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Kévin Gernier : “Le nouvel accord-cadre sur les cabinets de conseil ne dispense pas l’exécutif de légiférer”

Dans cette tribune, le chargé de plaidoyer de Transparency International France, Kévin Gernier, réagit au nouveau cadre de recours aux cabinets de conseil au sein de l’État. Si celui-ci apporte de nouvelles garanties en matière de transparence, de montants et de déontologie, l’appel d’offres lancé par la direction interministérielle de la transformation publique fin juillet est toutefois “loin de clore le débat”, selon lui.

Les nouvelles dispositions particulières de l’accord-cadre relatif à la réalisation de prestations de conseil auprès des administrations centrales, décrites dans son cahier des clauses administratives particulières (CCAP), révèlent que les problématiques soulevées par la commission d’enquête du Sénat ont bien été prises en compte par l’exécutif, comme cela avait déjà été amorcé dans une circulaire publiée dès janvier 2022. Cependant, un CCAP est loin de constituer une base légale suffisante. En effet, un tel document contractuel n’a pas la valeur juridique d’un règlement ou a fortiori d’une loi et est loin de couvrir l’intégralité des missions de conseil sollicitées par l’État. Il prévoit ainsi une dépense de 150 millions d’euros sur quatre ans alors que les dépenses totales de l’État en la matière ont été estimées à 893,3 millions d’euros pour la seule année 2021. Et surtout, une lecture attentive du CCAP permet de constater que si bon nombre des pistes incluses dans la proposition de loi du Sénat ont été apparemment reprises, elles ont souvent été fortement édulcorées.

Une transparence accrue des bons de commande

Point positif, le CCAP porte des améliorations bienvenues en matière de transparence, notamment en ce qui concerne les bons de commande émis lorsqu’une administration sollicite la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour avoir recours à une prestation de conseil d’un cabinet titulaire de l’accord-cadre. Chaque ministère devra ainsi publier en open data une liste des bons de commande avec la mention de l’objet, du nom du cabinet mobilisé, le montant et la date de réalisation des prestations. Pour l’instant, seules les données essentielles des accords-cadres sont publiées, ce qui interdit tout recensement exhaustif. Il est donc essentiel que ce principe de transparence pour des prestations de conseil soit généralisé par la loi. 

La garantie de traçabilité des prestations 

Les clauses imposeront également aux consultants mobilisés de décliner leur identité et le nom de leur employeur dans leurs interactions avec l’administration et d’apposer systématiquement le logo du cabinet de conseil sur les documents livrés afin de garantir la traçabilité des prestations. Cette transparence permettra alors de s’assurer que des prestations de conseils en stratégie et aide à la décision n’ont rien d’un lobbying opaque visant à influer sur le contenu de la loi ou des textes d’application. Là aussi, cette obligation de traçabilité mériterait d’être ancrée dans la loi, pour les consultants, comme c’est déjà le cas pour les représentants d’intérêts depuis 2016.

Des déclarations d’intérêts lacunaires

En matière de déontologie, les avancées du CCAP sont en revanche bien plus timorées, alors que le risque de conflit entre les clients privés et publics des cabinets et avéré. Le CCAP propose d’y remédier en imposant une déclaration d’absence de conflit d’intérêts aux consultants mobilisés sur une mission, ainsi qu’au cabinet de conseil en tant que personne morale. Cette solution est un pis-aller, car elle repose intégralement sur la bonne foi du prestataire, qui devra apprécier par lui-même en toute intégrité sa capacité à honorer une commande. La solution proposée par les sénateurs semble bien plus robuste : une obligation légale de déclaration exhaustive des intérêts détenus à date et au cours des cinq dernières années, transmise à l’administration qui peut ensuite apprécier elle-même objectivement l’existence d’un potentiel conflit d’intérêts ou solliciter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en cas de doute. Ces déclarations pourraient même être rendues publiques, sur le modèle des déclarations publiques d’intérêts exigées pour les experts en santé en application de la loi de sécurité du médicament du 29 décembre 2011. 

Un encadrement du pantouflage qui rate sa cible

Le CCAP ne prévient pas non plus le risque déontologique généré par le recrutement d’agents publics par des cabinets de conseil. La loi prévoit déjà qu’un tel recrutement soit validé préalablement par sa hiérarchie ou la HATVP. En cas de non-respect de cette obligation, le CCAP se contente d’ajouter aux sanctions administratives et pénales déjà existantes une possibilité de suspendre l’ex-agent de sa mission. Mais le CCAP n’aborde pas le principal risque déontologique posé par le secteur du conseil : la multiplicité des clients potentiels. Le “consulting” constitue en effet autant un métier qu’un mode de contractualisation auprès de multiples employeurs qui ne peuvent être connus à l’avance, ce qui rend délicate l’appréciation d’un éventuel conflit d’intérêts lors du départ du secteur public. La proposition de loi élaborée par les sénateurs, elle, cherche à contenir ce risque en obligeant les anciens agents publics devenus consultants à adresser régulièrement la liste de leurs nouveaux clients à la HATVP afin que cette dernière puisse vérifier l’existence d’un éventuel conflit d’intérêts. Cela permettrait d’éviter des situations déjà constatées par le passé : la HATVP, apprenant par ses propres moyens l’existence d’un nouveau client à l’origine d’un conflit d’intérêts, doit demander au consultant de mettre un terme à son contrat avant que celui-ci ne constitue un délit de prise illégale d’intérêt. 

Des missions pro bono à interdire plutôt qu’à encadrer

Ensuite, le CCAP ne vas pas assez loin dans l’encadrement des prestations offertes par des consultants, en se contentant de soumettre à validation préalable du secrétaire général du ministère toute proposition de mission pro bono, et en rappelant que celles-ci ne doivent donner lieu à aucune contrepartie. C’est la moindre des choses puisqu’une telle contrepartie pourrait s’apparenter à un délit de corruption. Même si aucune prestation pro bono n’a fait l’objet d’une poursuite pénale jusqu’à présent, elles ont tout de même suscité un doute légitime. L’interdiction pure et simple des missions pro bono de conseil auprès de l’administration, par la voie légale, est donc la piste qu’il faut privilégier, comme le préconisent les sénateurs.

Des sanctions trop timides

Enfin, les sanctions prévues par le CCAP en cas de non-respect des clauses déontologiques précédemment exposées sont modestes au regard des montants des contrats qu’il est censé encadrer : une simple amende de 5 000 euros est prévue en cas de premier manquement, soit à peine plus que le tarif moyen facturé pour 3 journées de travail d’un consultant (moyenne de 1 500 euros par jour-homme). En cas de manquement grave ou répété, le CCAP autorise une résiliation du marché, sans prévoir de peine d’exclusion des marchés publics, ce qui autoriserait le cabinet fautif à candidater à d’autres appels d’offres. Le droit européen autorise pourtant une telle sanction en cas d’atteinte à l’intégrité, et les sénateurs l’ont préconisée à juste titre.

Au total, cet accord-cadre présenté dans l’urgence par le tout nouveau ministre de la Transformation et de la Fonction publiques [Stanislas Guerini, ndlr] ne dispense pas de légiférer pour mieux encadrer des pratiques qui ont cristallisé les critiques au cours des derniers mois.

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