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Sondage exclusif : la décarbonation de l’action publique s’impose parmi les priorités des Français

55 % des Français estiment que les pouvoirs publics n’en font pas assez pour réduire leur empreinte carbone. L’utilisation des véhicules des agents publics, les transports et l’immobilier publics sont désignés comme les principaux leviers à activer.

Les mobilités sont le domaine le plus cité comme terrain de réduction par l’État de ses émissions de gaz à effet de serre.

Alors qu’Emmanuel Macron a récemment affirmé que la France devait doubler son “taux d’effort” pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 en matière de réduction d’émissions carbone, l’Ifop a interrogé les Français sur leur perception de la politique de décarbonation de l’action publique [lire les 2 tribunes d’Hervé de La Chapelle, associé EY Consulting, leader “Secteur public” Europe West France, et d’Alexis Gazzo, associé EY Climate change & sustainability leader, France].

Un cinquième d’entre eux (21 %) classe la décarbonation de l’action publique, afin d’accélérer la transition écologique, parmi les 3 actions prioritaires pour l’action de l’État à leurs yeux (6 % la classent même en tête de ces priorités). Un résultat non négligeable, qui place tout de même la décarbonation de l’action publique en sixième position, derrière, notamment, l’accès au système de santé (53 %), la sécurité des citoyens (45 %) ou l’amélioration du système éducatif (42 %).

La décarbonation de l’action publique n’en est pas moins la priorité la plus citée en premier par les moins de 25 ans (22 %), qui sont également 2 sur 5 (42 %) à la placer parmi leurs trois priorités pour l’action publique.

Les jeunes plus sévères que les seniors

En dépit des intentions affichées par le gouvernement, seul un tiers des Français (32 %) estime que les pouvoirs publics se sont engagés dans une réduction de leur empreinte carbone, contre 55 % qui ne le pensent pas (dont 16 % “pas du tout”) et 12 % ne formulant pas d’opinion. Les moins sévères à ce sujet sont les seniors, cependant la moitié des 65 ans et plus (48 %) juge tout de même que les pouvoirs publics ne se sont pas véritablement engagés dans une réduction de leur empreinte carbone.

Les mobilités constituent le domaine le plus cité comme terrain prioritaire de réduction par l’État de ses émissions de gaz à effet de serre, qu’il s’agisse de l’utilisation des véhicules des agents publics (57 %) ou des transports publics (44 %).

Exemplarité de l’État

L’immobilier public est également cité parmi les deux domaines prioritaires par une petite moitié des Français (43 %), tandis que le numérique (19 %) et l’alimentation au sein de la fonction publique (15 %) sont mentionnés dans une bien moindre mesure.

Trois actions se dégagent dans la perception des Français parmi les pistes considérées comme innovantes pour une action publique décarbonée : la transparence et l’exemplarité de l’État et des élus au quotidien en matière de sobriété énergétique et de réduction de leur empreinte carbone (48 %) ; la sobriété énergétique des bâtiments publics (44 %) ; et l’atteinte de l’autonomie par la consommation de sa propre énergie (40 %).

Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop

L’enquête Acteurs publics/EY pour l’Observatoire des politiques publiques réalisée par l’Ifop a été menée par questionnaire auto-administré en ligne les 26 et 27 janvier 2023 auprès d’un échantillon de 1 018 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de famille) après stratification par région et catégorie d’agglomération.

ANALYSES

Comment accélérer la décarbonation de l’action publique ?

Par Hervé de La Chapelle, associé EY Consulting, leader “Secteur public” Europe West, France, et Alexis Gazzo, associé EY Climate Change & Sustainability leader, France

Dans son dernier rapport, le Haut Conseil pour le climat déplore qu’“en l’état, la France n’est pas prête à faire face aux évolutions climatiques à venir […], les territoires disposent de ressources, moyens et compétences inégaux, qui appellent un accompagnement de l’État, pour répondre aux enjeux de transition juste”.

Cette transition nécessite de trouver un équilibre entre un apparent triangle d’incompatibilités : comment concilier soutenabilité environnementale, acceptabilité sociale et viabilité économique ?

Pour être soutenable environnementalement, la transition suppose de fixer un cap ambitieux, régulièrement évalué et contraignant pour l’ensemble des acteurs. Le levier fiscal doit permettre d’intégrer au prix les externalités environnementales négatives générées par les décisions économiques des entreprises, des administrations et des consommateurs. Plus incitatif, il doit orienter les investissements publics et privés vers des actions à contribution positive en matière environnementale. Le levier réglementaire doit permettre d’accélérer les initiatives à impact positif tout en encadrant – voire en interdisant – certains produits (à l’instar de certains produits plastiques à usage unique interdits depuis 2021).

Pour être acceptable ­socialement, la transition suppose l’exemplarité des administrations, une juste répartition des efforts et l’expérimentation de solutions locales.

Pour être viable économiquement, la transition suppose d’articuler décarbonation et réindustrialisation.

Entre 2000 et 2021, la désindustrialisation s’est traduite par une baisse de 14 à 8 % de l’industrie dans le PIB  et une hausse des émissions importées qui représentent 40 % de notre empreinte GES [liée à l’émission de gaz à effet de serre, ndlr].

Aujourd’hui, la viabilité de nos PME est sévèrement touchée par la crise énergétique, qui souligne la nécessité du développement d’énergies renouvelables et nucléaire. Articuler décarbonation et réindustrialisation suppose donc de relocaliser des activités en France avec des modes de production, de réparation et de recyclage bas carbone. Le renforcement des plans d’investissement (France 2030, Fonds vert…) doit se poursuivre pour servir le développement de nouvelles filières “vertes” et la transition de nos secteurs d’excellence.

Les leviers d’industrialisation en lien avec la transition énergétique

Par Hervé de La Chapelle, associé EY Consulting, leader “Secteur public” Europe West, France, et Alexis Gazzo, associé EY Climate Change & Sustainability leader, France

Sommes-nous au début d’une nouvelle révolution industrielle verte ? Plusieurs éléments semblent l’indiquer. C’est d’abord la prise de conscience par les gouvernements des économies développées que les technologies vertes sont incontournables pour atteindre nos objectifs de décarbonation, créer ou maintenir des emplois locaux de qualité, renforcer notre sécurité énergétique et notre souveraineté industrielle. Dans la foulée des chocs d’une ampleur exceptionnelle que l’économie mondiale a subis au cours des trois dernières années (Covid, inflation, conflit russo-ukrainien, crise énergétique), ces technologies font désormais l’objet d’investissements publics massifs.

En Europe, le “Green Deal européen” regroupe 54 textes réglementaires, dont le paquet “Climat”. Il prévoit une réduction de 55 % de nos émissions de gaz à effet de serre en 2030. Le règlement “Taxonomie”, entré en application en 2021, vise à orienter les investissements vers les activités considérées comme “vertes”.

Aux États-Unis, cette ambition se traduit par l’Inflation Reduction Act (IRA), présenté comme le paquet le plus structurant pour l’économie américaine depuis des décennies, prévoyant près de 400 milliards de dollars de subventions aux technologies vertes ou cleantechs.

Le financement des cleantechs en forte hausse

En complément de la dynamique du Green Deal, la France a choisi de soutenir la transition des entreprises vers des modèles moins carbonés via le plan d’investissement “France 2030”. En tout, ce sont 54 milliards d’euros sur cinq ans qui seront déployés dans le cadre de ce plan pour combler nos retards dans les secteurs à forts enjeux, tels que l’énergie et le climat, et financer des projets d’avenir, notamment la deeptech et la greentech. Cette dynamique est relayée par l’investissement privé : en France, les financements des cleantechs par les acteurs du capital-investissement ont atteint un nouveau sommet en 2022 avec 123 opérations de financement pour un montant global de plus de 3,4 milliards d’euros, une augmentation de 50 % en comparaison de 2021 et un quasi triplement par rapport à 2020.

Si les technologies vertes sont plébiscitées à la fois par les investisseurs et par les décideurs publics, qui en font le fer de lance des politiques de relance économique et de réindustrialisation, c’est notamment parce qu’une grande partie de ces technologies sont désormais matures. Dans le cas des énergies renouvelables, leur compétitivité face aux énergies fossiles est aujourd’hui démontrée.

Risque de dépendance industrielle et technologique

Rappelons qu’en 2022, le solaire et l’éolien ont assuré 22 % de la production électrique en Europe, soit davantage que le gaz et le charbon. En France, la charge de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) sera négative en 2023, les énergies renouvelables devenant un contributeur net au budget de l’État. La France s’est ainsi donné comme objectif de compter au moins 100 gigawatts de puissance solaire photovoltaïque (PV) installée à ­l’horizon 2050, un objectif modéré par rapport à l’Allemagne, qui annonce vouloir disposer de 200 gigawatts à l’horizon 2030.

Pourtant, l’accélération du déploiement des technologies vertes en Europe doit s’accompagner d’une stratégie de relocalisation, si nous ne voulons pas remplacer une dépendance aux importations d’hydrocarbures par une dépendance industrielle et technologique. En ce qui concerne la filière solaire photovoltaïque, la Chine domine aujourd’hui l’ensemble des segments de la chaîne de valeur internationale et contrôle 95 % de la production mondiale de polysilicium, de lingots et de plaquettes. Conscients du risque de dépendance technologique, plusieurs États ont d’ores et déjà mis en place des programmes ambitieux, à l’image de l’IRA aux États-Unis, visant à redéployer une industrie solaire PV sur leur territoire.

Pour le solaire comme pour l’éolien en mer, les batteries ou l’hydrogène décarboné, la France et l’Europe disposent d’une fenêtre de tir dans les deux ans à venir pour accélérer le déploiement de capacités industrielles domestiques et pour résister d’une part à la concurrence asiatique et d’autre part à l’attractivité du marché américain. Au-delà des impacts positifs en termes de création d’emplois, cette stratégie générera d’autres bénéfices, notamment une plus grande souveraineté énergétique, une contribution positive à la balance commerciale ou encore le déploiement d’une industrie présentant des synergies importantes avec d’autres secteurs économiques comme la construction, l’industrie automobile, la robotique ou la microélectronique.

Parmi les mesures qui favoriseront les perspectives de production française et européenne, citons en ­particulier l’accès durable à une électricité décarbonée et compétitive, la sécurisation des débouchés via des contrats d’achat long terme ainsi que le renforcement des exigences en matière de performance environnementale et d’acceptabilité sociale des projets.

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Club des acteurs publics

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