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Christelle Lehartel : “En Polynésie, nous voulons valoriser l’engagement des agents”

Pour Acteurs publics, Christelle Lehartel, ministre de l’Éducation et de la Modernisation de l’administration en charge du Numérique du gouvernement de Polynésie française, détaille la transformation de son administration, qui s’appuie sur le numérique, sur l’individualisation des trajectoires des agents et sur la proximité. La Polynésie est un territoire d’outre-mer autonome de quelque 280 000 habitants sur une superficie équivalente à celle l’Europe.

Christelle Lehartel, ministre de l’Éducation et de la Modernisation de l’administration en charge du Numérique du gouvernement de Polynésie française.

Vous rentrez d’un déplacement à Paris. Quels étaient les enjeux, en particulier concernant la politique de transformation de la fonction publique en Polynésie française ?
En tant que ministre de l’Éducation et de la Modernisation de l’administration en charge du Numérique du gouvernement de Polynésie française, je viens régulièrement en métropole et à Paris pour échanger avec les ministres, patrons d’administration et managers qui interviennent sur mon champ de compétences. Nous évoquons les pratiques et méthodes les plus récentes en matière de transformation publique. Via notre statut de territoire d’outre-mer doté de l’autonomie, nous encadrons 5 000 fonctionnaires d’État mis à la disposition de notre territoire – principalement des enseignants – et 8 000 fonctionnaires du “pays”, c’est-à-dire relevant directement de notre gestion. Nos problématiques de gestion RH sont très liées aux problématiques, atouts et contraintes de notre territoire, grand comme l’Europe et pour lequel se posent des enjeux peut-être méconnus en métropole. Par exemple, moi qui suis très à l’écoute des agents sur le terrain, je regarde la météo avant d’aller à leur rencontre. Car selon la météo, je prends l’avion ou le bateau. 

Comment intervenez-vous en matière d’innovation publique ?
En matière de gestion des personnels polynésiens, nous avons les mains libres, parce que cela relève de la compétence du “pays”, mais nous aimons décliner les choses qui fonctionnent en les adaptant à notre contexte et à la culture polynésienne. Nous sommes engagés en matière d’innovation publique depuis 2016, avec une accélération depuis 2018. L’École nationale d’administration est venue à la rencontre d’une centaine de responsables administratifs de la collectivité de l’État et des communes en 2018, mais aussi de décideurs en 2019. Elle a formé les 12 premiers facilitateurs. Depuis, ils sont une soixantaine. Le Pays ne travaille pas tout seul, mais avec toutes les autres institutions. Pour formaliser la démarche, nous avons signé une convention l’an dernier avec toutes les institutions basées en Polynésie : État et organismes basés en Polynésie, collectivité de Polynésie, communes, organisation de protection sociale, assemblées, Conseil économique, social, environnemental et culturel… La chambre de commerce doit nous rejoindre en fin d’année.

Nous avons la volonté de changer le regard des citoyens sur leurs administrations, d’être plus proches, plus accessibles.

Quelles sont les actions mises en œuvre dans le cadre de cette convention ? 
Nous voulions développer de nouveaux outils pour les agents et de nouveaux services pour les usagers. En premier lieu, faciliter les relations entre les différentes institutions alors que la Polynésie est très étendue sur l’océan Pacifique. Notre président souhaitait rendre plus aisés les échanges et simplifier les démarches pour nos administrés. Les finalités affirmées visaient ainsi à offrir des services publics plus justes, simples et efficaces et à optimiser l’utilisation des fonds publics. Imaginez qu’un habitant des îles Marquises doit effectuer un parcours considérable pour effectuer une démarche à Papeete, sur l’île principale de Polynésie. Nous avons les mêmes usagers et nous voulons qu’ils n’aient pas à se préoccuper de qui est compétent pour quoi. Nous avons pensé principalement à toutes ces personnes qui sont éloignées de notre capitale en mettant l’accent sur les outils numériques. Par ailleurs, l’équivalent des maisons France services de la métropole s’est développé – ce sont les Fare Natira’a. Nous avons la volonté de changer le regard des citoyens sur leurs administrations, d’être plus proches, plus accessibles. Le lien doit être renforcé. Mais nous sommes aussi confrontés aux problématiques d’acculturation numérique et d’illectronisme : il faut accompagner notre population [environ 280 000 personnes, ndlr] via une présence physique, particulièrement auprès de nos personnes âgées. Notre population est vieillissante et nos seniors n’ont pas grandi avec toutes les avancées technologiques. En matière de numérique, la séquence du Covid a été un accélérateur. Mais notre volonté est surtout de ne pas avoir du tout-numérique, car le contact humain est essentiel en Polynésie, cela est ancré dans notre culture.

Quid de la coconstruction avec vos agents ? 
Elle est centrale dans notre convention et dans nos actions. Au moyen des ateliers d’intelligence collective, nous travaillons à casser les silos et à dépasser les cultures propres à chaque service, à chaque administration, à chaque institution. L’objectif est de s’adresser à l’usager quelle que soit sa demande. Nous avons développé un volet “gamification” en reprenant des techniques de la DITP [la direction interministérielle de la transformation publique, ndlr] et en les adaptant. Cette dynamique de transformation crée un réel enthousiasme dans les équipes. La convention a prévu des comités opérationnels, des comités des signataires et des groupes de travail qui permettent d’engager et de suivre l’avancée des chantiers de modernisation. La culture de l’innovation se développe, ainsi qu’une communauté d’innovateurs au sein de nos services publics. Tout cela entraîne l’accompagnement de changements importants, qui peuvent aller d’une réorganisation totale d’un service à des accompagnements plus ciblés et plus individualisés. En matière de ressources humaines, nous avons mis en place un schéma directeur destiné à partager et créer l’adhésion autour d’une vision commune. Cette refonte de notre politique RH permet de dépasser une gestion administrative – la paie, les congés, etc. – pour aller vers une gestion plus fine des trajectoires de nos personnels. Nous appréhendons les sujets du télétravail, de l’entretien d’évaluation, qu’il faut repenser, du dialogue social, de la formation, etc. Sur ces enjeux RH, l’innovation est un facteur clé. Le changement est porté par des référents RH et par des responsables d’administration qui le diffusent, en l’appuyant sur “l’humain”.

Notre administration ne doit plus être une administration où l’on vient se camoufler pour bénéficier de la sécurité de l’emploi.

Ce nouveau plan de gestion RH porte-t-il aussi des enjeux d’attractivité, à un moment où le secteur public peine à recruter ? 
En effet. Nous avons du mal à recruter sur certaines catégories et certains métiers et il faut travailler l’attractivité via les rémunérations, via la refonte des carrières et via les perspectives que l’on donne à nos personnels. L’attractivité va de pair avec la fidélisation. Notre administration ne doit plus être une administration où l’on vient se camoufler pour bénéficier de la sécurité de l’emploi. L’agent doit être valorisé dans tout ce qu’il fait pour les usagers. Nous devons permettre de valoriser l’engagement tout en respectant l’équité dans la gestion des ressources humaines. Au-delà, nous développons des bourses majorées et élargissons les conditions de recrutement pour favoriser l’engagement des jeunes Polynésiens pour leur service public. 

Quid de langue et de la culture de votre territoire ? 
C’est en effet l’un des enjeux de notre administration : nous laissons la place à la langue tahitienne. Dans les concours, dans les informations, dans les démarches administratives : ils sont systématiquement détaillés en français et en langue tahitienne. C’est une démarche qui permet à nos habitants d’être proches de leur secteur public. Tout doit être accessible dans les deux langues. 

Propos recueillis par Sylvain Henry

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