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Rémi Lefebvre : “Un changement de méthode pour transformer l’action publique est indispensable”

Professeur de sciences politiques à l’université de Lille et à Sciences Po Lille, Rémi Lefebvre analyse l’impact de l’élection présidentielle sur les partis politiques, les nouvelles formes de démocratie représentative et participative, et la réforme de l’action publique. Les agents publics ont eu un sentiment de déclassement, estime-t-il, qui a nourri le vote d’extrême-droite. Rémi Lefebvre est l’auteur et coauteur des ouvrages Faut-il désespérer de la gauche ? et L’entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir

Cette élection présidentielle marque-t-elle la fin des partis politiques ?
Il faudra toujours des partis politiques, mais par contre ce ne seront plus les mêmes partis. Le modèle partisan dominant est un parti souple, informel, une machine au service d'un candidat. De fait les partis sont moins démocratiques dans leur fonctionnement. Je parle là de La République en marche, de la France Insoumise ou du RN : ces partis très peu implantés localement et qui sont avant tout des machines présidentielles, avec un corpus idéologique adaptable. Aujourd’hui, ce ne sont plus les partis qui fabriquent les candidats mais l’inverse : les candidats fabriquent des partis, qui sont totalement à leur solde. Mais ils ont besoin de partis pour bénéficier de ressources financières et pour investir leurs candidats aux législatives. 

De fait, la démocratie participative a-t-elle un rôle plus central à jouer ?
Il y a un tel malaise démocratique qu’il faut trouver des solutions nouvelles. Mais je ne vois pas des solutions qui tomberaient du ciel, une sorte de procédure magique qui résorberait ce malaise démocratique. Certaines règles du jeu démocratiques pourraient toutefois être modifiées. Un consensus s’établit autour de l'idée que notre système politique est épuisé, qu’il ne produit plus de légitimité politique et qu’il faut donc le changer. Ce qui me frappe avec cette élection présidentielle, c’est que son résultat est immédiatement contesté et remis en question par les opposants à Emmanuel Macron, qui mettent en avant un « troisième tour » que seraient les législatives. Pourtant, une élection devrait ouvrir un nouveau cycle. La légitimité d’Emmanuel Macron reste donc fragile. Concernant les possibles solutions, il faut à mon avis transformer la démocratie représentative. On le voit : une forme de consensus se dégage, y compris au sein de La République en marche, sur la question de la proportionnelle et le changement du mode de scrutin. L’inversion du calendrier, en plaçant les législatives avant la présidentielle, est également une piste. Concernant la démocratie participative, des initiatives ont été développées dans les collectivités territoriales avec des budgets participatifs, des jurys citoyens, etc. La difficulté tient à leur développement au niveau national. On l’a vu avec la Convention citoyenne pour le climat, qui a entraîné quelques déceptions. Se pose la question de la représentativité et du lien avec la décision publique. La démocratie participative peut provoquer du rejet si elle est instrumentalisée. Et puis il y a la démocratie représentative directe : les référendums, qui ont été évoqués par différents candidats. Voilà donc de nombreux leviers qui peuvent être activés. 

Ce qui ressort du vote d’extrême droite dans la fonction publique tient au déclassement

Quid de la manière de réformer, notamment l’État et l’action publique ? Faut-il une autre approche du pilotage des politiques publiques alors que la fonction publique a fortement voté pour les extrêmes lors de ce scrutin (les agents publics ont voté à 43% pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle) ?
Vous évoquez un enjeu de politiques publiques alors que votre question dénote en réalité une forme de déclassement de la fonction publique. Ce qui ressort du vote d’extrême droite dans la fonction publique tient au déclassement statutaire, à la perte de pouvoir d’achat alors que le point d’indice est resté longtemps gelé, aux perspectives professionnelles qui se compliquent. Ce déclassement est aussi lié à une forme de dégradation perçue de l’État et des services publics, avec une réduction des interventions publiques qui donnent un sentiment d’abandon. Cela nourrit fortement un sentiment de déréliction et par voie de conséquence le vote d’extrême droite. C’est très inquiétant, alors qu’il y avait une forte culture républicaine dans la fonction publique. L’extrême droite gagne des parts de marché dans des secteurs de la société où elle était faible au départ. 

Alors quid de la réforme pour transformer l’action publique après des réformes à visées très budgétaires (RGPP, MAP, Action publique 2022) ? Emmanuel Macron a parlé de proximité et de co-construction. Est-ce nécessaire ?
La figure d’Emmanuel Macron et son image très surplombante, verticale, a pu nourrir une forme de rejet. À cela s’est ajouté la polémique McKinsey, qui a pu donner aux agents le sentiment que l’État ne leur faisait pas confiance, que les décisions venaient du haut sans associer les personnels. De fait le changement de méthode pour transformer l’action publique et la fonction publique paraît aujourd’hui totalement indispensable. Il faut clairement un changement de méthode. 

Faut-il désespérer de la gauche ? Petite encyclopédie critique, éditions Textuel, Rémi Lefebvre 
L’entreprise Macron à l’épreuve du pouvoir, direction Bernard Dolez, Anne-Cécile Douillet, Julien Fretel et Rémi Lefebvre, Presses universitaires de Grenoble

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