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Johanna Rolland : “Il est urgent de définir un nouveau contrat entre État et collectivités”

La présidente de France urbaine estime que, pour faire face aux crises sanitaire, climatique, économique et sociale, et à la crise de confiance dans l’action publique, il faudra miser “sur les solutions les plus adaptées à chaque situation locale”. Alors que l’exécutif réfléchit à une baisse des dotations aux collectivités, Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole, demande à ce que les associations d’élus soient associées “à la définition des finalités d’un éventuel effort budgétaire de la nation”.

Après l’annonce du nouveau gouvernement, vous avez appelé à un nouveau contrat entre État et collectivités territoriales. Quels sont les enjeux et quelles sont vos priorités ?
Hausse des prix, mise à mal du pouvoir d’achat, crise de l’hôpital public, urgence écologique et sociale… Les enjeux sont nombreux et méritent tous une action urgente et immédiate. Pour répondre à ces défis, une nouvelle coopération État-collectivités est la priorité. Je parle d’une méthode claire, qui allie concertation et confiance dans l’action des élus locaux. Des progrès ont été engagés avec la loi 3DS*. Mais il faut aller plus loin. Il est urgent de définir un nouveau contrat entre l’État et les collectivités locales. Les enjeux financiers seront également très vite sur la table et nous serons particulièrement fermes et exigeants. À France urbaine, nous serons particulièrement mobilisés pour aller encore plus loin dans la transition écologique dans les territoires et lutter contre toutes les formes d’exclusion et de précarité. Pouvoir d’achat, logement, accès aux soins et à la culture, alimentation… Les inégalités se creusent. L’urgence sociale est réelle et visible et les projets de loi prévus pour l’été sur le pouvoir d’achat doivent absolument être la hauteur. Les défis ne manquent pas pour que l’État et les collectivités agissent en complémentarité.

La concertation n’est pas un obstacle à la réforme ou une perte de temps. C’est l’assurance d’actions claires, efficaces, comprises et partagées.

La Conférence nationale des territoires n’a pas perduré… Quelle méthode préconisez-vous pour dialoguer avec le gouvernement ?
La Conférence nationale des territoires était une idée intéressante. Que l’on soit clair : tout ce qui peut être mis en place pour encourager et faciliter le dialogue est le bienvenu. La méthode que nous souhaitons est simple : faire confiance aux élus locaux et leur donner les moyens d’agir sur les compétences qui sont les leurs, tout en renforçant l’État sur ses prérogatives régaliennes. Cette clarté est indispensable pour restaurer la confiance dans l’action publique et la rendre plus efficace.    
Ensuite, nous attendons une concertation en amont, franche et systématique du gouvernement sur tous les sujets sur lesquels les élus locaux sont concernés. La concertation n’est pas un obstacle à la réforme ou une perte de temps. C’est l’assurance d’actions claires, efficaces, comprises et partagées. Nous sommes les premiers ambassadeurs de l’action publique, au plus près des Françaises et des Français.

Ce sont les usages qui doivent guider l’organisation institutionnelle, et non l’inverse.

La loi 3DS était assez technique et n’a pas pris pleinement en compte les enseignements de la crise sanitaire. Un nouvel acte de décentralisation est-il nécessaire ? 
La loi 3DS n’est certes pas le “grand soir” de la décentralisation. Mais c’est un texte utile aux territoires, qui permet à chacun d’entre eux de se développer et d’optimiser leurs actions, suivant les principes de différenciation et de décentralisation auxquels France urbaine est attachée. Aujourd’hui, plus qu’un nouvel acte de décentralisation, c’est un changement de méthode dans l’élaboration de la loi qui est nécessaire. Il est temps de nous adapter pour répondre aux grands enjeux de notre siècle. La crise sanitaire a révélé la capacité des acteurs publics et privés locaux à imaginer rapidement des solutions, en dépassant les modalités d’action traditionnelles et le strict respect des prérogatives de chacun. Pour faire face aux crises sanitaire, climatique, économique et sociale, mais aussi à la crise de confiance dans l’action publique, il faudra miser sur les solutions les plus adaptées à chaque situation locale, en mobilisant les acteurs les plus à même d’y répondre. Faire simple et pratique pour le citoyen, alors même que les questions à résoudre sont complexes, nécessite un travail de coordination entre acteurs, publics et privés, mais également un état d’esprit basé sur la confiance qu’il s’agit d’installer sur la durée. Ce sont les usages qui doivent guider l’organisation institutionnelle, et non l’inverse. Il faut une transformation du mode de fabrique des politiques publiques, incarné par de nouvelles méthodes de travail.

La contractualisation financière entre l’État et les collectivités territoriales est-elle envisageable ? 
Une chose est sûre : calquer le modèle des “contrats de Cahors” de 2018 ne sera pas acceptable. Les coups de rabot successifs à l’autonomie fiscale des collectivités de ces dernières années et la crise sanitaire ont renforcé le besoin de prévisibilité en matière de finances locales. L’État doit d’abord préciser ses intentions en matière financière et fiscale. D’autant que la réalité, c’est que la dette des collectivités locales ne représente que 8 % de la dette publique du pays.

L’État doit indiquer clairement, en toute transparence, les réformes qu’il entend s’appliquer et les champs d’économie qu’il envisage de faire, qui ne manqueront pas d’avoir des conséquences sur l’intervention des collectivités locales.

Le gouvernement travaille au budget pour 2023. Emmanuel Macron avait annoncé une réduction des dotations aux collectivités de quelque 10 milliards d’euros. Êtes-vous inquiète ? 
Le gouvernement parle d’une contribution des collectivités au redressement des comptes publics. En tant qu’élue locale, je suis attentive à ce que les dépenses publiques soient maîtrisées. Mais cet effort suppose de la lisibilité, de la transparence et de la confiance dans la relation financière entre l’État et les collectivités. Je demande à ce que les associations d’élus soient associées à la définition des finalités d’un éventuel effort budgétaire de la nation. L’État doit indiquer clairement, en toute transparence, les réformes qu’il entend s’appliquer et les champs d’économie qu’il envisage de faire, qui ne manqueront pas d’avoir des conséquences sur l’intervention des collectivités locales. Je rappelle que ces dernières représentent plus de 70 % de l’investissement public. Notre rôle est central. Nous avons légitimement voix au chapitre et nous ferons connaître clairement notre position et nos propositions lors de la 5e édition des Rencontres Finances publiques, organisée le 7 juillet prochain à la Maison de la chimie, à Paris.

La planification environnementale est érigée en priorité par le gouvernement. Faut-il donner aux élus des grandes villes de nouveaux moyens d’action en la matière ?
France urbaine porte depuis de nombreuses années la nécessité de planifier la transition écologique. Tant mieux si le gouvernement souhaite s’y investir. Comme les Françaises et les Français, les élus des grandes villes, agglomérations et métropoles attendent un véritable coup d’accélérateur en matière de transition écologique. Elle doit être transversale et infuser tous les champs des politiques publiques. Il est fondamental que son pilotage soit territorialisé, à l’échelle du bassin de vie et au plus près des réalités de chacun. Cette transition doit aussi être solidaire parce que l’écologie doit parler à tout le monde. Cette solidarité se conjugue sur le plan individuel, à travers un accompagnement des mesures de transition à la hauteur de leur coût, en particulier pour les ménages à revenus modestes, mais également entre les territoires, en tenant compte de leurs spécificités, voire de leurs difficultés. Soyons lucides, efficaces et ne laissons personne sur le bord du chemin. Nous proposons par exemple à l’État que les métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomération de plus de 250 000 habitants puissent avoir le statut d’autorités organisatrices de la transition écologique.

La politique de la ville est la grande oubliée des gouvernements depuis trop longtemps.

Aménagement, logement, attractivité : est-il urgent de redonner un nouveau souffle à la politique de la ville ? 
Nous comprenons que la politique de la ville est pour l’heure dans le portefeuille d’Amélie de Montchalin, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, au même titre que le logement ou les transports. Ce peut être une bonne chose que soient coordonnés les sujets de la politique de la ville, du logement, des transports, de l’aménagement et de la cohésion des territoires, avec comme feuille de route prioritaire la question écologique, que nous ne dissocions jamais des questions sociales. Pour autant, le choix de ne pas avoir un membre du gouvernement dédié à ce sujet, comme il n’y a pas non plus de ministre chargé du logement, interroge et surprend. Attendons d’y voir plus clair sur la manière dont les politiques publiques de ce ministère seront organisées et conduites. Mais il est clair que la politique de la ville est la grande oubliée des gouvernements depuis trop longtemps. La situation des quartiers populaires est inquiétante. Il faut y mener des politiques fortes. Il faut aller plus loin, faire plus et mieux. Il faut faire revivre la promesse d’égalité républicaine dans les quartiers. Les habitants des communes et agglomérations doivent pouvoir vivre en sécurité, avoir accès aux soins, à la formation, à l’emploi, à un logement décent, à une alimentation saine et de qualité, à la culture, au numérique et aux loisirs…

Propos recueillis par Sylvain Henry

* Loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

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Club des acteurs publics

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