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Santé : des agences “régionales” poussées à la départementalisation

Instaurée en 2015, la réforme administrative portant le nombre de régions de 22 à 13 est entrée en vigueur dès l’année suivante et a eu de nombreuses conséquences sur les agences régionales de santé, les amenant notamment à renforcer leurs délégations départementales.

Ensembles immenses, éloignement des acteurs… Nombres d’agences régionales de santé ont dû se réorganiser après la création des grandes régions pour tenter de compenser leur éloignement de certains territoires. Première conséquence évidente : un éloignement de fait entre les sièges des ARS et les services et acteurs locaux, comme le pointent Marc Bourquin, conseiller “stratégie” à la Fédération hospitalière de France (FHF), et Vincent Ollivier, responsable adjoint du pôle “Offres” de la FHF : “Cela a incontestablement entraîné une distance, ne serait-ce que géographique, accentuant dans certains territoires un sentiment préexistant d’ARS difficilement accessibles.”

Pour David Guillet, président de la Fédération nationale des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS), “la constitution des grandes régions a perturbé l’ensemble des acteurs de terrain en raison des refontes engendrées au niveau des organisations professionnelles”. Outre une perte de fluidité dans les relations, les professionnels de santé déplorent également le manque de prise en compte des spécificités des territoires : “Alors que nous avions une connaissance très fine de nos départements, nous nous sommes retrouvés avec un territoire très vaste où les problématiques d’accès aux soins et de santé publique et les exercices professionnels sont extrêmement différents”, regrette Jean-François Bouscarain, président de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) Infirmiers Occitanie.

Baisse des moyens humains

Une réalité que les ARS des régions concernées ne nient pas : “les débuts ont pu être difficiles dans certains départements où les acteurs avaient l’habitude de travailler avec le siège, se souvient Benoît Elleboode, directeur général de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine. Ils ont dû changer d’interlocuteur et certains peuvent le ressentir comme une injustice par rapport aux régions plus petites, qui ont plus facilement accès aux décideurs”.

De fait, le pilotage des ARS ne peut qu’être compliqué puisqu’il couvre “un grand nombre d’organisations et de problématiques différentes”, rappelle Henri Bergeron, directeur de recherche au CNRS sur les politiques de santé et les transformations des pratiques et de la profession médicale. Les ARS, initialement pensées pour de plus petites régions, ont dû elles-mêmes s’adapter : “Elles ont subi une pression à la baisse considérable de leurs moyens humains, en effectifs comme en renouvellement des expertises”, soulignent Marc Bourquin et Vincent Ollivier. “Un certain nombre de sujets demande un fort niveau d’expertise que nous ne pouvons pas avoir dans toutes les délégations départementales, corrobore Benoît Elleboode. Mais il est vrai qu’auparavant il pouvait y avoir un expert dans chaque siège (Bordeaux, Limoges, Poitiers) là où c’est désormais concentré à Bordeaux”, ce qui peut exacerber le sentiment d’éloignement.

Mutualisation des moyens, mais autonomie limitée

Paradoxalement, le nombre d’interlocuteurs a été démultiplié, comme l’explique Cécile Courrèges, directrice générale de l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui compte désormais 12 départements voire 13, la métropole lyonnaise ayant un statut particulier : “Toutes nos politiques notamment médico-sociales partagées avec les départements s’en sont trouvées démultipliées. Nous ne pouvons pas être dans la logique d’une politique régionale déclinée dans les départements et nous travaillons plutôt sur des politiques départementales que nous essayons de mettre dans une certaine cohérence régionale.”

Des acteurs plus nombreux et des moyens mutualisés : une bonne chose, selon le docteur Claude Bronner, président de l’UPRS Médecins libéraux Grand Est, pour qui “la fusion des régions a permis aux territoires les mieux lotis, d’un point de vue économique comme démographique, d’appréhender et de partager les problématiques de territoires plus en difficulté. Cependant, l’administration régionale reste pléthorique avec un système très pyramidal, où la plupart des décisions sont prises à l’échelle nationale. Nous nous retrouvons ainsi avec des acteurs de bonne volonté, mais avec peu d’autonomie”.

Pourtant, affirme Pierre Pribile, ancien secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, “on ne norme pas depuis Paris la façon dont une ARS est organisée et le choix est laissé aux agences de s’organiser comme elles estiment devoir l’être. S’organiser différemment en fonction du territoire, c’est l’agilité que leur confère leur statut”.

Cette liberté d’organisation sur son territoire, l’ARS de Nouvelle-Aquitaine a choisi de l’appliquer en déclinant le modèle aquitain sur les régions poitevine et limousine : “Plus petites, elles avaient des sièges plus forts et des délégations départementales un peu moins fournies en termes de compétences, explique Benoît Elleboode. Nous avons choisi de donner plus de responsabilités aux directeurs de délégations départementales et de renforcer les ressources humaines. Qu’ils soient des passe-plats n’a aucun intérêt.” De fait, les délégations concentrent aujourd’hui plus de 50 % des effectifs de l’ARS, tout comme dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a également fait le choix d’une forte déconcentration au niveau local.

Renforcer le rôle des délégations territoriales est une suite logique du processus de transformation des ARS, selon Pierre Pribile : outre la réforme de 2016, “la crise du Covid a montré que l’ARS n’est pas seulement un régulateur régional, mais aussi un acteur qui doit être capable d’adapter la focale de son action, pas simplement au niveau départemental, mais aussi infradépartemental”. Pour l’ancien secrétaire général des ministères sociaux, ces deux dimensions font évoluer le modèle des ARS tel qu’il a été conçu en 2010 et “amène à renforcer le rôle des délégations départementales”. Une évolution, précise-t-il qui conduit, “y compris sur le plan statutaire”, à intégrer les directeurs des délégations départementales aux comités exécutifs des ARS, au même titre que les directeurs métiers régionaux.

S’appuyer sur les réseaux territoriaux existants

Pour David Guillet, cette nouvelle organisation a été une forme d’accélérateur et de remise en lumière des relations à l’échelle départementale, “alors même qu’à l’origine, l’objectif de la régionalisation était de faire disparaître les départements”. La réforme des régions ayant profondément perturbé les dynamiques locales, “tout le monde a pensé que finalement, la bonne échelle opérationnelle était le département, là où la région demeure l’échelle institutionnelle”. Les conseils départementaux sont même “réapparus dans le champ de ­l’organisation en santé”. Par ricochet, l’agrandissement des régions a donc renforcé l’échelle départementale.

Un mouvement de retour vers l’échelle départementale qui concerne surtout le volet sanitaire car, en matière médico-sociale, la fusion des régions n’a pas eu grand impact. “La réelle évolution dans la mise en œuvre des politiques médico-sociales en France, c’est la création de la branche « Autonomie » de la Sécurité sociale”, explique Aude Muscatelli, directrice adjointe de la CNSA, pour qui les conseils départementaux, les ARS et leurs directions départementales ont toujours été des interlocuteurs du quotidien. La FHF s’interroge d’ailleurs sur le point de savoir si, en matière médico-sociale, d’autres échelons territoriaux tels que les communautés d’agglomération ou les intercommunalités ne pourraient pas être envisagés… Tandis, qu’à l’inverse, certains sujets sont plutôt régionaux par essence. Pour Jean-François Bouscarain, c’est le cas de chantiers “comme la mise en place du service d’accès aux soins, qui nécessite à mes yeux un pilotage régional pour être efficace”.

Finalement, la pertinence du maillage territorial dépend des acteurs, de leurs missions et de leurs relations : “un point essentiel de la politique de soins reste la question de la coopération et de la coordination entre les acteurs”, rappelle en effet Henri Bergeron. Et sur cette question, s’appuyer sur les différents dispositifs déjà existants pour agir semble faire l’unanimité. Là où l’échelon régional serait plutôt un lieu de cadrage et d’intégration stratégique et le département, une maille évidente d’action, pour Cécile Courrèges, “aujourd’hui, l’enjeu est davantage de travailler au niveau infradépartemental pour faire émerger des projets de santé et organiser une offre de santé qui ait du sens pour le patient”, notamment via les contrats locaux de santé et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). La FHF, elle, pousse une logique hospitalière en mettant en avant les groupements hospitaliers de territoire (GHT), qui sont, selon elle, “la maille la plus pertinente dans le champ sanitaire”.

Si la mise en place des grandes régions a entraîné de fait un renforcement des délégations départementales des ARS, le mouvement continue de se décliner diversement selon les territoires et les forces en présence.

Camille Grelle avec Laure Martin, Alexandre Terrini, Géraldine Bouton et Magali Clausener

TÉMOIGNAGE
“Nous sommes pénalisés en raison de notre faible densité de population et de notre éloignement géographique”
Marie-Hélène Roquette,
conseillère départementale du Cantal, déléguée départementale en charge de la santé

“La réalité des grandes régions, c’est qu’un tout petit département rural et montagnard comme le nôtre est beaucoup moins considéré. Nous sommes pénalisés tant en raison de notre faible densité de population que de notre éloignement géographique. Par exemple, les tournées de nos services de soins infirmiers à domicile sont bien plus complexes et lourdes financièrement mais cela n’est pas pris en compte. Quand nous étions encore en Auvergne, la lecture géographique était plus compréhensible.
Aujourd’hui, nous sommes noyés dans la masse face à des départements beaucoup plus importants comme le Rhône ou l’Isère. Nous n’arrivons pas à sortir la tête de l’eau et c’est assez terrifiant sur le terrain. Nous avons des forces humaines disponibles réduites alors même que nous menons un combat de chaque instant. Tout le monde s’essouffle. Il faut se reconnecter à la réalité. Par exemple, alors même que nous subissons une perte phénoménale de praticiens sur le territoire, on leur demande de se dégager du temps pour développer des CPTS [communautés professionnelles territoriales de santé ndlr]. Sur le principe, nous sommes tout à fait pour la coordination des professionnels de santé, mais le fait est qu’ils sont déjà noyés ! Et c’est d’autant plus aberrant qu’il existe déjà un dispositif d’appui à la coordination, qui fonctionne très bien mais aurait besoin de 2 postes supplémentaires que l’on me refuse. Ce grand écart est insupportable et il engendre une colère sourde.”

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Club des acteurs publics

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