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Didier Maus aux candidats : “La Constitution est beaucoup plus qu’un cadre juridique !”

Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel et ancien conseiller d’État, Didier Maus revient dans cette tribune sur les enjeux constitutionnels du prochain quinquennat. L’occasion pour le président de la Société d’histoire de la Ve République d’analyser les propositions de réforme des candidats à la présidentielle. Des proposions appréciées au regard des évolutions constatées depuis la Constitution de 1958.

Chaque élection présidentielle – l’élection préférée des Français – est l’occasion de débattre, à nouveau, de la nature de la Ve République et d’évoquer de futures réformes, parfois sans incidence sur la structure du pouvoir, parfois de nature à impliquer de profondes transformations, voire à donner naissance à une éventuelle VIe République. L’édition 2022 confirme la tradition. La quasi-totalité des candidats, sauf celui qui est le premier concerné (Emmanuel Macron), se déclare favorable à un exercice du pouvoir moins vertical et à un rôle renforcé du Parlement, à commencer par l’Assemblée nationale.

Cette dimension constitutionnelle doit être appréciée au regard de l’évolution constatée depuis près de soixante-cinq ans (un record de longévité qui sera atteint à l’automne 2023). Quelques courts rappels sont indispensables, tant la mise en perspective incite à modérer les enthousiasmes.

1. La Constitution de 1958 a été modifiée 24 fois depuis l’origine. Certaines de ces révisions ont une portée plus juridique que politique ; d’autres ont profondément modifié le fonctionnement originel de l’exercice du pouvoir. C’est évidemment le cas de la révision de 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage direct et de celle de 2000 transformant le septennat en un quinquennat. 

2. Une révision de la Constitution n’est pas uniquement une opération juridique. Sa dimension politique est fondamentale. Si François Hollande n’a pu réaliser, en 2015-2016, la révision souhaitée à propos de la déchéance de la nationalité, si Emmanuel Macron a échoué dans sa tentative de révision de 2018, ils le doivent avant tout aux circonstances politiques : absence d’une majorité parlementaire cohérente dans les deux assemblées dans le premier cas ou choc de l’affaire Benalla dans le second.

3. Une révision réussie nécessite donc, au-delà de son contenu, l’accord des majorités de l’Assemblée nationale et du Sénat et soit un vote à la majorité des trois cinquièmes du Congrès du Parlement, soit un référendum populaire positif. Des considérations de stratégie politique peuvent paralyser la procédure, par exemple le refus des opposants d’être associés à un succès du président de la République. Les candidats de 2022, au moins celles et ceux qui ont une chance sérieuse de gagner, ne doivent jamais l’oublier. Les autres peuvent proposer ce qu’ils veulent. Cela n’a aucune conséquence.

Par rapport à ces évidences, quelles sont les idées à la mode pour améliorer le fonctionnement de la République, un objectif toujours louable ?

La révision globale, telle qu’elle est proposée par Jean-Luc Mélenchon, impliquerait une procédure longue et hasardeuse avec, probablement, l’élection d’une nouvelle assemblée constituante. Cette perspective peut réjouir de bons esprits. Il n’est pas du tout certain qu’elle rencontre l’enthousiasme des électrices et des électeurs, tant nul ne pourrait prédire ce qui en sortirait. Le grand débat constitutionnel populaire de 1946 n’a pas laissé d’excellents souvenirs, sauf chez les historiens et les professeurs de droit. Le très sérieux débat constitutionnel parlementaire de 2008, sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, a donné naissance à une révision importante, mais sans véritable débouché en faveur d’un renforcement du Parlement.

L’équation constitutionnelle ne peut être résolue sans d’improbables renoncements volontaires de la part du Président.

Les révisions moins ambitieuses peuvent présenter de l’intérêt, mais auraient-elles véritablement l’impact souhaité. Qui peut sérieusement prétendre que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, un serpent de mer, serait de nature à rendre la justice plus efficace et plus proche des citoyens ? L’institution judiciaire souffre d’un manque cruel de moyens humains, matériels et financiers. Ce ne sont pas des enjeux constitutionnels.

La critique la plus forte entendue à l’encontre du système de la Ve République repose sur “l’exercice solitaire du pouvoir” du président de la République, pour reprendre une formule de Valéry Giscard d’Estaing. Comment donc réduire, en même temps, la toute-puissance du résident de l’Élysée et rendre la vie parlementaire plus active et, parfois, inattendue ? La quadrature du cercle n’a jamais été résolue. L’équation constitutionnelle ne peut l’être sans d’improbables renoncements volontaires de la part du Président. La boîte à outils du droit constitutionnel n’offre guère de solutions à portée de la main. Il ne s’agit pas de rafistoler tel ou tel délai de la procédure législative ou d’augmenter le temps du contrôle parlementaire. Deux techniques peuvent répondre à la demande : la modification du mode d’élection du président de la République ; l’adoption d’une représentation proportionnelle intégrale à l’Assemblée nationale.

Peut-on éviter que le Président élu demande ardemment aux électeurs d’élire une majorité de députés qui lui soit favorable ? La réponse est évidemment “non”. Sauf à préconiser une neutralisation des ambitions présidentielles par une cohabitation parlementaire systématique, il est logique que le peuple conforte son choix présidentiel par ses choix parlementaires. Sinon pourquoi demander aux candidats et candidates présidents d’exposer leurs orientations programmatiques ? Une modification du mode d’élection du Président – par exemple le septennat non renouvelable ou le retour à un collège électoral restreint à base d’élus locaux – serait probablement une bonne réponse, mais où est la faisabilité politique ? Imagine-t-on, en 2022, un candidat sérieux expliquant qu’il souhaite que son successeur soit un personnage politiquement diminué ?

L’instauration d’une proportionnelle intégrale pour l’élection des députés constituerait une très profonde révolution. Certes l’unique expérience de 1986 n’a pas bouleversé la nature des choses. Elle a quand même donné naissance à la première cohabitation et a montré que face à une majorité parlementaire hostile, le président de la République n’était plus le “monarque” tout puissant qui est si souvent décrit. Un mode de scrutin proportionnel tend nécessairement à distendre les liens entre le Président et les députés et à modifier le système des alliances politiques. Son effet ne serait pas immédiat, mais se renforcerait dès la deuxième élection. À l’inverse, il redonne un véritable pouvoir de vie ou de mort sur les candidatures aux partis politiques. Certains diront que ce n’est pas “l’esprit” de la Ve République, mais les partis politiques font partie de la démocratie ; ils en constituent même un fondement essentiel, ce qu’a un peu trop vite oublié M. Macron. Qu’un Président nouvellement élu fasse voter par “ses députés” le scrutin proportionnel relève du vœu pieux, sauf crise nationale très grave, ce qui n’est pas souhaitable. Une telle réforme est juridiquement aisée à entreprendre. Politiquement, c’est une autre histoire. Indépendamment de cette volonté de modifier sérieusement le rapport central des forces politiques, il est parfaitement loisible de suggérer, voire de faire adopter des réformes limitées (par exemple rendre plus facile le référendum populaire ou de modifier la procédure législative), mais s’agirait-il pour autant de rééquilibrer les relations verticales qui conduisent automatiquement et nécessairement l’élu direct du suffrage universel à être le Pouvoir avec un grand “P” ? L’élection d’un autre candidat que M. Macron conduira à retrouver, avec un nouveau titulaire et donc un nouveau style, les travers si souvent dénoncés. Par contre, la réélection de M. Macron, avec l’interdiction d’envisager un troisième mandat, lancera immédiatement la course suivante, en particulier pour savoir qui sera celui qui décernera les investitures aux candidats députés de 2027.

La Constitution est beaucoup plus qu’un cadre juridique. Elle est le support de l’action politique. Les grandeurs et servitudes des hommes et des femmes politiques savent en tenir compte. La nature humaine est ainsi faite que ceux qui ont été librement élus pour exercer le pouvoir peuvent difficilement envisager de scier les branches qui leur permettent de le faire avec efficacité.

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