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Le ministre, cet hybride entre l’expert et le politique

Le management macronien entendait bousculer le modèle traditionnel du ministre, en faisant davantage de place à la technicité. Mais la fonction obéit à une série de contraintes.

Qu’est-ce qu’un ministre ? Cette question, qui pourrait être posée à des candidats aux épreuves de culture générale de concours, a affleuré tout au long du premier mandat d’Emmanuel Macron. En plaçant la focale de l’efficacité des politiques publiques sur l’exécution, en réduisant la taille des cabinets des ministres de manière à ce qu’ils se « mouillent » davantage et en confiant ses 2 ministères prioritaires à deux cadres ou ex-cadres dirigeants de l’administration publique – Muriel Pénicaud, au Travail, et Jean-Michel Blanquer, à l’Éducation nationale – dotés d’orientations très claires, le chef de l’État a tenté, en 2017, de rebattre les cartes. 

Rarement dans l’histoire récente de la Ve République, le chef de l’État n’avait opéré un tel choix. Certains observateurs ont relevé que le Président avait confié ses deux priorités du premier mandat à des ministres dont le parcours antérieur de cadres dirigeants les prédestinait à un rôle d’experts-exécutants, à même de se fondre dans la verticalité macronienne, qui confine parfois au micromanagement. Loin des aspérités et de l’autonomie parfois jalousement entretenues par certains barons de la politique.

Dans un monde de la décision publique qui se complexifie et alors que les marges de manœuvre de l’État se rétrécissent, ce choix de ministres techniciens montre aussi que le prix du ticket d’entrée de l’expertise ministérielle tend à s’élever. En France, le ministre n’est en général pas un expert du sujet qu’on lui confie. Il doit simplement être outillé afin de comprendre les problématiques et de déterminer l’action à conduire. C’est à l’administration de lui livrer l’expertise et la grille de lecture. La ligne de crête apparaît subtile.

Orientations politiques claires

"Rétrospectivement, je pense avoir mis trop de temps à maîtriser certains aspects ultratechniques de certains process pour être capable de dire d’entrée de jeu : ce point-là ne passera pas politiquement, analyse un ancien ministre du quinquennat. La maîtrise technique d’un dossier reste une condition indispensable à l’appréciation de son acceptabilité politique."

Pour que les rapports avec l’administration soient bons et marqués du sceau de l’efficacité, encore faut-il que les orientations politiques soient claires. Surtout au début d’un quinquennat, une période marquée par l’effervescence démocratique et la testostérone présidentielle. De l’avis général, les feuilles de route ministérielles bâties en 2017 à partir des chapitres du programme de la campagne n’étaient pas toutes claires, indépendamment des embardées et des soubresauts qui émaillent invariablement une mandature.

"Tant que l’on retrouvera dans des ministères des ministres et des cabinets qui connaissent approximativement leur sujet, les relations entre le politique et l’administration ne pourront pas être satisfaisantes, juge Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail, qui estime aussi que le mandat macronien a marqué des progrès sur ce point. Aucune réforme institutionnelle ne permettra de corriger ce péché originel, assez français à ma connaissance : on distribue les postes moins en fonction des compétences acquises dans le passé que des rapports de force politiques du moment. Or on ne peut pas demander à l’administration de compenser un défaut de vision politique. Et on ne peut pas reprocher des actions de contrôle à Matignon s’agissant de ministres et d’équipes qui connaissent mal leurs sujets. Dans la coalition allemande actuelle, vous ne trouverez que des experts de leurs sujets."

Le sujet reste sensible sur le plan politique. En démocratie, le gouvernement des experts n’a pas nécessairement la cote. En 2017, Emmanuel Macron se voit d’ailleurs reprocher le poids de la technocratie dans son gouvernement alors que son équipe comprend par ailleurs nombre de politiques. La diversité du casting ministériel montre combien le rapport à l’expertise et le temps consacré à l’administration peuvent varier. Le ministre connaissait-il son sujet avant sa nomination ? Est-ce sa première expérience gouvernementale ? A-t-il besoin de se faire connaître auprès du grand public ? A-t-il un passé politique ? A-t-il une circonscription à visiter le week-end – visite qui commence dans ce cas-là le jeudi soir ou le vendredi matin si l’on compte le temps de déplacement – et des mains à serrer ? 

Entre management et représentation

Ces questions influent directement sur l’élaboration de son agenda. Car le temps reste l’un des biens les plus précieux du ministre. L’agenda se trouve tiraillé entre le temps du ministre-manager, chef de son administration, et le temps du ministre « de représentation ». Dans ce régime semi-présidentiel de la Ve République qui, au fil des décennies, a cornérisé le Parlement, le temps consacré aux deux assemblées apparaît paradoxalement des plus structurants. Il s’agit d’abord d’assister aux deux séances des questions au gouvernement (QAG), à l’Assemblée nationale et au Sénat. S’y ajoutent les débats parlementaires autour des textes du gouvernement, mais aussi autour de ceux déposés par l’opposition, ainsi que les auditions réalisées dans le cadre des missions d’évaluation ou de contrôle du Parlement. Dans l’agenda, figurent aussi le ou les déplacements sur le terrain. Des incontournables : au moins un ou deux par semaine, en province ou en Île-de-France. Le mercredi, la matinée est « mangée » par le Conseil des ministres. Dans les interstices, prend corps le travail avec le cabinet et les administrations…

En réduisant la taille des cabinets ministériels, Emmanuel Macron voulait une forte implication de ses ministres dans la conception des politiques publiques. Des ministres qui s’occupent de tout, à son image, en somme. Chacun a fait son miel de l’incantation élyséenne. Une contrepartie leur était offerte : changer leurs directeurs d’administration centrale. Le candidat avait laissé entrevoir, au début de sa campagne, un renouvellement important des directeurs d’administration centrale : un changement ou une confirmation dans les deux mois de l’intégralité des postes de direction dans la fonction publique. Au milieu de la campagne, le discours varie : six mois au lieu de deux pour mener les changements nécessaires, et ce au terme d’une procédure transparente, après revue de compétences et entretien. Ce qui laissait entendre que les confirmations feraient l’objet d’une certaine publicité. Il n’en fut rien. 

"Sur proposition de ses ministres", comme le rappelle chaque compte rendu du Conseil des ministres, le Président n’a finalement nommé, durant les premiers six mois de son premier quinquennat, que 49 directeurs, aux profils très classiques, pour un potentiel de 240, contre 69 sous la Présidence Hollande sur la même période, qui survenait, elle, après cinq ans de droite sarkozyste. C’est que les ministres ne sont pas tous demandeurs, loin de là. Certains, attachés à la logique d’une haute fonction publique de carrière, préfèrent des changements au fil de l’eau car ils n’adhèrent pas au message que peut renvoyer la logique du renouvellement général, assez connoté politiquement. Certains ministres résistent aux injonctions au changement émanant de Matignon, comme Nicolas Hulot, qui n’en voit pas l’intérêt. Même parmi les ministères prioritaires confiés à des techniciens, Muriel Pénicaud a embarqué les directeurs en place dans la logique du commando.

Un bon élève à l’Éducation nationale ?

"En ayant annoncé un spoils system qu’il n’a finalement pas mis en place de manière lisible et claire, le Président a déstabilisé une partie des directeurs, sauf quelques « happy few » proches du pouvoir, mis au courant de leur reconduction, juge un haut fonctionnaire. Les autres n’étaient pas au courant et leurs écosystèmes encore moins. À la clé, inefficacité et réflexes technocratiques." "J’aurais tendance à penser qu’il s’agit d’un faux sujet, estime pour sa part Antoine Foucher. Le flottement est moins venu des déclarations de campagne que du fait que les ministres et leurs cabinets ne sont pas tous de bons managers. Quand vos directeurs sont insécurisés, c’est parce qu’ils ne savent pas ce que vous pensez d’eux, soit parce que vous ne le savez pas vous-même, soit parce que cette insécurité entretenue est votre mode de management…"

À l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer a, lui, incarné tout de suite le bon élève qui suit à la lettre le modèle esquissé par le Président. L’ancien numéro deux du ministère sous la Présidence Sarkozy – il a été directeur général de l’enseignement scolaire de décembre 2009 à novembre 2012 – débarque dans un ministère miné par des mauvaises relations au sein du top management. 
Doté d’un puissant réseau, il coupe toutes les têtes. La nouvelle équipe fait la part belle aux juristes du Conseil d’État et à des têtes connues sur le plan interministériel. Objectif : gagner en crédibilité et rassurer l’Élysée comme Matignon quant à la capacité à mettre en œuvre rapidement le programme, le dédoublement des classes de CP dès la rentrée scolaire et la mise en branle de la réforme du baccalauréat, notamment. 

Le ministre, un non-élu qui n’a donc pas à quitter la rue de Grenelle le jeudi soir pour faire de la politique, participe à la plupart des réunions quotidiennes du cabinet animé par son dircab’ et reçoit individuellement les 3 principaux directeurs de son ministère une fois par semaine le matin à 7 heures dans son bureau. Chacun son jour. La bride ne peut pas être plus serrée. Qu’en restera-t-il ? Les historiens et les sociologues feront leur office. Mais le modèle apparaît déjà ultraminoritaire et restera peut-être une parenthèse. Le ministre a tenu 5 ans mais a été contraint à une sortie sans gloire. Il n’a pas été reconduit au gouvernement et a essuyé un cuisant échec aux élections législatives. 

En augmentant le nombre de collaborateurs par cabinet, en nommant progressivement une kyrielle de sous-ministres dotés d’attributions précises susceptibles de segmenter les politiques publiques par petits bouts, Emmanuel Macron a, lui, assurément pris de la distance avec le modèle qu’il avait initialement mis en place.  

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