Une expérience numérique en dents de scie
Il reste dans les faits des points de frictions importants. Même si le numérique revêt ce rôle salvateur en faveur d’une simplicité des démarches administratives, 66 % des Français estiment que les services publics numériques sont trop complexes (Observatoire de la qualité des démarches en ligne, janvier 2021).
La procédure de remplacement de la carte d’identité m’a récemment permis de constater ces frictions dans le cadre d’une démarche qui se veut numérisée. Après avoir rempli un formulaire en ligne, j’ai dû l'imprimer, me déplacer avec ma photo pour que ce document soit finalement scanné, etc. Là où une expérience numérisée à 100% est largement possible, la réalité impose toujours un va et vient incessant entre papier et environnement numérique. Au-delà des outils, il reste un sujet de mise en application, qui demande une véritable transformation culturelle des institutions.
Vers une expérience sans couture, qu’elle soit en ligne ou hors ligne
À parcours différent, qualité de l’expérience égale ? Aujourd’hui, la multiplication des applications et des canaux (en ligne et hors ligne) dédiés à un seul processus est une limite forte à la qualité de l’expérience et demande un effort d'uniformisation. Cela étant dit, la réalité de la fracture numérique (économique, sociale, générationnelle et territoriale) impose de relever le défi de l’omnicanalité, pour permettre à la fois une plus grande inclusion et accessibilité des services, mais aussi aux usagers, largement portés par le numérique, de se satisfaire de démarches en ligne et de bénéficier d’une expérience plus personnalisée.
Un défi qui pénètre progressivement le secteur public puisque selon une enquête réalisée par Markess by exaegis, 43 % des décideurs souhaitent tendre vers une gestion cross-canal des interactions, en implémentant une continuité d’un canal à l’autre, et suivre ainsi le parcours d’un usager dans sa globalité.
Aujourd’hui, l’enjeu pour l'État français est celui de la généralisation et de la centralisation. Le développement de FranceConnect et l’ouverture de son code en Open Source laissent imaginer le développement d’une véritable identité numérique centralisée, permettant aux usagers d’être reconnus et identifiés quel que soit le canal de l’administration publique avec lequel ils préfèrent interagir. Les questions d’interopérabilité, en particulier au niveau européen, sont également d’actualité. Un portefeuille numérique européen d’identité devra permettre d'effectuer des démarches de santé, de voyage, ou même faciliter l’expatriation.
En outre, la question de la cybersécurité, dans une démarche de transformation, est brûlante. L’adoption d’une approche « plateforme », qui centralise l’ensemble des données issues des quatre coins d’une organisation apporte une réponse technologique. En outre, la plateforme technologique doit être à la fois complètement ouverte sur les écosystèmes existants et s’appuyer sur une infrastructure évolutive renforcée, pour répondre aux exigences de la CNIL ou du RGPD. La gouvernance des données est sur toutes les lèvres, avec une ambition forte de respecter la confidentialité des usagers, au risque d’ébranler une confiance fortement favorable à l’égard des services publics.
La personnalisation, un mythe pour le service public ?
Et si l’usager qui plébiscite le courrier et les lieux de contact physique pouvait bénéficier d’une expérience aussi personnalisée que celle de l’usager 100% porté sur le numérique ? Et si les agents publics avaient aussi facilement accès aux données de cet usager qu’à celles de l’usager en ligne pour anticiper ses besoins, et rentabiliser son déplacement ? Alors que la disponibilité (rapide) des informations (à jour) est une préoccupation majeure pour les décideurs du secteur public, ces derniers sont de plus en plus sensibles à la pertinence et à la contextualité des informations poussées aux usagers, de sorte qu’elles correspondent à leurs besoins et centres d’intérêts. Dans un monde idéal, la personnalisation des parcours serait un objectif stratégique pour le secteur public.
Si les pistes sont nombreuses - et parfois bien engagées - un certain nombre d’actions doivent être mises en place pour franchir un cap.
- La première contrainte est liée à la régulation et il est important de faire évoluer le cadre législatif autour d’une volonté politique forte.
- Le second levier est organisationnel. Les administrations doivent faire évoluer leurs pratiques et revoir leur socle de compétences fondamentales au profit du numérique.
- Les dernier point est technologique et porte sur une utilisation à bon escient des données, à l’image de ce que l’on peut connaître dans le privé.
L’administration a tout pour réussir
L’administration n’a pas à rougir des progrès déjà réalisés. Le stationnement est aujourd’hui largement payable via des applications (tout comme les amendes qui vont avec !) La numérisation des titres de transport ou le télépéage font doucement entrer l’expérience numérique dans les usages quotidien des Français. Du côté du Gouvernement, le programme Services publics + compte bien accélérer l’amélioration de la qualité des services publics et garantir la confiance entre l’administration et les administrés. Une initiative qui porte ses fruits, puisque 76 % des Français se déclarent satisfaits des services publics (Baromètre Delouvrier, 2017 et 2020) – un chiffre en constante progression depuis 2017.
Ces développements sont d’autant plus souhaitables que l’administration publique se trouve dans une situation absolument favorable. Elle dispose de données de service public qui rendraient jalouse n’importe quelle entreprise du secteur privé. Avec l’arrivée imminente d’un monde libéré des cookies tiers, les données propriétaires représentent un atout indéniable pour la mise en place d’une Citizen Data Platform efficace.
Les développements estoniens, en particulier autour de l’identité numérique et du vote électronique (qui représente aujourd’hui près de la moitié des bulletins) démontrent déjà la validité de la démarche
. Si la rapidité des services publics arrive en tête des attentes des usagers, la personnalisation gagne elle aussi du terrain (25 % des usagers attendent un suivi plus personnalisé de leurs demandes, baromètre Delouvrier, 2020) et n’est que le reflet de l’évolution de la qualité de l’expérience entre les consommateurs et les marques.
Reste aujourd’hui à éliminer les derniers points de frictions et les habitudes bureaucratiques les moins utiles. (C’est à toi que je m’adresse, formulaire papier à scanner.)
Christophe Marée : Directeur marketing Europe de l'Ouest et du Sud d'Adobe
cmaree@adobe.com