors déclencher un renvoi vers divers actes : un respect scrupuleux des gestes barrières, un suivi journalier des symptômes, une consultation, un test, etc. Ceci relève du choix d’une politique de santé d’un État.”

Dans ce rare exercice de pédagogie, le directeur général de l’Institut cherche avant tout à déminer le terrain en prenant les questions une à une pour expliquer le fonctionnement de la future application de pistage numérique StopCovid. Bruno Sportisse commence d’ailleurs par décrire ce qu’elle ne sera pas. “Une telle application n’est pas une application de « tracking » : elle n’utilise que le Bluetooth, en aucun cas les données de bornage GSM ni de géolocalisation”, écrit le directeur. “Une telle application n’est pas une application de surveillance : elle est totalement anonyme. Pour être encore plus clair : sa conception permet que PERSONNE, pas même l’État, n’ait accès à la liste des personnes diagnostiquées positives ou à la liste des interactions sociales entre les personnes.” Et d’insister sur le caractère non obligatoire de l’application, dont l’installation se fera sur la base du volontariat. 

Le développement de l’application mobile StopCovid, dont on n’a pas encore la certitude qu’elle sera déployée, concentre en effet une bonne partie des inquiétudes liées à la stratégie de déconfinement du gouvernement, tant elle touche à nos libertés les plus chères, et notamment celle concernant la vie privée. Pendant le week-end, plusieurs tribunes ont été publiées dans les médias, les unes pour exiger l’arrêt d’un projet jugé “inefficace” et “dangereux”, les autres pour réclamer une mise en œuvre raisonnée offrant des garanties en matière de préservation de la vie privée. C’est le cas du texte publié par Bruno Sportisse.

Avec la publication de son protocole et de la tribune de son directeur général, l’Inria met cartes sur table pour expliquer le fonctionnement de la future application StopCovid et ainsi répondre aux craintes sur l’atteinte à la vie privée avant les débats au Parlement, prévus les 28 et 29 avril. Ces débats se dérouleront néanmoins sans aucun vote, au grand regret de parlementaires de tous rangs : LR, PS, communistes, et même d’anciens députés LREM.

Limites technologiques

Rien ne dit cependant s’il est possible, avec cette même application, d’évaluer le degré de proximité du contact, et donc le risque de contamination. Bruno Sportisse reconnaît volontiers les limites technologiques d’un tel projet : “La technologie Bluetooth n’a pas été conçue pour être précise dans l’estimation de distances entre deux smartphones. Les résultats peuvent dépendre de nombreux paramètres, comme la physiologie des personnes, la position du smartphone, le type de smartphone, l’état de la batterie, etc. Cela a conduit plusieurs équipes internationales à mener des tests de calibration pour proposer des modèles statistiques qui corrigent ces erreurs.”

Encore faut-il après cela que les fabricants de smartphones jouent le jeu. Plusieurs experts du numérique ont en effet noté qu’en l’état, les smartphones Apple et Android (Google) ne permettaient tout simplement pas de laisser son Bluetooth activé en permanence. 

Les conditions exactes de transmission du virus ne sont pas non plus encore connues assez précisément pour que l’efficacité du contact tracing soit optimale. “Toutes les applications de proximitytracing reposent ainsi sur des fonctions de risque, définies avec les chercheurs en épidémiologie, sur la base de l’état de l’art”, précise Bruno Sportisse. Mais cette connaissance “est encore très lacunaire”.

Un seul début de solution est avancé pour éventuellement surmonter le défi de l’adoption par le plus grand nombre de l’application. L’Inria explique ainsi que son protocole n’est pas destiné qu’aux smartphones, et assure tout faire pour qu’il soit compatible avec d’autres types d’appareils, comme les montres et bracelets connectés.

Une mission express pour le CNNum
Alors que tout semble déjà dans les starting-blocks, ou presque, le secrétaire d’État chargé du Numérique, Cédric O, a demandé au Conseil national du numérique (CNNum) de l’assister dans ses réflexions sur l’éventuel déploiement de StopCovid. Cédric O invite ainsi le CNNum à lui faire part “des points d’attention, des améliorations possibles qui vous auront été signalées lors de vos auditions” et à faire des recommandations “sur les conditions qui pourraient permettre son adoption par le plus grand nombre et notamment sur la question essentielle de l‘inclusion”. Et il lui faudra faire vite. Les conclusions de ces travaux sont attendues pour le 24 avril. Soit quelques jours seulement avant les débats (sans vote) à l’Assemblée nationale et au Sénat, les 28 et 29 avril.

Par Émile Marzolf

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