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Gaëlle Martinez (Union Solidaires) : “Sans de véritables mesures, on ne réglera jamais la question de l’attractivité”

    À quelques jours de l’ouverture des élections professionnelles dans la fonction publique, Acteurs publics est allé à la rencontre des représentants syndicaux pour prendre le pouls d’un événement qui revêt de nombreux enjeux et pour lequel la participation reste la grande inconnue.   

Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous à l’approche des élections professionnelles de décembre ?
Les élections professionnelles sont forcément un moment important pour les organisations syndicales. Solidaires y apporte une importance particulière puisqu’il s’agit du moment où la parole est donnée à l’ensemble des agents. Et cela va déterminer notre représentativité pour les quatre années à venir. Ces élections se déroulent dans un moment particulier… Après trois ans de pandémie, alors que nous sommes dans un contexte inflationniste tel que nous n’en avons pas connu depuis très longtemps. Ce sont aussi les premières élections après la loi de transformation de la fonction publique et la mise en place des nouvelles instances. Malgré ce contexte particulier, les équipes des différents syndicats qui composent Solidaires FP sont très mobilisées dans la période, comme elles le font au quotidien depuis les dernières élections pour défendre les revendications des personnels et faire avancer le syndicalisme de lutte.

La participation était passée sous la barre des 50 % pour la première fois en 2018. Quelles seraient les conséquences d’une participation encore en baisse ? Ne serait-ce pas un mauvais signal pour le dialogue social ?
Solidaires considère que le vote électronique est une mauvaise chose. Cela crée de nombreuses disparités en fonction de là où travaillent les agents. Ce n’est pas aussi facile de voter selon qu’on travaille sur ordinateur ou pas. Et ce n’est pas le fait de pouvoir voter sur téléphone qui change forcément la donne. Voter aux élections professionnelles, c’est aussi une dynamique collective autour du lieu de travail. Cela dit, ce qui nous inquiète fortement cette année et que nous avons relayé à de multiples reprises tant à la DGAFP qu’au ministre, ce sont les difficultés techniques rencontrées déjà avant le vote. On sait que les prestataires ont voulu parfois imposer leurs conditions, ce qui n’est pas admissible. C’est le cas dans le versant hospitalier, par exemple. Dans les directions départementales interministérielles, les agents ont des difficultés énormes pour obtenir tous les éléments pour activer les portails électeurs.

La participation observée en 2018 ne peut qu’interroger sur l’avenir du dialogue social dans la fonction publique et sur la légitimité des organisations syndicales à porter les revendications du personnel. Preuve en sont les faibles taux de grévistes enregistrés lors des derniers appels à la mobilisation. Les syndicats doivent-ils revoir leurs moyens et méthodes d’action ?
On ne peut analyser la baisse de la participation de 2018 uniquement sous le prisme du “retrait des organisations syndicales”. Si nous devons nous interroger et interroger nos pratiques et nos stratégies, la responsabilité ne peut être d’un seul côté. On sait qu’il y a eu de très grosses difficultés, notamment en début de scrutin, à l’éducation nationale par exemple. Cela n’explique pas tout, mais cela illustre, malgré tout. Le dialogue social, c’est aussi ce que l’administration y apporte. On voit que plus le temps passe, plus cela est verrouillé et plus l’administration tente de limiter la portée des organisations syndicales. Pour nous, c’est bien le sens de la réforme des instances, d’abord dans le privé avec la mise en place des CSE, puis dans le public avec leur pendant, le comité social d’administration/d’établissement/territorial. Et bien entendu, avec la suppression de l’essentiel des compétences des commissions administratives paritaires. En ce qui concerne les dernières journées de grève, de multiples facteurs sont à étudier et à prendre en compte. Ce n’est par ailleurs pas parce que certaines journées ne sont pas massivement suivies que le mécontentement n’existe pas. Penser le contraire serait se cacher derrière des excuses et aller au-devant de grosses difficultés.

Le dialogue social ne s’est pas amélioré, voire a même eu très fortement tendance à se dégrader.


Ne craignez-vous pas une baisse de la participation du fait notamment de la réduction du champ de compétences des commissions administratives paritaires (CAP) ? Votre action au sein de ces commissions était en effet jusqu’à présent l’un des principaux motifs d’adhésion des agents publics à vos organisations syndicales…
On analysera les résultats précisément après les élections et on tentera de voir si cet aspect a marqué ou non les choses. Pour Solidaires, l’action syndicale était forte, effectivement, dans les CAP pour éviter les dérives et permettre une certaine transparence. On voit d’ailleurs déjà de nombreuses dérives, notamment dans le cadre des mutations dans l’intérêt du service. On a aussi vu des agents obligés de saisir les tribunaux administratifs concernant les tableaux d’avancement. En effet, l’action de l’administration manquant de transparence, certains agents qui auraient dû être promus ne l’ont pas été, ce qui aurait pu se voir en CAP ; et ce ne sont que des exemples de l’arbitraire auquel sont confrontés les agents quant au traitement de leur carrière. Cela dit, il serait fort réducteur et simpliste de voir dans les CAP le principal facteur d’adhésion des agents publics aux organisations syndicales. Solidaires, c’est tout sauf du syndicalisme de service, hier comme aujourd’hui.

Quel regard portez-vous sur l’état du dialogue social dans la fonction publique aujourd’hui ?
On ne peut pas nier que, depuis le début du premier quinquennat Macron, le dialogue social ne s’est pas amélioré, voire a même eu très fortement tendance à se dégrader. Vu les conditions matérielles dans lesquelles se déroulent souvent les réunions – avec des documents transmis à la dernière minute – et le manque d’ouverture dans les discussions, les conditions sont souvent précaires. Les projets arrivent bien souvent ficelés sans véritable marge pour les négociations.

Un chantier des carrières et des rémunérations sera lancé en 2023. Qu’en attendez-vous ? Quelles sont revendications à ce propos ?
Solidaires porte de nombreuses revendications sur les carrières et les rémunérations. Il y a beaucoup à faire sur le sujet. Cela dit, Solidaires va entamer ce cycle en demandant une nouvelle fois des mesures salariales générales. Compte tenu de la situation globale inflationniste, de l’absence d’augmentation du point d’indice pendant près de dix ans et de la maigre augmentation de 3,5 % en juillet dernier, la première urgence est là. Les agents ne peuvent plus attendre et, au-delà de tout ce qui sera décidé, il doit y avoir des actes concrets immédiats. Par ailleurs, Solidaires entame également le cycle de manière extrêmement vigilante. Si le cycle s’ouvre en se basant sur le rapport Simonpoli-Pény ou si la plupart de ses préconisations ressortent au cours des discussions, cela nous posera de véritables difficultés et nous aurons des lignes rouges.

La rémunération au mérite, c’est une ligne rouge pour Solidaires.

Le gouvernement souhaite mettre en place des accélérateurs de carrière et développer la rémunération au mérite. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Cela n’est pas une surprise, Solidaires s’est toujours positionné contre ce genre de choses. Pour nous, c’est antinomique avec la notion même de service public. La rémunération au mérite, c’est une ligne rouge pour Solidaires.

Le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, a fait de l’attractivité l’une de ses priorités. Ce renforcement de l’attractivité de la fonction publique passe-t-il nécessairement par la rémunération ? Ou par quoi d’autre ?
Pour Solidaires, il faut arrêter de se cacher derrière de fausses excuses. Oui, l’attractivité passe par de véritables mesures salariales générales, comme l’attribution de points d’indice supplémentaires pour tous. On ne peut se contenter de remercier les agents publics, comme c’est le cas, notamment, depuis le début de la pandémie. Cela passe bien entendu également par l’amélioration des conditions de travail. Dans de trop nombreux secteurs, la santé ou l’éducation notamment, les agent(e)s sont à bout. Si on ne prend pas de véritables mesures, on ne réglera jamais la question de l’attractivité. On ne donnera pas envie aux gens de venir dans la fonction publique.

Quel regard portez-vous sur l’accroissement de la place prise par les contractuels dans la fonction publique ? Faut-il davantage réguler le recours à ces contractuels ?
Pour nous, la contractualisation est à la fois un coup donné au statut de la fonction publique qui, rappelons-le, est là pour protéger les agents publics des pressions diverses et permet l’accès de tous aux services publics sans discrimination. Et c’est également un terrible facteur de précarité. Solidaires dénonce depuis longtemps cette situation et réclame un plan massif de titularisations. L’augmentation du nombre de contractuels possible du fait de la loi de transformation de 2019 est une très mauvaise chose. Donc, très clairement, c’est dans le sens inverse de ce qui se fait actuellement qu’il faut aller.

Quelles sont vos propositions s’agissant de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes dans la fonction publique ?
Pour Solidaires, il y a un véritable enjeu sur l’égalité professionnelle. Il y a urgence, par ailleurs, et nous constatons que le gouvernement, loin de l’affiche qu’il en a faite comme “grande cause du quinquennat”, ne prend pas suffisamment de mesures. Pour Solidaires, il faut s’attaquer aux inégalités salariales, bien entendu, notamment dans le cas des carrières féminisées. Il est indispensable d’avoir des mesures contraignantes. Sans elles, on n’avancera que peu et bien trop lentement. Solidaires souhaite également que bien davantage soit fait, là aussi avec des mesures contraignantes, dans le cadre des violences sexistes et sexuelles au travail.

Quel bilan tirez-vous du recours au télétravail dans la fonction publique, accentué durant la crise sanitaire et développé depuis ? Et quelles pistes voyez-vous pour la suite ?
Pour Solidaires, le télétravail doit rester un choix de l’agent. L’accord qui a été signé, y compris par Solidaires, comprend beaucoup de manques tant en termes de matériel que de prise en charge au niveau de l’indemnité, par exemple. Même si elle a été légèrement revalorisée du fait de la situation actuelle, 2,88 euros [par jour télétravaillé, ndlr], c’est en décalage total avec la réalité. Par ailleurs, le télétravail comporte beaucoup de sujets sur lesquels il faut encore travailler. Les conséquences sont très importantes sur les collectifs de travail.

Propos recueillis par Bastien Scordia

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