Partager

5 min
5 min

“Acteur public libre et responsable ?”

Il est possible de transformer le service public sur la base de la responsabilité et de la liberté d’action, analysent dans cette tribune 4 membres du Cercle des pionniers de la libération de l’administration : le professeur à l’ESCP et auteur de Liberté & Cie (Flammarion) Isaac Getz et Antoine Gizardin, tous deux coanimateurs de ce cercle composé de patrons d’administrations publiques de tous horizons, Antoine Bourdon, directeur général de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aude, et Stéphane Gouezec, colonel du service départemental d’incendie et de secours de Seine-Maritime.

De gauche à droite, Antoine Bourdon, Isaac Getz, Stéphane Gouezec et Antoine Gizardin, membres du Cercle des pionniers de la libération de l’administration.

La Liberté, avec l’Égalité et la Fraternité, fait partie du principe constitutionnel de la Ve République. Liberté s’entend pour chacun à travers nos droits individuels, et également pour tous à travers la liberté d’expression, ou la liberté d’entreprendre. Mais qu’en est-il de la liberté dans le monde du travail, celle pour les salariés d’agir pour le bien de leurs organisations, de leurs pairs, de leurs usagers, de leurs fournisseurs, de leur communauté locale ?

La République, à travers ses institutions, protège nos libertés et n’accepte leurs restrictions qu’à titre exceptionnel et justifié. Sans les libertés individuelles, le citoyen ne peut prendre part au processus démocratique. Sans la liberté d’expression, le débat démocratique est impossible. Sans la liberté d’entreprendre, le système économique devient inopérant.

Pourtant, il existe des sphères dans notre pays où l’absence de liberté peut paraître logique, naturelle. L’armée en est un exemple. Le militaire en service n’est pas libre d’aller et venir, de s’exprimer ou d’entreprendre des actions à sa guise. Le principe de subordination l’emporte sur celui de la liberté. Il est difficile d’imaginer des unités militaires fonctionner sans respecter scrupuleusement une chaîne de commandement.

Peut-on envisager que des équipes responsables et libres d’agir pour le bien des usagers et de leur administration puissent mieux servir que des équipes subordonnées ?

Autre exemple : nos organisations privées et publiques. Là aussi, le principe de subordination des salariés et agents l’emporte sur celui de leur liberté. Et là aussi, nous l’acceptons car il nous est difficile d’imaginer un fonctionnement sans une ligne hiérarchique. Cependant, difficile à imaginer ne veut pas dire impossible.

C’est ce qu’ont décidé de nombreux dirigeants du secteur public. Attachés, comme nous tous, au principe de liberté, ils se sont posé la question suivante : doit-on renoncer à la liberté dans le service public, ou peut-on envisager que des équipes responsables et libres d’agir pour le bien des usagers et de leur administration puissent mieux servir que des équipes subordonnées ? Au premier regard, ces directeurs généraux et officiers peuvent apparaître comme de dangereux aventuriers mettant en péril la mission de service public de leurs entités. Mais les faits et les résultats obtenus nous invitent à aller au-delà de cette impression.

Revenons à l’armée. Depuis des décennies, celle-ci possède des unités dont le fonctionnement est fondé sur les principes de responsabilité et de liberté d’action : les forces spéciales. Agissant dans les cadres les plus exigeants, l’autorité y est attribuée en fonction de la mission et de la compétence et non du grade. Autres exemples, quelques navires et un sous-marin fonctionnent ainsi. Enfin, des démarches de libération à l’échelle d’un service départemental d’incendie et de secours (Sdis) ont également fait leurs preuves. 

Si les militaires et les sapeurs-pompiers peuvent fonctionner en responsabilisant leurs équipes et en leur donnant la liberté d’agir dans un cadre fortement contraint et risqué, pourrait-on imaginer d’appliquer ces méthodes à nos administrations ? 

Nous n’ignorons pas que le contexte d’action des administrations est très contraint lui aussi. Multiples autorités et tutelles, changements réguliers d’orientation, fixation des objectifs et des moyens à l’ETP [équivalent temps plein] et à l’euro près, cadre réglementaire et normatif omniprésent pèsent fortement sur le quotidien. 

Des organisations de plus en plus nombreuses fonctionnent dans une liberté ordonnée, visant un meilleur service public en respectant pleinement le cadre légal et règlementaire.

Malgré cela, les preuves concrètes qu’il est possible de transformer le service public sur la base de la responsabilité et de la liberté d’action se répandent chaque jour. 

Des organisations de plus en plus nombreuses fonctionnent dans une liberté ordonnée, visant un meilleur service public en respectant pleinement le cadre légal et réglementaire. Cette accélération a notamment été relevée par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) dans son rapport “Transformation managériale : que peuvent apprendre les entreprises libérées aux administrations et organismes publics ?”. En étudiant 98 organisations fondées sur la responsabilité et la liberté, dont 15 administrations, la DITP conclut que la libération peut être un pilier de la transformation des administrations, par ailleurs régulièrement prônée par le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques. Parmi ces organisations, figurent notamment plusieurs caisses primaires d’assurance maladie.

Nous, dirigeants publics membres du Cercle des pionniers de la libération de l’administration, sommes convaincus que la transformation fondée sur la responsabilité et la liberté d’action des agents répond au cœur des transformations attendues dans notre pays. Pour autant, nous ne pensons pas détenir la vérité et simplement montrons qu’une telle voie de transformation de l’administration est possible. Certains parmi vous partagez cette vision, avez déjà initié une transformation semblable à votre échelle, cherchent à le faire ou à contribuer d’une autre façon à cette dynamique. Dans tous ces cas, nous vous invitons à prendre contact avec nous (cercle.pionniers@gmail.com) !

“Libérer l’organisation de ses silos” : l’exemple du Sdis de Seine-Maritime
Tous les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) partagent des valeurs et missions inspirantes et une attention particulière pour la qualité de leur action (prévention et amélioration continue). Pour transcender leur organisation et parvenir à un haut niveau de qualité, certains Sdis ont bâti des démarches de transformation managériale par la confiance. Il s’agit notamment de libérer l’organisation de ses silos managériaux et des enjeux de pouvoirs pour faire émerger l’intelligence de chacun.
Ainsi, le Sdis de Seine-Maritime a lancé sa transformation en 2022 avec les ambitions suivantes :
• créer un avenir durable,
• développer des capacités organisationnelles,
• favoriser la créativité et l’innovation,
• diriger avec vision, inspiration et intégrité,
• manager avec agilité,
• apporter de la valeur à ses clients,
• réussir grâce au talent de ses collaborateurs,
• atteindre des résultats exceptionnels.
Selon le colonel Stéphane Gouezec, commandant le Sdis de Seine-Maritime, “ces ambitions sont nécessaires pour faire évoluer les méthodes de management des cadres, aller vers une organisation apprenante et déployer une « culture juste » : dépénalisation de l’erreur, principes éthiques…”

La CPAM de l’Aude, pionnière de la “libération”
La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Aude a été l’un des premiers organismes administratifs à s’engager, dès 2015, dans une démarche de libération. Les équipes ont élaboré un projet managérial fondé sur l’intelligence collective et les pratiques collaboratives. Chacun des salariés a été invité à s’engager volontairement dans la démarche, en participant aux décisions, en prenant des initiatives, en proposant des innovations, en contribuant à de nouvelles manières de fonctionnement. 
Parmi les réussites : la mise en œuvre systématique du recrutement par les pairs et le déploiement d’une activité de facilitation pour accompagner le changement, le développement et partage des méthodes de l’intelligence collective, le soutien de la cohésion des équipes et de leur engagement dans les projets innovants. La crise sanitaire a éprouvé la CPAM. Son agilité et la cohésion autour de la raison d’être et de ses valeurs ont renforcé sa résilience, démontrant la pertinence de ce mode de fonctionnement face à l’adversité. Arrivé en 2019 en tant que directeur général, Antoine Bourdon a mené avec les équipes une introspection pour mieux poursuivre le chemin de libération. La démarche continue de s’enrichir au fil de l’eau : le projet d’entreprise à horizon 2027 écrit une nouvelle page d’une histoire de libération qui a bientôt dix ans.

Partager cet article

Club des acteurs publics

Votre navigateur est désuet!

Mettez à jour votre navigateur pour afficher correctement ce site Web. Mettre à jour maintenant

×