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Quelle réforme des règles budgétaires européennes ?

Suspendu jusqu’à fin 2022, le Pacte de stabilité et de croissance va devoir se transformer. Les discussions des prochains mois sur la gouvernance des budgets nationaux opposeront les partisans de la rigueur budgétaire et ceux dont les déficits ont explosé avec le Covid-19.

Top départ d’une des négociations les plus attendues à Bruxelles, avec le lancement, le 19 octobre dernier, de la consultation publique sur la réforme du pacte de stabilité, annoncée par le commissaire européen à l’Économie, Paolo Gentiloni. Ce débat sur l’évolution des règles fiscales de l’Europe devait être enclenché début 2020 et a été reporté à la suite de la pandémie de Covid-19. Le pacte de stabilité a été suspendu jusqu’à la fin de l’année 2022 pour permettre aux États de soutenir leur économie et la croissance à travers, entre autres, le gigantesque plan de relance de l’Union européenne (UE), Next Generation EU et ses 750 milliards d’euros.

Tous les pays sont d’accord : l’ère post-Covid va permettre d’introduire une dose de flexibilité pour autoriser des investissements d’avenir. Mais quelle dose de flexibilité ?  C’est toute la question que se posent observateurs et diplomates.

Adopté en 1997 à la suite du traité de Maastricht, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été mis en place par les pays de la zone euro pour coordonner leurs politiques budgétaires nationales et éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs. Il est connu pour ses 2 critères principaux : celui des déficits publics, qui ne doit pas dépasser 3 % du produit intérieur brut (PIB), sauf circonstances exceptionnelles, alors que la seconde règle fixe la dette publique à 60 % du PIB pour chaque État.

Affluence de propositions

Au fil du temps, et malgré les injonctions de l’UE et de la Banque centrale européenne, les règles n’ont été respectées chaque année que par les 3 pays baltes. Les pays défaillants ont-ils été sanctionnés pour leur violation des règles communes ? Jamais. La France n’a pas respecté une fois intégralement le Pacte. En 2016, la Commission avait envisagé de sanctionner le Portugal et l’Espagne pour leurs dérapages budgétaires, avant d’y renoncer pour des raisons économiques de soutien à leur reprise et pour des raisons politiques. Bref, la procédure concernant les déséquilibres excessifs n’a pas été enclenchée. 

Les débats s’annoncent animés. Un premier rendez-vous aura lieu au printemps 2022 lorsque seront présentées les recommandations budgétaires de Bruxelles aux États membres. D’ores et déjà, de nombreuses propositions de réformes des règles budgétaires ont été faites par les économistes ou des think tanks. Une chose est certaine : l’hétérogénéité des pays européens rend inadéquate l’imposition d’une règle unique, même simplifiée, pour inclure toutes les dépenses publiques. Il est également certain qu’il n’y aura pas de pacte de stabilité « à la carte », personnalisé pour chaque État membre. Autre élément acté : le texte adopté n’entraînera pas de modification du traité de l’Union européenne, mais devrait être proposé sous forme de lignes directrices interprétant le pacte.
Quant à la forme que pourrait prendre ce nouveau texte… « Il est trop tôt pour spéculer de manière catégorique car il existe de nombreuses options sur la table et le résultat des négociations en cours sur les coalitions sera un facteur important », indique Frederico Mollet, analyste en politiques économiques et industrielles à l’European Policy Center, à Bruxelles, résumant l’opinion des spécialistes interrogés.

Frugaux du Nord

L’Europe est en effet aujourd’hui suspendue à la formation de la prochaine coalition allemande et au casting du futur ministre allemand des Finances ainsi que du prochain gouvernement néerlandais. Deux poids lourds dans les futures négociations. L’ex-Premier ministre démissionnaire, Mark Rutte, qui pourrait rempiler à son poste, constitue un maillon essentiel du camp des « frugaux ». Cet ensemble de pays, principalement situés dans le Nord de l’Europe, sont favorables à une application stricte des règles et à une réduction rapide des déficits publics. « Début septembre, les ministres des Finances de 8 pays (Pays-Bas, Autriche, République tchèque, Danemark, Finlande, Lettonie, Slovaquie et Suède) ont signé une lettre demandant qu’aucune réforme fiscale ne mette en danger l’équilibre fiscal européen et ne diminue les cibles de réduction de dette », explique Zsolt Darvas, membre du think tank économique Bruegel, à Bruxelles. Dans cette lettre envoyée à leurs homologues européens, « ils ont indiqué qu’ils étaient ouverts à des améliorations mais ne considéraient pas que des réformes importantes étaient nécessaires, au-delà de la transparence et de la simplification des règles », ajoute Michele Wang, professeur au Collège de l’Europe, qui a écrit un rapport pour le Parlement européen sur les politiques fiscales européennes dans la période post-pandémique.  

S’ils se disent prêts à certaines évolutions, les pays frugaux veulent éviter que les pays du Sud, qu’ils jugent plus dépensiers, ne procèdent pas à un assainissement de leurs finances publiques du fait de nouvelles règles trop souples. Les Pays-Bas ont arrêté quasiment toutes les mesures de soutien à l’économie depuis le 1er octobre dernier et le gouvernement prévoit un taux de chômage de 3,4 % en fin d’année, ce qui ferait baisser le déficit public de 6 % cette année à 2,4 % l’an prochain. Idem pour l’Allemagne et la Suède. Plus touchées par la pandémie, l’Italie, l’Espagne ou la Grèce sont entrées dans la crise avec des niveaux d’endettement élevés qui ont encore augmenté : 135 % pour l’Italie, 120 % pour l’Espagne et 180 % pour la Grèce.

Dépenses d’infrastructure

Ce niveau d’endettement « rend inconcevable le respect de la règle de réduction de la dette publique, telle qu’écrite dans le Pacte de stabilité et de croissance, qui impose de réduire chaque année (sur une moyenne de trois ans) le taux d’endettement de 1/20e de l’écart par rapport à l’objectif de 60 % », souligne Frederico Mollet. Une exigence jugée intenable pour certains États membres, comme la France, qui ont qualifié les règles actuelles d’obsolètes. L’Europe doit engager de vastes dépenses d’infrastructure pour assurer sa transition énergétique et sa numérisation et un certain nombre de pays ont formulé plusieurs demandes.

Tout d’abord une approche individualisée qui prenne en compte les spécificités nationales. « La meilleure option serait de concevoir des objectifs d’endettement par pays, qui devraient tenir compte des évolutions économiques attendues, et d’utiliser une règle dite de dépenses (exigence de taux de croissance des dépenses publiques) pour atteindre l’objectif d’endettement, commente Zsolt Darvas. Malheureusement, je donne une très faible probabilité qu’une réforme aussi complète puisse être réalisée. » 

Le plus vraisemblable, prédisent nombre d’observateurs, serait que la Commission européenne et les États membres décident de ne pas signer d’accord et élargissent les mesures de flexibilité qui sont rendues possibles dans les textes du Pacte de stabilité et de croissance. Tout le jeu des négociations des prochains mois consistant à définir et à négocier ce que les États entendent par « souplesse ».

Plusieurs pays (dont la France), ont réclamé un traitement à part pour les investissements d’avenir. Paris a demandé que l’énergie nucléaire soit incluse dans une liste d’investissements durables, une demande soutenue par la Pologne et la République tchèque. Certains économistes proposent quant à eux d’exempter les investissements publics des définitions de la nouvelle dette, d’autres pour les investissements procroissance, d’autres enfin pour les investissements verts. « Quand le plan de relance européen expirera, en 2026, les pays pourraient introduire une nouvelle règle d’or qui exclurait les investissements publics verts du calcul du déficit et de la dette », suggère ainsi Zsolt Darvas, l’un des auteurs de la proposition « Pour un Pacte fiscal vert ».  

Éléments de compromis à trouver

Comment les États frugaux pourraient-ils réagir ? Difficile de le prévoir, alors que plusieurs échéances électorales ont lieu en 2022, dont l’élection présidentielle en France. « Tout le monde reconnaît que nous avons traversé un épisode extraordinaire avec le Covid-19 et que nous avons besoin d’investissements publics substantiels pour des programmes comme ceux de la transition verte », indique Frederico Mollet. Mais peu d’observateurs prédisent des réformes majeures dans l’environnement actuel. 

S’il est difficile de lire dans les jeux et stratégies complexes des dirigeants européens, « l’expérience du plan de relance témoigne que les pays dits frugaux peuvent faire des concessions et que leurs lignes peuvent bouger à condition d’obtenir des contreparties, note David Cayla, professeur d’économie à l’université d’Angers. Dans le cas du plan de relance, les contreparties ont été un droit de regard sur l’usage des fonds européens. On peut donc imaginer que l’assouplissement des règles du Pacte de stabilité se fasse en échange d’une surveillance renforcée des politiques budgétaires des États membres. Cela pourrait néanmoins poser des conflits de légitimité et des problèmes démocratiques. » Frederico Mollet imagine, lui, une grande flexibilité d’interprétation, comme le fait de s’appuyer uniquement sur une règle de dépenses pour changer la façon dont les écarts de production sont calculés.

Des éléments de compromis pourraient être acceptables pour une majorité de gouvernements. « Je pense que les nouvelles règles à appliquer devraient, au minimum, remplacer les règles actuelles sur la rapidité de la réduction de la dette », estime Michele Wang. « Et pourquoi pas une réforme qui abandonnerait la référence au déficit structurel et évoquerait le déficit moyen sur deux ou trois ans ? » propose David Cayla. Le débat sera aussi technique que politique. 
 

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