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Francis Massé : “Une nouvelle donne pour l’agenciarisation de l’État ?”

L’ancien haut fonctionnaire de la direction générale de l’aviation civile Francis Massé, membre fondateur du Cercle de la réforme de l’État et président de MDN Consultants, suggère une rationalisation du nombre d’agences et un modèle d’organisation et d’intervention repensé.

Accolé à l’ultralibéralisme et au new public management (NPM) le terme d’agence publique sent le soufre. Notre propos sera ici de préconiser une refonte de l’appareil administratif de l’État en réduisant le nombre de ministères et en fusionnant les administrations centrales et services déconcentrés et établissements publics dans des agences de plus grande dimension, aux missions cohérentes et réduites en nombre. Pour faire très bref et “iconoclaste”, 15 ministères avec en moyenne 5 agences chacun, soit 75 agences au lieu de 484 opérateurs de l’État.

La notion d’État impartial signifie l’indépendance de l’État, en particulier de son administration, à l’égard de toute influence exclusive et de tout conflit d’intérêts. Or ceux qui lisent la sociologie administrative ou pratiquent les services publics savent bien que les jeux d’influences sont là et que les entités publiques, comme toute organisation humaine, possèdent, à côté de leurs talents, leurs dogmes, leurs a priori et leurs habitudes. Par ailleurs, le contexte actuel de croissance des interdépendances et de complexité fait émerger une nouvelle figure de l’intérêt général.

Le contexte actuel de croissance des interdépendances et de complexité fait émerger une nouvelle figure de l’intérêt général.

La nécessité est alors de savoir si nos organisations publiques sont adaptées aux nouvelles caractéristiques de leur environnement économique et social. La plupart des experts affirment que le modèle de l’organisation pyramidale ne l’est plus. En conséquence, quels seraient les modes opératoires les plus aptes à concilier pensée et action, ou encore conception des politiques publiques et mise en œuvre ? Car en fin de compte, l’objectif recherché est bien celui l’efficacité publique. Nous avons déjà souligné qu’il existe trois lieux de risques des contradictions dans l’action publique. D’abord des silos verticaux, dont le caractère fractal fait qu’ils se manifestent à tous les niveaux et à tous les échelons : entre ministères, entre directions, sous-directions, services déconcentrés. En outre et par voie de conséquence, on ne peut que constater des coopérations encore trop limitées entre les différents services et administrations, d’où le deuxième risque d’une mauvaise gouvernance. Enfin, un troisième risque, sans doute le plus insidieux, se situe au niveau du management (notamment du management des ressources humaines et de la formation). 

Nous insisterons ici sur le premier risque : celui des structures. S’agissant des établissements publics, la Cour des comptes comme l’inspection des Finances (IGF) n’ont pas manqué de dénoncer les défaillances en France de leur tutelle de ces établissements. Le rapport plus récent de la Cour des comptes demandé par le comité́ d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, de janvier 2021, sur les relations entre l’État et ses opérateurs confirme, tout en notant des progrès, la nécessité d’une meilleure efficacité de la tutelle, notamment en améliorant l’usage des contrats (COP et COM) et surtout, à nos yeux, souligne la question de la cohérence du périmètre de ces agences comme l’extrême diversité de leur taille.

Comment ne pas voir que des agences publiques orientées et évaluées sur leurs résultats seraient un progrès essentiel attendu par tous ?

Un rapport de l’IGF de 2012 soulignait déjà que “si l’État a entrepris un réel effort de modernisation de sa tutelle, ces réformes n’ont généralement pas été suffisantes pour faire émerger une tutelle réellement stratégique et moins tatillonne [de ces agences] : 
•     Le bilan de la mise en place et de l’utilisation des instruments de pilotage apparaît mitigé, et le suivi accordé à l’exécution des objectifs apparaît encore trop limité (…)  
•     Plus fondamentalement, les différents outils de pilotage, faute d’une utilisation pleinement satisfaisante, peuvent conduire à bureaucratiser l’exercice de la tutelle.” 

La France compte ainsi 1 200 agences publiques dont 484 opérateurs de l‘État et des organismes divers d’administration centrale pour un total de 731. S’y ajoutent les structures ministérielles (administrations centrales et services déconcentrés) ainsi que les collectivités territoriales. La progression du nombre de ces agences est due à la recherche d’autonomie, à la spécification d’une problématique ou d’un domaine d’action, au souhait de souplesse de gestion budgétaire ou RH, etc.).

Pourquoi conserver ce type de configuration qui nous apparaît de plus en plus inadapté au contexte actuel d’un État moderne qui plus est inséré dans un système public de gouvernance européenne et dans un quasi-fédéralisme juridique ? L’État ne doit-il pas travailler autrement ? Réduire l’effet de silos et aller vers l’objectif de 15 ministères avec en moyenne 5 agences chacun, soit 75 agences au lieu de 484, est certes ambitieux mais représente un objectif réaliste et pertinent pour réformer notre État, son fonctionnement et ses modes de relations avec son public. Comment ne pas voir que des agences publiques orientées et évaluées sur leurs résultats seraient un progrès essentiel attendu par tous ?

Il faut admettre que les agents de l’État n’ont pas vocation à s’occuper de tout et que leur champ d’action doit être adapté.

Chaque ministre, patron de ses services, serait alors à la tête d’agences au nombre réduit avec une structure légère de pilotage. Chaque agence regroupant un certain nombre de blocs de compétences de façon cohérente et efficace sous l’autorité du ministre en charge d’un domaine considéré. Chaque agence a sa délégation régionale et sert de ressources aux collectivités territoriales selon la demande de ces dernières. Que de temps perdu aujourd’hui dans des querelles picrocholines entre régions et agences de l’État (Pôle emploi, ARS, etc.) ! Que de coûts de transactions inutiles !

L’essentiel est de consolider une approche d’ensemble des problèmes et de relier entre elles les solutions afin de prendre des décisions publiques non contradictoires et pertinentes. Des décisions possédant non seulement une cohérence interne, mais encore externe car devant correspondre à des finalités économiques et sociales. La première qualité d’une administration efficace est en effet la compréhension de l’attente du public et la lucidité mais elle ne doit point être réductionniste : l’administration a un vrai rôle social, une réelle épaisseur et elle vise à incarner ce que Hegel écrivait à propos de l’État : “L’État en tant qu’Esprit d’un peuple est en même temps la loi qui pénètre toutes les relations internes à ce peuple, la coutume éthique et la conscience des individus de ce peuple.” C’est l’intérêt général. 

L’exécutif a besoin d’un dispositif d’aide à la décision fondé sur un écosystème de connaissances et nourri d’intelligence économique, de prospective stratégique et d’intelligence collective. De même, il doit y avoir un continuum entre les différentes strates des organisations publiques pour chaque domaine particulier d’action publique. Une claire répartition des tâches entre collectivités publiques est préférable à la clause de compétence générale, mais il est indispensable de conserver une certaine souplesse.

Mais la question est aussi dans la nature de l’État, fédéral ou unitaire. L’État jacobin n’est plus en tout cas à l’échelle des enjeux et des situations. Le dernier épisode des agences régionales de santé (ARS) illustre parfaitement les difficultés organisationnelles et de processus de décisions. Le projet de loi “3DS” (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification) prévoit la transformation du conseil de surveillance des ARS en conseil d’administration et que la présidence du conseil d’administration reste assurée par le préfet de région. Le Sénat préfère confier la coprésidence du conseil d’administration des ARS au président du conseil régional, conjointement avec le préfet de région, dans l’attente du débat à l’Assemblée nationale. 

Il est préférable que toute délégation régionale d’une agence soit sous la seule autorité du préfet. Elle serait en revanche, pour la collectivité territoriale, un relais étatique intervenant sur demande de cette dernière lorsque des questions ne peuvent être complètement résolues par ses soins. L’expérimentation, désormais de valeur constitutionnelle, peut être tentée. Elle suppose un mode diffèrent d’intervention de l’État : un “État à la demande”. Un nouvel état d’esprit qui favoriserait la différenciation que l’on souhaite voir émerger. Encore une fois, soyons clair ; la solution est moins dans les structures que dans des modes opératoires entre des acteurs aptes à coopérer intelligemment.

Le modèle actuel est dépassé, il est jacobin et demeure d’essence technocratique. Il faut admettre que les agents de l’État n’ont pas vocation à s’occuper de tout et que leur champ d’action doit être adapté. Les agents de l’État sont des relais, des facilitateurs qui au niveau local sont au service des collectivités territoriales  et devraient l’être davantage des intercommunalités. En résumé, désenchevêtrer implique de limiter (le nombre d’entités), de simplifier (les procédures et la gouvernance) et de relier problèmes et solutions (le management coopératif et l’intelligence collective). 

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