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“Les organisations publiques doivent être capables de créer des solutions inédites en matière de transitions”

Régine Monti, professeure associée au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), responsable du parcours “Transformation” du master IES et consultante en prospective, et Madina Rival, professeure des universités au Cnam, responsable du parcours “Innovation publique” du master IES et du laboratoire de recherche Lirsa, soulignent le rôle des organisations publiques et privées face aux transitions, thème d’une master class* qui se déroulera le 17 mars au Cnam. Les acteurs du terrain remontent la nécessité d’un travail interministériel sur le sujet du développement durable, soulignent-elles, en pointant notamment la prééminence du ministre des Finances dans les décisions finales. 

Régine Monti (à gauche) et Madina Rival (à droite), responsables de parcours du master IES au Conservatoire national des arts et métiers.

Parler de “transitions”, le thème de la master class qui aura lieu le 17 mars au Cnam, ne suppose-t-il pas de mêler les approches et d’appréhender tout à la fois des enjeux de prospective, d’innovation, de management et de transformation ?
Face aux grandes transitions écologiques, numérique, sociales, économiques, etc., auxquelles les organisations privées et publiques sont confrontées, il s’agit d’être en capacité de créer des solutions inédites et en rupture et d’accompagner la nécessaire métamorphose des organisations. Pour cela dès l’ouverture du master “Innovation entreprises et sociétés” (IES) au Cnam, en 2017, nous avons considéré, avec les acteurs concernés, que l’hybridation des pratiques d’anticipation, d’innovation et de transformation était devenue indispensable dans nos contextes de changement organisationnel permanent. Dans un continuum, il s’agit, pour relever les défis face aux transitions au sein des organisations, à la fois de comprendre les grandes forces de transformation (politiques, économiques, sociales, environnementales, etc.) du monde qui les entoure ; d’anticiper les enjeux que représentent les conséquences de ces transformations sur leurs activités, leurs modèles d’affaires, leurs métiers, leurs compétences, etc. ; de décider pour se préparer aux changements attendus et provoquer les changements souhaités ; de déployer en ayant associé les parties prenantes et les acteurs de terrain. C’est pourquoi le master IES a pour objectif de former des professionnels qui maîtrisent de façon équilibrée les connaissances et les pratiques dans ces 3 champs : prospective, innovation, transformation/disruption dans la sphère publique et dans les écosystèmes privés.

Les transitions écologique et numérique ont été longtemps pensées séparément, voire considérées comme antagonistes.

Quels sont les liens entre numérique, environnement et “bâtiment du futur” et agriculture, les sujets qui seront abordés le 17 mars ?
Les transitions écologique et numérique ont été longtemps pensées séparément, voire considérées comme antagonistes. Cela n’est plus le cas, comme nous le démontreront les intervenants de la master class. Comme préalable à ces évolutions, Céline Faivre [directrice de mission “Transformation managériale et organisationnelle” au cabinet de conseil Sémaphores, ndlr] mettra l’accent sur la prise en compte croissante par l’acteur public de la nécessité d’un numérique responsable. Responsabilité en matière écologique, avec une limitation de son empreinte écologique, une attention à la question de l’inclusivité… Le numérique devient aussi, dans ce contexte, un levier et un accélérateur de la transition écologique. Et l’État a un rôle à jouer, notamment avec le Commissariat au développement durable et son Ecolab, dirigé par Thomas Cottinet, qui nous décrira ses activités. Rendre possible la transition écologique avec le numérique, c’est sous cet angle que Jérôme Clair, de Xarvio Digital Farming [une filiale de BASF proposant des solutions numériques aux agriculteurs, ndlr], témoignera d’une expérience de prospective dans la filière “grandes cultures”, qui montre comment la mobilisation des nouveaux outils et potentiels permet d’envisager d’autres modèles économiques souhaitables, et en particulier celui de l’économie de la fonctionnalité, qui permet de limiter la consommation d’intrants de ressources et de garantir des résultats compatibles avec les impératifs écologiques.

L’action publique dans toutes ses dimensions est interpellée par le sujet du développement durable.

En matière environnementale, la sphère publique est-elle en retard ? L’administration exemplaire a été quelque peu délaissée jusqu’à l’été dernier...
Avec notre équipe de collègues chercheurs au laboratoire Lirsa, experts du sujet, nous constatons que l’action publique dans toutes ses dimensions est interpellée par le sujet du développement durable. La Convention climat est bien alignée avec les objectifs du Giec et prend même l’initiative politique de chiffres cibles et pourtant, quel que soit le niveau de décision politique, ces objectifs ne se concrétisent jamais par une action publique. Nous pensons que l’innovation publique peut être une piste de solutions pour un État plus réactif dans une situation de crise environnementale et souhaitons contribuer au débat en la matière.
Pour le moment, il existe de grandes trajectoires dont les conséquences peuvent être chiffrées, par exemple en matière de stratégie bas carbone, mais ces projections sont faites domaine par domaine. Les acteurs du terrain remontent la nécessité d’un travail interministériel sur le sujet du développement durable. Un deuxième problème en la matière est la prééminence du ministre des Finances dans les décisions finales. Il faudrait donc sortir de la logique financière et penser une finalité “méta” qui transcende les intérêts sectoriels. Pourtant, beaucoup de choses se font, dans les collectivités comme en ministères, comme vont nous le démontrer nos intervenants.

Faut-il mêler formations “opérationnelles” et “de prospective” ? Les décideurs publics n”ont-ils pas une approche trop court-termiste ? 
Formations opérationnelles et prospective ne s’opposent pas, elles s’enrichissent ! L’anticipation n’est pas un hobby pour les organisations, elle est nécessaire face aux bouleversements de leur environnement. Penser son futur à moyen et long termes redonne des marges de manœuvre aux organisations, privées comme publiques. Plutôt que subir l’imprévu de ce que l’on n’a pas voulu voir, l’anticipation des transitions débouche à la fois sur l’innovation et sur la transformation des organisations dans un continuum. Ainsi, nos étudiants conduisent chaque année, au sein d’organisation privées ou publiques, des missions de prospective, d’innovation ou de transformation. Les décideurs publics peuvent être focalisés sur un horizon temporel lié aux cycles électoraux, ce qui ne permet pas une prise de recul. Ils sont par ailleurs le plus souvent formés à des outils de facilitation qui sont de bons instruments d’innovation collective, mais ne permettent pas de penser le long terme. Pour cela, il est nécessaire de dégager du temps de formation – hors temps de travail, en cours du soir, par exemple, comme cela se fait au Cnam – et de parler prospective. La prospective est, à l’origine, intrinsèquement liée à l’action publique, par la planification par exemple.

Il s’agit de construire le cadrage des futures politiques publiques via de la prospective notamment.

Qu’est-ce qui distingue les stratégies du secteur public de celles du secteur privé face aux transitions ? Et qu’est-ce qui les rapproche ?  
Une illustration des différences et complémentarités entre anticipation et stratégie déployées entre les sphères publique et privée sera abordée, lors de la master class, par Jérôme Vial, directeur “opérations, stratégie et réseau” de la Fédération française du bâtiment. Il présentera la démarche “Bâtiment 2035”, portée par la fédération, qui a eu pour caractéristique remarquable d’associer les entreprises du secteur, en particulier les plus petites. Ce sont elles qui ont anticipé les transitions et leurs effets sur leur activité future pour en tirer des enseignements et construire une feuille de route stratégique et opérationnelle. Dans le même temps, l’Ademe et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ont conduit une réflexion – “Imaginons ensemble les bâtiments de demain” – complémentaire aux travaux du secteur. Dans cette prospective d’origine publique, c’est la partie exploratoire qui prédomine, avec la fourniture originale de scénarios “en kit” pour favoriser la diffusion de la pensée prospective auprès de l’écosystème du bâtiment et la prise en compte des enjeux liés au changement climatique et aux politiques publiques liées à ces enjeux. 

Quelles suites voyez-vous, après le 17 mars, pour le management public en matière de transitions ? 
Au Cnam, notre action de formation et de recherche se poursuit en la matière avec deux grandes pistes. D’abord, la construction d’un modèle d’action publique durable et innovante par la recherche : il s’agit de construire le cadrage des futures politiques publiques via de la prospective notamment. La question est de trouver un modèle opérationnel qui conduise à l’action. On pourrait par exemple diffuser le mode de travail ouvert et transversal qui a eu lieu pendant la Convention citoyenne sur le climat. En second lieu, la diffusion de ce modèle : nous souhaitons développer les compétences managériales sur le sujet en formant et responsabilisant, par une organisation des carrières ad hoc, les agents publics aux impacts environnementaux des décisions publiques.

Propos recueillis par Sylvain Henry

* Vendredi 17 mars, de 9 h 00 à 12 h 30, au Conservatoire national des arts et métiers, amphi Friedman, 2 rue Conté, 75003 Paris.
Inscriptions
 

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Club des acteurs publics

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