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Mylène Jacquot (UFFA-CFDT) : “Il faut redonner de la perspective aux agents et valoriser les montées en compétences”

À quelques jours de l’ouverture des élections professionnelles dans la fonction publique, Acteurs publics est allé à la rencontre des représentants syndicaux pour prendre le pouls d’un événement qui revêt de nombreux enjeux et pour lequel la participation reste la grande inconnue.

Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous à l’approche des élections professionnelles de décembre ?
Côté CFDT, nous sommes motivés pour ces élections et aussi mobilisés. Mobilisés à tous les niveaux de l’organisation. Cela fait maintenant plusieurs années que nous travaillons collectivement en associant tous les niveaux structurels, que ce soient les syndicats, les fédérations de la fonction publique, mais aussi les unions régionales et les structures territoriales. Notre objectif est d’avoir le maillage le plus fin possible et surtout une organisation qui soit capable de mettre en œuvre très concrètement nos actions. Nous sommes attachés à la mutualisation, à la solidarité, et ce partage des tâches nous permet de libérer un maximum de temps militant pour faire de la proximité.

La participation représente un enjeu de taille cette année. La participation était passée sous la barre des 50 % pour la première fois en 2018. Quelles seraient les conséquences d’une participation encore en baisse ? Ne serait-ce pas un mauvais signal pour le dialogue social ?
Il s’agit évidemment d’un enjeu, comme pour toutes les élections. Un enjeu démocratique, tout d’abord : on assiste à une sorte de désenchantement envers le vote et les scrutins en règle générale. Pourtant, dans tous les endroits où il y a un dialogue social riche et en proximité, les résultats sont tangibles et concrets pour le quotidien des agents. Sur le sujet de la participation, nous estimons qu’il y a une responsabilité des employeurs. Quand vous maintenez du vote à l’urne et que ce vote à l’urne ne correspond pas aux organisations du travail et aux cycles de travail des organisations dans lesquelles il est mis en place, on peut avoir une participation qui s’érode. Le vote à l’urne dans les hôpitaux, par exemple, ne permet pas la meilleure des participations. Ce sont des points qui nous inquiètent, effectivement. Au lieu de sombrer dans ce désenchantement démocratique, il est temps de mobiliser les syndicats et les employeurs pour faire vivre ce dialogue social et améliorer le quotidien de travail des agents.

Il est plus que jamais nécessaire d’être à l’écoute, d’identifier les attentes des agents pour avoir la légitimité de porter leurs revendications.

La participation observée en 2018 ne peut qu’interroger sur l’avenir du dialogue social dans la fonction publique et sur la légitimité des organisations syndicales à porter les revendications du personnel. Preuve en sont les faibles taux de grévistes enregistrés lors des derniers appels à la mobilisation. Les syndicats doivent-ils revoir leurs moyens et méthodes d’action ?
Sur cette question, nous avons très fortement misé sur la proximité et fait en sorte que nos collègues nous identifient comme des personnes à solliciter en cas de difficulté. Le syndicalisme doit être incarné. Nous refusons toujours de parler des syndicats comme d’un tout indifférencié. Il est plus que jamais nécessaire d’être à l’écoute, d’identifier les attentes des agents pour avoir la légitimité de porter leurs revendications.

Ne craignez-vous pas une baisse de la participation du fait notamment de la réduction du champ de compétences des commissions administratives paritaires (CAP) ? Votre action au sein de ces commissions était en effet jusqu’à ce jour l’un des principaux motifs d’adhésion des agents publics à vos organisations syndicales…
La représentativité se mesurait, depuis les accords de Bercy sur le dialogue social, sur les comités techniques. Alors qu’ils vont devenir des comités sociaux, seule l’élection permet aux fonctionnaires et aux contractuels de s’exprimer. Nous sommes, de notre côté, très attachés à la représentativité des collectifs de travail. Les compétences des CAP, qui ne concernent que les fonctionnaires titulaires, ont été revues à la baisse, il faut désormais s’emparer de ce qui reste. La représentativité syndicale est l’un des angles morts de la loi de transformation de la fonction publique. Cette représentation n’est toujours pas définie, de même que ses conditions d’encadrement.

Nous attendons un vrai chantier structurel qui revoie les rémunérations et l’équilibre entre la part indiciaire et la part indemnitaire.

Quel regard portez-vous sur l’état du dialogue social dans la fonction publique aujourd’hui ?
Je dirais qu’il est très divers. Nous avons des interlocuteurs, souvent au niveau national, convaincus de l’intérêt du dialogue social et de tout ce que cela permet de construire ensemble. Mais nous constatons encore des difficultés, par exemple dans les ministères, notamment autour du télétravail, avec des réticences incroyables dans la mise en œuvre de l’accord. De la même manière, les employeurs et les organisations syndicales ne sont pas tous au même niveau de conviction sur l’intérêt de la négociation. Pourtant, le choix fait en décembre va peser sur les quatre prochaines années.

Un chantier sur les carrières et des rémunérations sera lancé en 2023. Qu’en attendez-vous ? Quelles sont revendications à ce propos ?
Nous attendons un vrai chantier structurel qui revoie les rémunérations et l’équilibre entre la part indiciaire et la part indemnitaire. Qui renforce la part fixe des rémunérations et qui présente une garantie sur la durée. Il faut que l’on redonne de la perspective aux agents, que l’on valorise les montées en compétences et que l’on fasse de ces éléments de véritables outils d’attractivité. Nous ne mènerons pas de chantier structurel sans moyens ni sans signaux de la part du gouvernement d’une vraie volonté d’améliorer les rémunérations. Cela passe inévitablement par des mesures générales de revalorisation.

Le gouvernement souhaite mettre en place des accélérateurs de carrière et développer la rémunération au mérite. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
On verra ce que ce sera exactement, c’est encore trop tôt pour émettre un avis. Pour autant, aujourd’hui, il y a déjà des rendez-vous de carrière, ils existent. Il faut juste en finir avec une gestion des carrières qui soit budgétaire. Ce n’est pas possible de demander aux agents de s’investir dans une nouvelle mission et au moment de reconnaître cette montée en compétences, de leur demander d’attendre un peu car les moyens manquent. C’est un chantier de grande ampleur.

Le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, a fait de l’attractivité l’une de ses priorités. Ce renforcement de l’attractivité de la fonction publique passe-t-il nécessairement par la rémunération ? Ou par quoi d’autre ?
Les agents sont en attente de davantage de mobilité professionnelle et s’expriment aussi sur les questions d’organisation du travail, avec une recherche de plus d’autonomie et de reconnaissance. C’est du moins ce qui nous remonte du terrain. La rémunération est un élément important mais on ne pourra pas se contenter de la rémunération comme seule réponse. Nous avons des attentes très fortes sur le logement. C’est d’ailleurs un sujet qui monte en ce moment. Il peut être intéressant de s’inspirer de tout ce que les entreprises du privé font en la matière, et aussi plus globalement sur les politiques sociales. Il faut ouvrir ces chantiers-là. Pour gagner en attractivité, il est aussi tout à fait nécessaire d’avancer sur la complémentaire santé. Quand on voit que le versant hospitalier est toujours en retard sur ce sujet alors qu’il souffre plus particulièrement de problèmes d’attractivité, cela dépasse l’entendement.

Quel regard portez-vous sur l’accroissement de la place prise par les contractuels dans la fonction publique ? Faut-il davantage réguler le recours aux contractuels ?
Nous nous positionnons en faveur d’un encadrement fort du recours aux contractuels. Certains ministères et collectivités y ont beaucoup recours. Nous souhaitons faciliter l’accès à l’emploi titulaire pour ces contractuels, mais il faut aussi entendre que certains contractuels n’ont pas envie de devenir titulaires. Il faut aussi leur construire des droits, car ils contribuent aux missions de service public.

Quelles sont vos propositions s’agissant de l’égalité professionnelle hommes-femmes dans la fonction publique ?
Sur l’égalité professionnelle, l’accord signé en 2018 produit ses effets, mais en la matière, on pense qu’il faut aller toujours plus loin. D’abord, il faut mesurer les inégalités. Nous sommes, dans ce contexte, favorables à l’instauration d’un index, et pas seulement un baromètre. L’index engage les employeurs. Il faut aussi un rattrapage sur les parts indemnitaires. Nous n’avons toujours pas les éléments pour mesurer les écarts sur ce plan-là, mais on sait tout de même qu’il y a des inégalités. Sur les déroulements de carrière également, des inégalités sont là et bien installées. Les femmes sont toujours pénalisées pas seulement parce qu’elles sont mères, mais aussi parce qu’elles sont femmes. À un moment, il faut aussi revoir les dispositifs de nominations équilibrées et voir jusqu’où on peut les étendre. Nous demandons un chantier collectif là-dessus et pourquoi pas une négociation pour aboutir à un nouvel accord.

Quel bilan tirez-vous du recours au télétravail dans la fonction publique, accentué durant la crise sanitaire et développé depuis ? Et quelles pistes voyez-vous pour la suite ?  
Il faut d’abord continuer à renforcer la négociation et à agir sur la culture en matière de télétravail. Nous observons un retour à la culture qui existait avant la période du Covid. Il y a un manque de confiance envers les agents. Nous en sommes encore à manager les personnes au lieu de manager le travail. Nous avons toujours cette culture du contrôle, cela instaure un désenchantement incroyable de la part de personnels qui ont choisi de travailler dans la fonction publique, mais qui sont désenchantés autour de ces notions de confiance et d’autonomie.

Propos recueillis par Marie Malaterre

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