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Maryvonne Le Brignonen : “L’INSP doit recruter des cadres à l’image de la France”

Dans une interview à Acteurs publics, la directrice du nouvel Institut national du service public (INSP) revient sur sa feuille de route, notamment sur la refonte des concours. “Il faut réfléchir à une évolution des épreuves écrites, avec des formats et des thématiques novateurs”, estime-t-elle. Le sujet du classement de sortie “reste clairement sur la table”, indique la directrice, sans marquer de préférence à ce stade.

Quelle est votre ambition pour l’INSP ?
Le monde a changé, la France a changé et les attentes des Français envers leur haute fonction publique également. Nos concitoyens attendent aujourd’hui une haute fonction publique à leur image, qui soit proche d’eux et qui réponde à leurs préoccupations. La mission de l’INSP consiste donc à former des cadres supérieurs de l’État qui répondent à cette demande et à recruter des élèves qui partagent cet état d’esprit. L’INSP doit recruter des cadres à l’image de la France – dans sa diversité sociale, géographique et académique –, des femmes et des hommes d’action qui ont cet état d’esprit du dernier kilomètre. Pour cela, l’INSP doit être accessible à chaque personne qui veut s’en donner les moyens, notamment via le dispositif “Talents”.

L’ENA était victime d’un certain “ENA bashing”. Craignez-vous la reproduction avec un “INSP bashing” ?  
L’un des critères de réussite sera de ne plus en parler dans quelques années, comme on ne parle plus du prélèvement à la source aujourd’hui [Maryvonne Le Brignonen était directrice de ce projet à la direction générale des finances publiques, ndlr]. Mon objectif reste donc d’insérer l’INSP dans le paysage et que l’on ne se pose plus de questions à terme sur le fait de savoir si l’établissement répond aux attentes de la République. 

L’objectif de l’INSP est d’offrir un parcours de formation tout au long de la vie, de faire de l’institut la maison commune des cadres supérieurs de l’État.

Quel regard portez-vous sur l’attractivité de la haute fonction publique ?  
Outre la question de l’attractivité des recrutements, l’attractivité est aussi celle de la formation, initiale comme continue. Avec derrière, bien entendu, la problématique de l’attractivité des carrières. C’est donc un tout. Jusqu’à présent, la politique de formation des cadres supérieurs de l’État était pensée en silos, ministère par ministère, avec à la clé un manque de transparence et d’informations. De ce fait, des cadres supérieurs d’une quarantaine ou d’une cinquantaine d’années éprouvaient des difficultés à donner un nouveau souffle à leur carrière. L’objectif de l’INSP est donc de leur offrir un parcours de formation tout au long de la vie, de faire de l’institut la maison commune des cadres supérieurs de l’État.

Comment abordez-vous la refonte des voies d’accès à l’INSP ?
Les voies d’accès doivent en effet être repensées pour assurer un recrutement répondant à des objectifs d’excellence et de diversité. C’est l’un des objectifs de ma feuille de route. Pour le concours interne et le troisième concours, nous avons pour objectif de concevoir un concours plus professionnel, qui valorise davantage les compétences acquises au cours de la carrière. Pour le concours externe, outre les connaissances académiques indispensables, nous chercherons à tester les élèves sur leur appréhension du monde et des transitions auquel il fait face. Outre ce meilleur balancement entre les compétences professionnelles et les compétences académiques, nous examinons l’opportunité de mettre en place des options ou un système de majeur-mineur qui pourrait favoriser davantage des profils de spécialistes. L’atteinte de ces objectifs pose également la question de l’oral, qui pourrait être recentré sur les compétences personnelles et le projet professionnel des candidats. 

Depuis quelques années, les écoles d’excellence réfléchissent à la modernisation des épreuves de sélection, à l’établissement de nouveaux critères qui remettent en cause la prééminence de l’écrit. L’État peut-il et doit-il aussi s’engager dans une telle réflexion ?  
Une chose est certaine : l’INSP doit rester une école d’excellence qui recrute et forme les meilleurs au service de l’État, avec l’objectif d’une reconnaissance au niveau international, vis-à-vis en particulier d’autres établissements de formation en gouvernance publique à forte renommée, comme la Harvard Kennedy School [aux États-Unis, ndlr], la Blavatnik School of government d’Oxford [au Royaume-Uni, ndlr], la Hertie School de Berlin ou le Collège de Bruges. Tout est encore sur la table à ce stade, mais il faut effectivement réfléchir à une évolution des épreuves écrites, avec des formats et des thématiques novateurs. L’écrit reste toutefois important car il permet de vérifier la maîtrise des compétences académiques, ainsi que les qualités de synthèse et d’analyse. L’écrit comme l’oral doivent donc évoluer, mais ces 2 étapes du concours doivent être conservées.  

L’épreuve de culture générale est et reste toujours nécessaire. Elle permet d’analyser comment les candidats comprennent le monde actuel.

Que pensez-vous de l’épreuve de culture générale ? Est-elle véritablement discriminante ?  
Il s’agit, depuis plusieurs années, d’une épreuve de questions contemporaines. Les candidats sont surtout perturbés par l’absence de programme pour cette épreuve. Les attendus doivent donc être précisés via, notamment, la définition de thèmes, d’une liste et de références ou une incitation très forte des candidats à s’engager dans leur copie, avec l’utilisation du “je”. Il faut sécuriser les “préparationnaires” pour les mettre tous à égalité sur la ligne de départ. Mais comme l’a indiqué la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, lors de la remise du rapport Bassères [la mission présidée par Jean Bassères était chargée de préfigurer notamment l’INSP, ndlr], cette épreuve est et reste toujours nécessaire. Elle permet d’analyser comment les candidats comprennent le monde actuel. On attend tout de même des cadres supérieurs qu’ils aient un certain niveau de réflexion, de prise de hauteur et de propositions.

L’épreuve collective d’interaction (ECI) – au cours de laquelle les candidats sont placés dans 3 positions successives (exposant, répondant, observateur) – a également perturbé certains candidats. Faut-il la faire évoluer ?  
Cette épreuve est présente dans de nombreux concours. Elle vise à vérifier la manière dont les candidats interagissent entre eux : comment coopèrent-ils ? Comment cherchent-ils une solution commune ? Elle a en effet pu être critiquée en raison de sujets parfois trop abstraits, mais aussi parce que l’épreuve aboutissait davantage à de l’art oratoire ou à une succession de prises de position plutôt qu’à une véritable coopération entre candidats. Nous réfléchissons donc à la faire évoluer, par exemple sur le modèle de celle qui existe à l’Institut national des études territoriales (Inet) fondée, elle, sur des sujets plus concrets, plus opérationnels et posés de telle manière qu’il faut chercher ensemble une solution. C’est là le véritable objet de cette épreuve. 

Comment faire en sorte que les candidats fassent preuve, lors des oraux comme des écrits, d’une certaine forme de prise de risque ? Les consignes aux jurys doivent-elles évoluer pour susciter davantage d’audace et de sincérité des candidats ?
Il s’agit d’abord d’une question de communication et de conviction. Je débute cette semaine des rendez-vous avec l’ensemble des préparationnaires aux concours et je vais leur indiquer que nous souhaitons recruter des profils plus divers et qui s’engagent vraiment. Il sera également nécessaire de sensibiliser les jurys pour qu’ils valorisent les candidats qui jouent le jeu et pénalisent ceux qui ne le font pas. Par ailleurs, il est envisagé de faire participer des psychologues aux jurys, afin de cerner mieux encore l’ouverture d’esprit des candidats et leur sincérité.

Le concours interne a beaucoup souffert de la concurrence du tour extérieur des administrateurs civils. Quelle articulation est-elle prévue dans le nouveau dispositif ?
Le concours interne et le tour extérieur s’adressent à des publics différents, avec une expérience plus longue et plus riche pour le tour extérieur et un accès plus jeune à des postes d’administrateur pour le concours interne. Le gouvernement souhaite conserver l’existence de ces deux voies, en maintenant un écart d’expérience pour accéder à l’un et à l’autre.

Le gouvernement me demande de réfléchir à un allongement de la scolarité.

Le tronc commun de formation à 15 écoles de service public vient d’être mis en place. Cinq modules de formation en ligne de vingt heures sont prévus. Est-ce suffisant pour bâtir le “creuset de la formation des cadres de l’État” tel que l’a souhaité le chef de l’État ?
L’objectif de ce tronc commun est d’aboutir à une culture commune entre agents amenés à travailler ensemble sur le terrain pendant leur carrière et qui ont eu précédemment des opportunités de se retrouver autour des grandes problématiques d’aujourd’hui avec un référentiel commun. Cent heures, c’est déjà beaucoup dans une formation, d’autant qu’elle traite d’enjeux stratégiques comme l’urgence écologique, le rapport à la science ou la transition numérique. Parvenir à mettre en place ce tronc commun en pleine crise sanitaire et dans des délais aussi restreints était également un défi et il a été relevé. Il faut désormais capitaliser sur ce qui a été fait pour faire éventuellement monter en puissance le dispositif ou réfléchir à de nouvelles modalités comme à de nouveaux modules. Nous le ferons sur la base d’une évaluation et j’en discute avec les directeurs des écoles de service public associés au projet. Une phase terrain aura également bientôt lieu, où les élèves du tronc commun auront vocation à se rencontrer.  

Vous évoquez une montée en puissance du tronc commun de formation. Ce qui ne manquera pas d’avoir un impact sur l’architecture de la scolarité. Celle-ci pourrait-elle se voir allongée ?
Le gouvernement me demande de réfléchir à un allongement de la scolarité. Cela peut passer par différents scénarios. Elle peut être allongée telle quelle. On peut également réfléchir à une scolarité avec un bloc de scolarité initiale avant que les élèves prennent leur premier poste opérationnel, puis que les élèves reviennent, pendant les deux années qui suivent, 2 à 3 fois à l’INSP pour des sessions de formation obligatoire, afin de compléter leur formation initiale. Dans tous les cas, cet allongement de la scolarité doit être réfléchi avec la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) et avec les futurs employeurs en fonction de leurs besoins de recrutement.

Les élèves ne prendront plus un poste en fonction de leur seul classement. Ils prendront un poste parce qu’ils ont un véritable projet professionnel.

Le gouvernement vous fixe comme objectif de réfléchir aux modalités de spécialisation de la scolarité (via des épreuves de spécialité) pour une plus grande professionnalisation à terme, au moment de la prise de poste. Ce qui pose la question du classement de sortie. Quelle opinion avez-vous de ce classement ?
La réforme acte déjà la fin de l’accès direct dans les grands corps. Cela dévitalise beaucoup le classement de sortie ou, en tout cas, enlève en grande partie le caractère dramatique qu’il pouvait revêtir, puisque tout le monde ou presque deviendra administrateur de l’État à la sortie de l’INSP. La quasi-totalité des élèves fera partie du même corps avec des rémunérations alignées vers le haut. C’est un formidable accélérateur de carrière. Mais le sujet du classement de sortie reste clairement sur la table. Le conserve-t-on ? Le fait-on évoluer ? Les deux options sont à l’étude. Les carrières vont durer de plus en plus longtemps, le poids du classement sera donc de moins en moins significatif. Au-delà, le véritable enjeu reste donc celui de la professionnalisation et de l’accompagnement des élèves. Il faut changer d’approche. Les élèves ne prendront plus un poste en fonction de leur seul classement. Ils prendront un poste parce qu’ils ont un véritable projet professionnel. Ils doivent désormais être accompagnés dans ce projet, ce qui nécessite de les sensibiliser beaucoup plus tôt aux différents postes qui existent, notamment par la création d’un pool de référents métiers. Une démarche de coaching a d’ailleurs commencé à être mise en place il y a deux ans. Elle doit désormais être approfondie.

L’INSP doit devenir l’opérateur central en matière de formation continue des cadres supérieurs de l’État. Comment cette ambition se matérialise-t-elle ?
L’INSP doit devenir la tête de réseau de la formation des cadres supérieurs de l’État. Cela ne veut pas dire que l’INSP va tout faire en régie. Tout ce qui est à disposition doit être connu d’un opérateur central, en évitant les redondances de formation et les trous dans la raquette, c’est-à-dire les sujets sur lesquels personne ne forme. Une fois qu’un schéma directeur sera établi et que l’offre de formation sera connue, nous verrons si l’INSP fait telle ou telle chose en direct et ce qu’il n’a pas vocation à faire. Il n’y a pas d’objectif de fusion ou d’absorption de structures.

Que comptez-vous faire pour rapprocher l’INSP du monde de la recherche et de l’université ?  
Il existe une ambition : arrimer davantage l’INSP au monde académique et au monde de la recherche. Une meilleure culture scientifique doit être enseignée aux futurs cadres supérieurs de l’État. Comme dans le secteur privé, l’insertion des docteurs doit être favorisée dans la fonction publique. Leurs apports sont très importants et très bénéfiques. Nous avons donc la volonté de former davantage de docteurs, notamment en ouvrant davantage de places au concours spécial qui leur est réservé. Les élèves pourront également commencer un parcours doctoral durant leur formation. Des partenariats ont déjà été engagés avec des universités, d’autres pourraient suivre. L’INSP est un lieu d’excellence, il a donc vocation à nouer des alliances avec des établissements du classement Idex (Initiatives d’excellence).

Nous avons vocation à travailler avec un grand nombre d’universités et d’écoles françaises et européennes de haut niveau académique.

Un corps enseignant composé de binômes enseignants-chercheurs/praticiens de l’action publique doit être constitué. Quelle sera son ampleur ?
L’INSP s’est vu attribuer 20 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires dans le cadre de la loi de finances pour 2022. Une partie de ces emplois servira donc à recruter ces binômes de praticiens de l’action publique et d’enseignants-chercheurs. Un appel à candidatures va être prochainement lancé. Ce qui pose une question d’attractivité pour l’INSP. Il faut reconnaître que l’institut n’est pas un acteur reconnu aujourd’hui ou, en tout cas, un acteur de premier plan en termes de recherche. Nous allons donc rechercher des profils qui ont envie de nouveauté, qui ont un peu le goût du risque et qui ont envie de réaliser quelque chose d’un peu différent de ce qu’ils font actuellement.

Sciences Po Paris tente actuellement de se placer dans l’après-ENA. Son nouveau directeur, Mathias Vicherat, vient d’ailleurs de proposer une alliance avec votre établissement. Comment avez-vous accueilli sa proposition ?  
Sciences Po souhaite effectivement s’investir dans la formation des cadres supérieurs de l’État. D’autres structures d’enseignement supérieur sont également intéressées. Nous recherchons des formations d’excellence, nous avons donc vocation à travailler avec un grand nombre d’universités et d’écoles françaises et européennes de haut niveau académique. 

Quelles sont les ambitions de l’INSP à l’international ?  
L’ENA avait formé des coopérations internationales, sur lesquelles nous pouvons capitaliser. Le projet que je porte pour l’INSP est de progresser encore pour construire un établissement de formation à la gouvernance publique pleinement reconnu à l’international. Cela passe par la volonté d’adhérer à des réseaux d’écoles de gouvernance publique. Nous allons ainsi poser notre candidature pour devenir un membre associé du réseau Civica, l’Université européenne des sciences sociales. Ce rayonnement étendu passe aussi par une animation plus systématique et plus professionnelle du réseau des anciens élèves étrangers, via des événements et conférences plus réguliers, notamment. Ce qui est certain, c’est que nous continuerons à accueillir des élèves et des stagiaires étrangers, ce qui contribue fortement au rayonnement de notre pays à l’international.

Propos recueillis par Bastien Scordia et Pierre Laberrondo

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