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Philippe Laurent : “En finir avec l’hypocrisie décentralisatrice”

Dans un ouvrage paru ce jeudi 2 septembre et intitulé Maires de toutes les batailles, en finir avec l’hypocrisie décentralisatrice, le maire UDI de Sceaux et secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF), Philippe Laurent, revient sur “l’euthanasie progressive des maires” au cours des dernières décennies. Celui qui est par ailleurs candidat à la présidence de l’association y considère que la “régénération démocratique” passera par le fait communal. Extrait.

La crise sanitaire nous en a apporté, dans un contexte malheureusement dramatique, une nouvelle preuve : les défaillances d’un État centralisateur et obèse n’ont pu être compensées que par l’agilité des collectivités locales et l’“intelligence du terrain”, incarnées au premier échelon par les maires.

Cette réhabilitation bienvenue claque comme une urgence face à une décentralisation qui, au cours des quarante dernières années, aura souvent été de façade – hormis une sorte d’âge d’or dans les années 1980-1990 –, conduisant même à une sorte d’euthanasie des maires, premières victimes du bonneteau institutionnel auquel n’ont cessé de se prêter les gouvernements et assemblées parlementaires successifs, parfois pour de bien mauvaises raisons.

Malgré la montée d’une culture décentralisatrice, depuis le rapport Guichard et les lois de 1982-1983-1984 notamment, l’administration centrale s’est ainsi toujours montrée incapable de traiter d’égal à égal avec des élus locaux considérés au mieux comme des sous-traitants de l’action publique, au pire comme d’indignes clientélistes, et condamnés à passer sous les fourches caudines d’une gestion mortifère des comptes publics.

Alors que le pouvoir des édiles municipaux s’est réduit, la pression financière et bureaucratique qu’ils subissent est de plus en plus forte, jusqu’à en devenir insupportable.

Alors que les édiles municipaux interviennent à la plus juste échelle – celle du lieu de vie et de la cellule démocratique de base –, qu’ils sont dotés de ce qui manque le plus cruellement aujourd’hui à l’action publique – un haut degré de confiance et, qui en découle, une relative longévité –, ils sont au contraire les grands perdants de plusieurs décennies de réorganisation des pouvoirs.

Une partie de leurs compétences ont ainsi été transférées à des intercommunalités qui n’ont pas toujours la même vertu gestionnaire ni le contact avec les usagers ; leur autonomie fiscale leur a progressivement été retirée, enclenchant une dangereuse dynamique de déresponsabilisation ; leurs ressources sont mises sous tension à l’heure où la demande de service public de proximité n’a jamais été aussi affirmée. Résultat, alors que leur pouvoir s’est réduit, la pression financière et bureaucratique qu’ils subissent est de plus en plus forte, jusqu’à en devenir insupportable.

Qu’on ne s’y trompe pas, cette crise n’est pas uniquement celle d’une démocratie locale affaiblie. L’inadaptation de notre système institutionnel gangrène en réalité tout notre édifice républicain, rend inefficace l’action publique dans son ensemble et alimente la défiance de nos concitoyens en attente légitime de résultats qui ne viennent pas.

À ce jeu trouble de l’hypocrisie décentralisatrice, tout le monde se retrouve donc perdant. Les maires, bien sûr, qui, malgré la réactivité de leurs administrations et la proximité avec leurs administrés, voient leurs capacités d’action se réduire. Mais aussi et surtout, paradoxe ultime, le président de la République lui-même qui, par cette centralisation, cette verticalité persistante du pouvoir, se retrouve englué dans la gestion d’affaires de second ordre et, ce faisant, exposé à tous les vents de mécontentement. L’exécutif national, à travers cette parodie décentralisatrice, pensait préserver son pouvoir. Il a en réalité créé les conditions de son impuissance. Le passage du septennat au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral qui en a découlé ont porté le coup de grâce. 

Entre concentration du pouvoir central et assèchement du pouvoir local, c’est ainsi tout l’édifice qui se trouve aujourd’hui “empêché”, de la base au sommet. Jusqu’où, jusqu’à quand ? Et si le maire, que certains ont un peu trop vite rangé au rayon d’un folklore républicain désuet, était celui par lequel la régénération démocratique devait passer en priorité ? Une République bottom up – comme dirait la start-up nation –, la revanche du micro sur le macro, du cousu main sur l’uniforme, de la modularité territoriale sur le plaquage national. Donner le pouvoir à ceux qui sont encore investis d’une certaine confiance avant qu’ils n’en soient eux aussi dépossédés. Avant qu’il ne soit trop tard ?

* Maires de toutes les batailles, en finir avec l’hypocrise décentralisatrice, éditions de l’Aube, 144 pages, 15 euros. 

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